Le physicien français d'origine polonaise Georges Charpak est décédé, mercredi à Paris, à l'âge de 86 ans. Spécialiste de la recherche nucléaire, il avait reçu le prix Nobel de physique en 1992 pour ses travaux sur les particules élémentaires.
Le physicien français d'origine polonaise Georges Charpak est décédé mercredi à Paris à l'âge de 86 ans. Spécialiste de la recherche nucléaire, il avait reçu le prix Nobel de physique en 1992 pour ses travaux sur les particules élémentaires.
Georges Charpak n’était pas l’un de ces scientifiques de laboratoire, qui passent leur vie in vitro à élaborer des théories abstraites à l'usage d'une poignée d’initiés. Il avait le goût de la vie et du bon vin, aimait Mozart, la poésie et, bien sûr, la physique qu’il pratiquait "en s’amusant".
Prix Nobel de physique en 1992, il a consacré sa vie et son œuvre à la physique nucléaire, puis à celle des particules pour lesquelles il a conçu une nouvelle génération de détecteurs, qui ont universellement remplacés les précédents.
Rescapé de Dachau
Né le 1er août 1924 dans le ghetto juif de Dabrovica, en Ukraine, alors sous domination polonaise, Charpak émigre en France à 7 ans, avec sa famille. Militant antifasciste dès l’âge de 15 ans, il entre en Résistance pendant la Seconde Guerre mondiale et refuse de porter l’étoile jaune. Il se fait faire de faux papiers et survit sous le nom de Charpentier. Jusqu’à ce jour de mai 1943, où il est arrêté, interné dans la prison d’Eysses à Lyon puis déporté au camp de concentration de Dachau, en Allemagne, où il est détenu pendant un an. Il n’a alors que 19 ans et devient le matricule 73 251.
Malgré l’atrocité de la déportation, Charpak, qui racontera plus tard l'indicible dans l’ouvrage collectif "Allach, Kommando de Dachau", veut retenir de cet enfer, la vie et la solidarité. Du voyage en train, il écrit : "Certains d'entre nous ont même eu la force de faire sourire, voire même de faire rire, les autres. Par exemple, en décrivant puis en sifflant une belle fille qui passait dans une gare. Un sursaut de jeunesse et d'humanité qui fit passer dans ce wagon de damnés un inappréciable vent de légèreté et d'optimisme. La vie continuait et un jour nous la retrouverions... "
Le "monde mystérieux" des particules élémentaires
Après la guerre, Charpak intègre l’École des Mines. Non par vocation. Il se prédestinait plutôt à Polytechnique. "Si je n'avais pas été arrêté, je pense que je serais devenu théoricien. (…) Mais quand je suis revenu de déportation, je n'ai pas eu le courage de retourner passer des concours pour tenter l'entrée à Polytechnique. Avant mon arrestation, en mai 1943, j'avais été reçu aux Mines. Alors, j'y suis entré. Cela a été mon erreur", a-t-il expliqué dans un entretien à
"Sciences et Avenir". Une erreur qui lui a néanmoins permis d'entrer au CNRS, comme chercheur dans le laboratoire de physique nucléaire du Collège de France dirigé par Frédéric Joliot, puis d’intégrer l’Organisation européenne de la recherche nucléaire (
CERN) où il découvre le "monde absolument mystérieux des particules élémentaires".
Il y développe des machines de plus en plus complexes pour analyser la matière fondamentale. "En 1968, j'ai construit un détecteur de particules qui élimina tous ses concurrents ; j'en ai fait d'autres par la suite de moindre intérêt ; ce qui m'intéresse, ce sont les applications des détecteurs de particules à la biologie ", explique-t-il dans une interview à France 2 en 1993.
Ses travaux ont notamment permis d’améliorer les techniques de radiographie, dont il a drastiquement diminué les doses de radiation ionisantes. En 1992,
l’Académie des Sciences de Suède le récompense pour "son invention et le développement de détecteurs de particules, en particulier la chambre proportionnelle multifils", réalisée en 1968.
Ce grand optimiste, éternel hédoniste au sens de l’humour affuté, goûte chaque instant de l’événement : "Je savais que c’était un moment fugace. Que c’était quelque chose qui fallait cueillir, essayé de le savourer. Et j’ai savouré.... les Châteaux Margaux", raconte-t-il, les yeux brillant, à la caméra de France 2.
Ce survivant, père de trois enfants, se demandait pourtant s’il n’avait pas "raté sa vie d’homme parce que j’étais un fanatique de la science et consacrais tout mon temps à ça". A 84 ans, il travaillait encore à la mise au point d’un appareil de radiologie permettant de recevoir 10 à 50 fois moins de rayons X, pour les enfants devant subir de nombreuses radios.
La science à portée de main
"On n’a pas le droit de faire des études sans avoir été confronté aux sciences". C’était le leitmotiv de Charpak qui aimait par-dessus tout partager sa passion. Désireux de vulgariser son savoir, il lance en 1995 le programme
La main à la pâte, une entreprise d’alphabétisation scientifique dans les écoles élémentaires. Le principe : apprendre en expérimentant. Lui, qui est sorti en vie de Dachau notamment grâce à sa maîtrise de plusieurs langues, a toujours considéré l’éducation comme une priorité.
"On peut prendre une population relativement évoluée et lui bourrer le crâne à un degré incroyable. Si on veut faire quelque chose, il faut donc s'occuper d'éducation", a-t-il écrit dans Les Limites de l'humain. Et Georges Charpak faisait partie de ces rares passeurs.
Engagé et se définissant comme "citoyen du monde", Charpak considérait comme "incontournable" l’usage du nucléaire civile. En revanche, il s’est toujours engagé pour le désarmement nucléaire. Il militait pour placer les armements nucléaires sous contrôle international.