
L’agriculture française va mal. En 2009, le revenu agricole moyen a diminué de 39 %. Chez les éleveurs laitiers et chez les producteurs de fruits et légumes la chute a été encore plus vertigineuse, de l’ordre de 50 %. Nicolas Ransom est allé en Provence, plus précisément dans le département des Bouches du Rhône, en pleine saison fruitière.
Qui est-il ?
"J’ai vendu mes fruits 9 centimes, je les vois à 2,80 Euros, 3 Euros en magasin, j’ai vraiment l’impression d’être pris pour un con. Si ça continue, j’arrache tous mes arbres. On ne veut pas de nous… " Envahi par l’émotion, Pierre ne peut terminer sa phrase. L’agriculteur tombe en sanglots.
Nous sommes le 17 décembre 2009, la France connaît sa première grosse vague de froid de l’hiver. Ce matin-là, ils sont nombreux comme Pierre Priolet à écouter Bruno Le Maire, le ministre de l’agriculture. Pierre a 58 ans. Il est arboriculteur. Il produit des poires et des pommes dans les Bouches-du-Rhône. Son coin ? C’est la vallée de la Durance. Une rivière qui grâce à ses alluvions a rendu les terres voisines fertiles, très fertiles. Cette vallée, c’était le verger de la France. Je dis "était", car aujourd’hui les terres laissées à l’abandon sont nombreuses. Sur les 1 000 hectares de surface agricole que comptait la commune de Mollégès, seulement 200 sont réellement cultivés. Les agriculteurs sont nombreux à mettre la clé sous leurs bottes. Du coup, les friches et les ronces envahissent les campagnes.
Mais revenons à Pierre, seul face à sa radio. Pour lui, 2009 a été catastrophique. 130 000 euros de perte. Le discours du ministre le désespère. Le temps passe… La colère monte. Révolte, amertume, tristesse… des sentiments que Pierre Priolet ne peut plus contenir. Il décroche son téléphone et appelle la station. "On nous prend pour des pollueurs, des anormaux, des handicapés mentaux. C’est insupportable ce déni d’existence ! Ce déni de métier. C’est une catastrophe. La grande distribution fait ce qu’elle veut elle a tous les pouvoirs."
Alors que des centaines d’agriculteurs meurent en silence, Pierre, lui, vient de parler avec son cœur. Son témoignage émeut auditeurs et journalistes.
Depuis ce jour, Pierre Priolet est devenu le porte-voix des producteurs de fruits et de légumes qui n’arrivent plus à vivre de leurs récoltes. Il enchaîne plateaux télé, interviews, et se consacre pleinement à ce qui est devenu pour lui, "son nouveau combat". La défense d’un prix juste.
Premier contact
À France 24, le dossier de l’agriculture française nous intéresse. En septembre 2009 en pleine grève du lait, je partage le quotidien de Florent, Thierry, ou Philippe, tous producteurs de lait près de Nantes. "Le lait de la discorde", est diffusé dans l’émission Reporter. L’intervention de Pierre sur France Inter nous a également touché. Je prends contact avec lui. Le courant passe aussitôt. Rendez-vous est pris pour l’été à l’approche et pendant la récolte. La télé a besoin d’images. Parler des fruits sans les voir. Autant attendre !
« Allo ? Pierre ?, c’est pour quand la récolte ? »
Cette année, chez Pierre, les poires Williams ont deux semaines de retard. La faute à la météo (comme souvent dans l’agriculture), et au psile, ce minuscule insecte qui fabrique une sorte de colle rendant le fruit collant et noir. La première date de cueillette est fixée pour le vendredi 13 août. Superstition ou pas, elle sera finalement reportée au lundi 16. Le soleil n’est pas encore levé, il fait 9 degrés dans le verger. Tous les ramasseurs sont prêts pour un mois et demi de cueillette. Pierre, lui, sait bien que cette année encore, il travaillera à perte. Entre le coût de la main d’œuvre et le prix auquel il vend ses poires, à chaque kilo récolté Pierre Priolet perd 10 centimes. Face à ce triste constat, il dit vivre sa dernière saison. "À l’automne. J’arrache tout. On ne veut plus de nous."
Le mal être de la campagne française
Une petite semaine au contact de ce monde agricole ne laisse pas indifférent. Deux aspects m’ont particulièrement ému.
À mon arrivée, la tête occupée à la construction du reportage, je n’ai pas réalisé combien les vergers en friche étaient nombreux. Triste constat. Celui d’un visage du paysage de la campagne qui change, qui se détruit, qui prend des rides.
Je connais assez bien le monde agricole. Et, dans les campagnes, on n’a pas l’habitude de voir un agriculteur pleurer, souffrir. À Mollégès, lors du tournage, les personnes qui m’ont accueilli se sont confiées en parlant avec leurs tripes. Ces visages brutalement figés, ces voix qui s’éteignent sont bien la preuve du malaise que vit la campagne française.
Sur les parkings, face aux grandes surfaces
Depuis son intervention sur les ondes radiophoniques, Pierre Priolet n’a malheureusement plus le temps de s’occuper de ses vergers comme il le voudrait. Devant les nombreuses sollicitations, l’agriculteur a fondé une association (consommer juste), et un site Internet (www.consommer-juste.fr). L’objectif est de créer un lien avec le consommateur. Lui faire comprendre que les produits agricoles sont beaux et pas chers. En partenariat avec une chaîne de restaurant, les membres de l’association "consommer juste" installent leur stand sur les parkings des zones commerciales.
Mais faire changer les mentalités et les habitudes de consommation prend du temps.
Les vergers disparus
À l’automne. Bien loin des rayons des hypermarchés, Pierre Priolet arrachera les arbres qu’il a plantés lui-même 20 ans plus tôt. Bientôt, ses vergers auront disparu.
Nicolas Ransom