logo

Descendre le fleuve Congo et en revenir

, envoyée spéciale à Perpignan – Le photographe belge Cédric Gerbehaye a passé trois années à descendre le fleuve Congo, à la recherche de signes d'espoir dans ce pays déchiré par la guerre. Son reportage coïncide avec les 50 ans de l'indépendance de la RDC. Rencontre à Perpignan.

C'est sans doute, de toutes les photographies présentées à Visa pour l'Image à Perpignan, celles où prédominent le mystère et le trouble. Où le temps s'écoule avec lenteur. Où l'on pourrait plonger et ne jamais en revenir. Servi par des images en noir et blanc léchées, le reportage s'effectue le long du fleuve Congo, seule voie possible pour relier l'est et l'ouest de ce vaste pays africain qu'est la République démocratique du Congo (RDC). "Pour traverser le pays, soit vous prenez l'avion, mais peu de personnes en ont les moyens, soit vous prenez un pousseur de barge", résume Cédric Gerbehaye, l'auteur du photoreportage.

Ce photojournaliste belge, membre de l'agence VU, connu et récompensé pour ses reportages sur le conflit israélo-palestinien et sur les Kurdes de Turquie et d'Irak*, prend le temps qu'il faut pour comprendre. Son parcours de trois ans le long du fleuve est semé d'embûches administratives, d'autorisations de circuler et de travailler qui s'obtiennent à la longue. Cette lutte, les Congolais la connaissent par le détail. "Par manque de bateaux, bien souvent la marchandise pourrit dans des ports le long du fleuve", dit la légende d'une photo. La gabegie est présente à chaque halte, et la colère des voyageurs semble ravalée à force de résignation.

Les guerres ont un temps bloqué le trafic fluvial. Et encore aujourd'hui, la descente du 2e fleuve le plus long du monde est un parcours chaotique. Là, "un commerçant chinois patiente dans un bureau de l'Onatra, l'Office national des transports, à Kinsangani. Sa marchandise est bloquée dans la cale d'une des barges de Kotakoli. Il apprendra plus tard qu'un agent de l'Onatra a empoché l'argent du transport et a fait disparaître les documents relatifs à la marchandise." Ailleurs, au port de Bolomba, dans la province de l'Équateur, Cédric Gerbehaye immortalise le bureau des archives de l'Onatra : des étagères saturées de vieux papiers empilés, sans aucun repère alphabétique ou calendaire.

{{ scope.counterText }}
{{ scope.legend }}
{{ scope.counterText }}
i

{{ scope.legend }}

© {{ scope.credits }}

Dans l'exposition qu'il propose à Visa pour l'Image, "Congo in Limbo", et contrairement au livre qu'il a publié sur le sujet, il n'y a pas d'images d'enfants-soldats ou de femmes violées, ces barbaries insupportables qu'endurent les populations du Nord-Kivu. Le photographe rend ici simplement justice au quotidien des Congolais : le baptême par immersion d'un jeune homme dans les vastes eaux du fleuve le jour de Noël ; la prière sur le bateau tous les matins pendant que le manioc sèche sur le pont-arrière ; les Jecoke (jeunes comiques du Katanga) en répétition à Elisabethville ; les officiers de la police judiciaire qui jouent aux cartes ; tandis qu'au loin, l'hôtel "des Chutes", vestige de l'ère coloniale à Kisangani, est aujourd'hui abandonné et rongé par l'humidité.

{{ scope.counterText }}
{{ scope.legend }}
{{ scope.counterText }}
i

{{ scope.legend }}

© {{ scope.credits }}

Son reportage coïncide avec les cinquante ans de l'indépendance de la RDC après un demi-siècle de colonisation belge. D'ailleurs, Gerbehaye, lui-même belge de naissance, a-t-il voulu revisiter l'Histoire et casser les préjugés reçus enfant ? "Pas vraiment, puisque je n'ai pas entendu parler du Congo sur les bancs de l'école, raconte Cédric Gerbehaye. L'étude de la RDC n'était pas au programme, comme si c'était tabou. Du coup, je me suis documenté sur les énormités de la colonisation et de la guerre. Après un premier voyage en 2007, c'est devenu comme un devoir d'y retourner."

Le photographe assume aussi une partie esthétisante de son travail, le choix du noir et blanc "par plaisir". Le tirage papier valorise le grain de la pellicule, qui brouille le regard. "La réalité de la guerre est sale et trouble, on a des difficultés à accéder à la vérité. Pour moi, il ne faut pas que les choses soient lisses, soient propres, il faut qu'elles soient difficilement accessibles. Il faut faire un effort pour voir et comprendre."

*Le travail de Cédric Gerbehaye en République démocratique du Congo a été récompensé par un troisième prix au World Press Award en 2008. Il peut aussi s'apprécier sur papier et sur le web :

- Congo in Limbo, éditions Le bec en l'air, juin 2010

- www.congoinlimbo.com, un site qui mêle vidéos d'archives, témoignages d'enfants-soldats, et reportages photographiques.