
Feisal Abdul Rauf est l’initiateur du projet de mosquée près de Ground Zero. Égyptien d’origine, l’imam, pourtant connu pour sa volonté de dialogue avec les autres religions, s’attire les foudres d’une partie de l’opinion publique américaine.
Certains l’appellent la mosquée de Ground Zero, d’autres préfèrent parler d’un centre communautaire musulman. L’imam Feisal Abdul Rauf a, lui, choisi le nom de Projet Park51 - en référence à l’adresse du lieu - pour apaiser sans doute les critiques et indignations déclenchées par la perspective de voir s’élever, à quelques centaines de mètres de Ground Zero, une mosquée. Un moyen aussi de ne pas réduire à sa seule composante religieuse un projet de centre sportif et culturel dont l’imam et sa femme, Daisy Khan, ont eu l’idée en 2005.
Un terrain près de Ground Zero, hasard ou provocation ?
C’est à l’agence immobilière Soho Properties, gérée par trois Egyptiens dont le neveu du secrétaire général de la Ligue arabe Amr Moussa, que l’imam et sa femme s’adressent en 2006. Hasard ou non, l’agence finit par trouver un immeuble à quelques blocs de Ground Zero. L'agence l'achète en juillet 2009 pour 4,8 millions de dollars, supposément versés en espèces. Le coût du Projet Park51 est, lui, estimé à 100 millions de dollars, un montant qui provoque les soupçons des opposants à la mosquée : ils redoutent que des pays qui financent le terrorisme aient investi de l'argent dans le lieu. Le candidat républicain au poste de gouverneur de New York, Rick Lazio, a même été jusqu’à réaliser un spot de campagne sur le sujet et a demandé l’ouverture d’une enquête financière.
La conciliation avant tout
Né en Egypte en 1948 et immigré aux Etats-Unis dans les années 1960, Feisal Abdul Rauf intervient, depuis 1985, à la mosquée Masjid al-Farah, qui est elle aussi située dans le quartier de Ground Zero et connue pour être l’une des moins traditionnelles de New York. Il se revendique de la branche soufie de l’islam, réputée pour sa tolérance et son pacifisme, et se présente comme un facilitateur du dialogue entre monde musulman et Occident. Après avoir étudié la physique à l’université de Columbia, il créé, en 1997, l’American society for muslim advancement, avant que le 11-Septembre n’accentue la méfiance vis-à-vis des communautés musulmanes aux Etats-Unis. L’association à but non lucratif défend l’adaptation des pratiques musulmanes aux droits des femmes et à la vie occidentale et promeut l’idée qu’il existe des points communs entre valeurs américaines et islamiques.
Pourtant, les détracteurs de Feisal Abdul Rauf n’hésitent pas à le qualifier de "musulman radical " et de "militant islamiste". Des termes qui en font la victime de ce contre quoi il dit s’être battu pendant des années : la "paranoïa religieuse". Dans un entretien au "New York Times", Feisal Abdul Rauf estime que le fait qu’il y ait autant d’incompréhension prouve que son projet est nécessaire. Pour le révérend James Morton, qui dirige l’église Saint-John the Divine à New York et fréquente l'imam depuis longtemps, "en faire un extrémiste est tout simplement cinglé".
Liens avec le Département d'État
Mi-août, plusieurs médias, dont la chaîne Fox News, rapportent des propos tenus par Feisal Abdul Rauf lors de l'une de ses conférences en 2005. L'imam estimait alors que "les Etats-Unis sont pire qu’Al-Qaeda", provoquant de vives réactions de colère chez les familles des victimes du 11-Septembre. Lors de cette conférence, Feisal Abdul Rauf poursuivait ainsi : "Nous avons tendance à oublier, en Occident, que les Etats-Unis n’ont pas moins de sang d'innocents sur les mains qu’Al-Qaeda."
Des propos qui conduisent immédiatement à la question, réductrice mais inévitable, de la loyauté de Feisal Abdul Rauf : va-t-elle à son pays ou à sa religion ? Todd Gitlin, un sociologue démocrate, estime qu’il ne peut y avoir plus américain que lui, citant pour le prouver des extraits de son livre, "What’s right with Islam is what’s right with America", où il considère que la Constitution américaine est proche de l’idéal islamique. D’autres en revanche, tel Christopher Hitchens, journaliste à "Slate", estiment la position de l’imam trop ambiguë pour être honnête. Dans les pays musulmans, ceux qui rencontrent Feisal Abdul Rauf se méfient parfois : ses liens avec le Département d’Etat américain, qui a déjà financé plusieurs de ses voyages dans le monde arabe, semblent rendre paradoxales ses intentions.