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Dans le documentaire "Cleveland contre Wall Street", le réalisateur suisse Jean-Stéphane Bron revient sur la crise des subprimes en organisant un procès fictif opposant les habitants d’une ville sinistrée à des banquiers de Wall Street.

Le documentaire de Jean-Stéphane Bron s’inscrit dans la lignée de "Capitalism : a love story", le dernier Michael Moore, et d’ "Inside Job", film réalisé par Charles Ferguson (sortie prochainement) en traitant de la crise économique américaine. Sauf qu’il a opté pour une approche pour le moins audacieuse en tournant un procès-fiction.

Le réalisateur suisse nous plonge dans l’univers de la ville de Cleveland, particulièrement frappée par les saisies immobilières après la crise des subprimes, qui a assigné en justice début 2008 plusieurs banques qu’elle jugeait responsables. Mais les avocats des banques de Wall Street ont empêché l’ouverture d’une procédure. Si l’histoire s’arrête là pour les habitants, Jean-Stéphane Bron a décidé de faire de ce procès une réalité.

Et pour tourner "Cleveland contre Wall Street" – projeté à Cannes en mai et sorti en France mercredi 18 août –, Bron a choisi de faire appel aux vrais protagonistes de l’affaire : citoyens, avocats et juge ont tous répondu présents.

"Rien n’a été anticipé, ni écrit ou refait"

Mais comment ce réalisateur francophone, qui affirmait lors d’une interview promotionnelle "ne rien savoir de la finance ou de l'économie", a-t-il fini par tourner ce vrai faux procès autour de l'éthique économique dans une ville étranglée du Middle West ?

Après avoir filmé la "démocratie en action" dans son documentaire "Le Génie helvétique", sorti en 2003, il a ensuite voulu capter le "capitalisme en action". "J'avais le sentiment que les forces économiques avaient pris le pas sur toutes les autres, qu'elles soient politiques ou idéologiques, et que nous étions à un point de rupture[...]. Bien sûr, je ne me doutais pas alors que les marchés financiers allaient s'effondrer", indique-t-il en interview.

En 2008, il tombe sur une brève dans un journal américain et découvre que les habitants de Cleveland ont tenté, sans succès, d’intenter un procès à plusieurs banques de Wall Street, responsables, selon eux, des saisies immobilières qui dévastaient leur ville.

Bron décide alors de leur donner une chance d’obtenir justice, quand bien même le procès serait symbolique. Il recrute alors des témoins pour chacune des parties : des victimes des subprimes forcés à quitter leur maison de Cleveland, des banquiers de Wall Street, des spécialistes de l’économie américaine et même un ancien dealer de drogue, reconverti dans la vente de subprimes qui trouvait ses acheteurs dans les quartiers pauvres de son enfance.

Pour recruter les personnages du tribunal, Bron a suivi le même procédé. L’avocat de Cleveland a enfilé son propre costume. L’avocat de la défense était bel et bien déterminé à blanchir les banques de Wall Street. Et le jury était aussi varié que peut l’être la société américaine : une jeune mère célibataire afro-américaine coincée entre un activiste politique très à droite et un immigrant polonais.

Malgré les prémices d’un procès organisé, Bron considère son film comme un documentaire : "Rien n’a été anticipé, ni écrit ou refait", a-t-il répété au gré des interviews. "J’ai entendu leurs témoignages pour la première fois au moment où je tournais. Et j’ai découvert le verdict quand on a filmé les délibérations du jury", affirme-t-il.

Des éléments de suspense

Le réalisateur laisse effectivement la confrontation se dérouler naturellement entre les différentes parties. Il n’apparaît jamais à l’écran, ni n’immisce son indignation personnelle comme le fait Michael Moore.

Cependant, l’opinion de Bron transparaît en toile de fond à travers un personnage bien particulier : celui de Barbara Anderson, une activiste locale – affirmant que Wall Street se remplit les poches sur le malheur des gens pauvres et peu éduqués –, dont le témoignage ouvre et clôt le film. Sa présence dans "Cleveland contre Wall Street" confirme la sympathie qu’éprouve Bron pour ces gens qui se sont endettés en voyant leur part du rêve américain (devenir propriétaire) virer au cauchemar.

A noter que toute l’originalité du film repose sur le verdict, qui repose entre les mains du jury, et non du réalisateur. Cet élément de suspense, présent tout au long du documentaire, permet de tromper l’ennui et la répétition qui caractérise les procès.

Et si les arguments avancés et les émotions ressenties dans "Cleveland contre Wall Street" n’ont rien d’original, le procès fictif a le mérite de se pencher sur une question essentielle du modèle américain : jusqu’à quel point un individu peut-il être tenu pour responsable de son propre bien-être, et dans quelle mesure les institutions devraient-elles être tenues pour responsables ? Le jury, incapable de donner une réponse appropriée, apporte une touche de drame et d’ambigüité, nécessaire à ce documentaire légèrement ennuyeux et plutôt moralement gauche.