Le lait ne serait pas en cause : c’est la conclusion de l'enquête menée par les autorités chinoises après la découverte de trois cas de développement mammaire chez des bébés. Le point sur cette curieuse anomalie avec des spécialistes de la pédiatrie.
Il n’y a pas de lien entre le lait en poudre Synutra et le développement précoce de la poitrine de trois fillettes âgées de quatre à 15 mois. C’est ce qu’affirment les autorités chinoises, alors que trois cas de développement mammaire très précoce ont été découverts dans la province de Hubei, dans le centre du pays.
Les soupçons s’étaient tournés vers le fabricant Synutra car les trois bébés consommaient du lait de cette marque. Mais "ni le lait en poudre Synutra, ni les autres produits testés sur le marché ne contiennent d'hormones anormales", déclarait dimanche 15 août un porte-parole du ministère de la Santé. "Ni hormones synthétiques ni substances illégales n’ont été ajoutées" au lait, s’était lui-même défendu le fabricant Synutra il y a quelques jours.
Le sujet du lait infantile est très sensible en Chine : fin 2008, six enfants étaient morts après avoir bu du lait industriel adjuvé de mélamine, une substance chimique toxique qui permet aux fabricants de couper leur lait avec de l’eau en trichant sur le taux de protéines.
Comment des fillettes de quelques mois peuvent-elles avoir de la poitrine ? Le lait peut-il en être la cause ? Les réponses de deux professeurs spécialistes de la question, Charles Sultan, responsable de l’unité d’endocrinologie pédiatrique au CHU de Montpellier, et Régis Coutant, pédiatre-endocrinologue au CHU d’Angers.
L’apparition de seins chez les enfants est-elle un fait rare ?
Charles Sultan. "On parle de développement mammaire prématuré ou de ‘thelarche précoce isolée’ quand il intervient avant l’âge de 7 ans. Nous en voyons désormais tous les jours dans nos cabinets. Un de mes collègues a d’ailleurs utilisé l’expression d’"épidémie". Cela peut survenir dès les premiers jours de la vie."
Régis Coutant. "S’il n’est pas accompagné d’autres signes de puberté précoce, le développement mammaire chez les enfants, même chez les bébés est relativement fréquent. Ce qui est inquiétant dans les cas chinois, c’est le taux élevé d’œstradiol dans le sang de ces fillettes, qui laisse penser à une véritable puberté précoce, ce qui est très rare pour les bébés – je n’en ai moi-même jamais vu. Alors oui, trois cas, c’est très bizarre et intriguant."
Peut-on incriminer le lait ?
Régis Coutant. "Sauf à imaginer des anomalies dans le processus de fabrication, ce qui ne pourrait pas arriver en France car le lait est très contrôlé, je ne vois pas comment incriminer le lait."
Charles Sultan. "Je ne peux bien sûr pas dire si le lait chinois est en cause, mais c’est possible. Dans de nombreux pays, on stimule la croissance des vaches et leur production de lait avec des œstradiols de synthèse, que l’on retrouve ensuite dans le lait. Or l’œstradiol stimule la croissance mammaire."
Quelles autres causes sont possibles ?
Régis Coutant. "Il y a des facteurs génétiques. La puberté précoce peut aussi être causée par une ‘cause centrale’, comme une tumeur cérébrale."
Charles Sultan. "Outre les causes endogènes, les facteurs exogènes, environnementaux, sont de plus en plus mis en cause. Certaines substances chimiques, appelées perturbateurs endocriniens, perturbent le fonctionnement des hormones. On les trouve dans l’air, l’eau, la nourriture, les crèmes, les plastiques, etc. Exemples : le bisphénol A, les phtalates, les pesticides. L’enfant est contaminé avant sa naissance à travers le placenta, puis après par inhalation, ingestion ou pénétration cutanée."
Quelles sont les conséquences sur la santé de telles anomalies ?
Régis Coutant. "Il y a une souffrance psychologique liée au décalage avec les autres – une poitrine trop tôt développée est souvent mal vécue. Certains comportements à risque liés à l’adolescence (suicide, prise de drogue) peuvent être exacerbés par ce décalage car l’enfant se sent isolé. Et la croissance s’arrête souvent plus tôt : l’adulte sera donc plus petit que la taille qu’il aurait dû avoir."
Charles Sultan. "Si de plus en plus de petites filles voient leur poitrine pousser de façon précoce, l’âge moyen des règles s’est en revanche stabilisé depuis 25 ans, autour de 12 ans et demi en France. Si une fillette présente trop tôt un taux d’œstrogènes élevé, ses organes (glandes mammaires, utérus) seront donc soumis plus longtemps à l’agressivité de cette hormone, qui sera contrebalancée à partir du moment où la jeune fille est réglée par l’effet protecteur de la progestérone, hormone produite après l’ovulation. Or, plus une glande est stimulée, plus elle se développe et plus le risque de développer plus tard un cancer de ces organes sera important."