correspondante à Berlin – Un éditeur britannique a lancé en Allemagne "Zeitungszeugen", un journal dont le principe est de reprendre le contenu de publications d'époque. Le numéro un traite de l'accession d'Hitler au pouvoir, notamment à travers des journaux nazis.
La propagande nazie est de retour dans les kiosques allemands. "Der Angriff", le quotidien national-socialiste créé par le ministre de la Propagande d'Adolf Hitler, Joseph Goebbels, est disponible dans toute l'Allemagne depuis la semaine dernière.
Un éditeur anglais, Peter McGee, vient de lancer un hebdomadaire qui contient des rééditions de journaux publiés sous le Troisième Reich. Le premier exemplaire de "Zeitungszeugen", les journaux témoins, comporte trois facsimilés : le journal national-socialiste "Der Angriff ", le quotidien conservateur "Deutsche Allgemeine Zeitung" et le communiste "Der Kämpfer". Tous sont datés du 30 janvier 1933, date de l'accession des nazis au pouvoir, avec l'élection d'Adolf Hitler au poste de chancelier du Reich.
Alors que Joseph Goebbels jubile en première page du journal "Der Angriff" ("Nous allons faire table rase du passé", "Le national-socialisme ne fera pas les choses à moitié"), le communiste "Der Kämpfer" appelle ses lecteurs à manifester contre la dictature. Le conservateur "Deutsche Allgemeine Zeitung" salue l'arrivée des nazis au pouvoir et déclare vouloir juger en fonction des résultats : "Le futur et non pas le passé compte."
"Nous montrons comment fonctionnait la propagande"
Chaque semaine, "Zeitungszeugen" propose le même concept : un évènement, trois perspectives journalistiques. Mais ce sont forcément les rééditions de "Der Angriff", qui comporte des articles signés par Goebbels et les discours d'Hitler, mais aussi des petites annonces et des caricatures antisémites et racistes, qui attirent le plus l'attention.
C'est en effet la première fois dans l'histoire de l'Allemagne que des sources nationales-socialistes sont directement accessibles au grand public.
L'éditeur a d'ailleurs pris soin de ne pas colporter l'idéologie nazie sans la commenter. Les documents historiques sont donc mis en perspective par des historiens de renom.
"Nous montrons comment fonctionnait la propagande, comment la presse était contrôlée et ce qu'écrivait Goebbels dans ses journaux", explique la rédactrice en chef de "Zeitungszeugen", l'historienne Sandra Paweronschitz. "Les journaux sont des sources originales qui livrent, en plus de l'actualité politique, des informations précieuses sur la vie et le quotidien des Allemands de l'époque."
Ainsi, le premier numéro revient sur l'instabilité de la démocratie allemande entre 1918 et 1933 et l'irrésistible ascension des nazis dans les années 20. Un tour d'horizon de la presse allemande de l'époque permet également aux lecteurs d'aujourd'hui de mieux comprendre le paysage médiatique de cette période.
Les cinquante exemplaires de "Zeitungszeugen" qui seront mis en vente jusqu'à la fin de l'année couvriront toute la période du Troisième Reich jusqu'à la Libération en 1945. La presse allemande démocratique, peu à peu muselée par Hitler, sera remplacée dans "Zeitungszeugen" au fur et à mesure par des quotidiens produits à l'étranger auxquels contribuaient les journalistes et les intellectuels allemands en exil.
Pas convaincu des vertus pédagogiques du projet
Un voyage controversé dans le lourd passé national. Tout le monde n'est pas convaincu des vertus pédagogiques du projet. Ainsi, la présidente du consistoire des Juifs d'Allemagne et survivante de l'Holocauste, Charlotte Knobloch, espère que les lecteurs ne se contenteront pas de lire les journaux sans les commentaires des historiens, sans quoi leur lecture pourrait "être fatale".
L'éditeur de "Zeitungszeugen" n'en est pas à son premier essai. L'Allemagne est le neuvième pays dans lequel l'Anglais McGee applique cette formule. Le concept, publié l'année dernière en Autriche sous le nom de "NachRichten", s'est écoulé en moyenne à 10 000 exemplaires chaque semaine. En Allemagne, la maison d'édition table sur 100 000 exemplaires.