
Les industriels du marché du halal, en pleine expansion, multiplient les campagnes publicitaires avant le début du ramadan. La marque Isla Délice annonce notamment une "opération inédite" avec des affiches qui changeront à la tombée du jour...
Les produits halal n'aiguisent pas seulement l'appétit des musulmans qui s'apprêtent à pratiquer le jeûne pendant le mois de ramadan. Estimé à 5,5 milliards d'euros en 2010, ce marché en pleine expansion - près de 15 % par an - suscite la convoitise des acteurs du secteur. Engagés dans une bataille acharnée pour conquérir des parts du gâteau, ils déploient des stratégies publicitaires de plus en plus importantes.
Cette année, c'est Isla Délice qui semble frapper le plus fort. La marque de la société Zaphir, leader sur le marché de la charcuterie et des surgelés halal, a lancé le 2 août une campagne publicitaire massive à l'échelle nationale : 6 000 panneaux publicitaires dans près de 150 villes et un slogan: "Fièrement halal". "Ils ont dû mettre au bas mot 300 000 euros sur la table", estime Abbas Bendali, directeur du cabinet spécialisé dans les études marketing ethnique Solis. Il s'agit de "la plus grande campagne d'affichage réalisée sur le marché du halal", assure la marque dans un communiqué.
Des affiches blanches le jour, avec des plats de ramadan la nuit
Surtout, outre l'affichage, une "opération évenementielle" reposant sur un système de rétro-éclairage va être lancée le 10 août, au début du ramadan. De jour, les affiches montreront une table desservie, recouverte d'une nappe blanche. Dès la tombée de la nuit, à la rupture du jeûne, la table apparaîtra recouverte de plats typiques de cette période de l'année.
L'an dernier, c'est la marque Zakia du groupe Ferico, une filiale de Panzani, qui avait marqué un grand coup en lançant "la première pub TV halal". Alors que la publicité pour le halal était jusque là cantonnée aux médias communautaires traditionnels, un spot a été diffusé pendant l'été sur les chaînes nationales TF1 et M6. Une opération que la marque a depuis repétée, d'autres acteurs du marché lui ayant ensuite emboîté le pas. "L'apparition de campagnes publicitaires grand public date d'à peine un an, observe Abbas Bendali. Le marketing autour du halal se développe de façon accélérée."
Pour la première fois cette année, Reghalal, la marque du numéro un français de la volaille LDC, a elle aussi investi dans une campagne de communication. "Il y a de plus en plus d'intervenants sur le secteur, la concurrence est rude. Il faut que nous justifiions notre place dans les rayons", explique Eloïse Poirier, responsable du marketing halal de la marque. Reghalal a donné le coup d'envoi de la campagne pour le ramadan 2010, en faisant démarrer sa campagne d'affichage - 1 400 panneaux à Paris et dans sa banlieue et à Lille - dès le 5 juillet.
Un ton plus moderne
Un ton "décalé et résolument moderne" pour "des clients musulmans bien dans leur époque", selon le communiqué d'Isla Délice... Avec son visuel et son slogan "Fièrement halal", la marque entend aussi innover sur le fond, et pas seulement sur la forme.
"Cette publicité est réussie, juge Abbas Bendali. La marque assume totalement sa cible et utilise l'humour. Jusque-là, les campagnes étaient factuelles ; désormais elles créent un lien avec les consommateurs, dont la majorité est plutôt jeune. Elles utilisent un ton moderne pour s'adresser à eux."
A côté, le spot publicitaire de Zakia, dans lequel des personnes de type maghrébin se précipitent vers des plats Zakia Halal dans un supermarché, ou les affiches de Reghalal et son slogan "Régalez-vous", font pâle figure. Eloïse Poirier l'admet, mais justifie le choix de la marque : "C'est notre première campagne de communication. Nous devions commencer par réaffirmer ce qui est à la base de notre positionnement, c'est-à-dire la notion de plaisir, avec notre slogan 'Régalez-vous', et notre caution halal, certifiée par la mosquée d'Evry. Peut-être que notre message pourra évoluer ensuite."
- Une viande est halal - ce qui signifie "licite" en arabe - si elle provient d'un animal sacrifié dans un abattoir selon les rites musulmans.
- 4,5 milliards d'euros seront dépensés par les ménages en 2010, selon Solis. Un chiffre en hausse de plus de 10 % par rapport à 2009.
- On compte plus de 5 millions de musulmans en France, dont près de 90 % achète des produits halal
- La viande (99 %) et la charcuterie (70 %) sont les principaux produits achetés
- La consommation de plats cuisinés et de charcuterie a augmenté de plus de 30 % entre avril 2009 et avril 2010.
- 1 milliard d'euros sera dépensé dans le circuit de la restauration rapide en 2010
- En 2008, le marché total était estimé à 4 milliards d'euros
"Il n'est pas facile de faire passer un message en 10 secondes à la télévision, nuance également Abbas Bendali. Zakia a osé se lancer mais n'avait pas les moyens de se payer un Jamel Debbouze par exemple. En plus, la représentation du consommateur est difficile car le public cible est protéiforme. La majorité des musulmans de France viennent du Maghreb, mais certains sont originaires d'Afrique sub-saharienne ou de Turquie. Les styles de vie sont aussi très variés."
Coq gaulois
A l'époque, l'initiative de Zakia avait suscité un "buzz" important. Positif, beaucoup estimant qu'avec l'apparition de publicités pour les produits halal, les consommateurs musulmans accédaient au rang de consommateurs comme les autres ; ou négatif, certains jugeant le spot désuet ou caricatural et marquant un repli identitaire... La campagne d'Isla Délice suscitera-t-elle autant de réactions ? "Le coq et la référence à la phrase de De Gaulle, 'Les Français sont des veaux', renvoient d'une certaine façon à la question de l'appartenance nationale, indique Abbas Bendali. Certains esprits chagrins se diront sûrement que les musulmans nous ont piqué le coq gaulois... Mais la plupart d'entre eux sont aussi des Gaulois !"
Les industriels tels Nestlé ou Fleury-Michon, de plus en plus présents sur le marché du halal, n'ont en revanche pas encore lancé de grandes campagnes de communication sur ces produits. N'étant pas spécialisés sur le secteur et s'adressant à des consommateurs multiples, leur communication s'avère plus difficile à mettre en place.