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Pourquoi l'Arabie saoudite et les Émirats veulent-ils interdire le BlackBerry ?

Invoquant des raisons sécuritaires, l'Arabie saoudite a annoncé qu'elle allait suivre l'exemple des Émirats arabes unis et interdire l'usage du BlackBerry. Ou quand la sécurité digitale va à l'encontre de la confidentialité...

La popularité du BlackBerry peut se vérifier dans n’importe quel centre d’affaires du monde. Des businessmen empressés tapent furieusement sur les touches de leur petit clavier alors que d’autres courent avec leur appareil attaché à la ceinture, le "bzzz bzzzzz" caractéristique de l’objet bourdonnant en permanence.

Très peu d’adeptes du BlackBerry l’utilisent comme un objet de loisirs ou de mode, à l'image des détenteurs du très populaire iPod d'Apple. Au contraire, les utilisateurs du BlackBerry en parlent comme d'un objet quasi-vital - au moins professionnellement - pour recevoir et émettre des appels, envoyer des courriers électroniques sécurisés… Sa simplicité - c’est l’un des seuls téléphones doté d’un vrai clavier - et la surêté des communications, assurée grâce à un cryptage des données, ont fait du BlackBerry le chouchou des hommes et femmes d’affaire. Pourtant, ce qui a fait la renommée de la marque commence à lui faire du tort.

Réseaux ouverts vs réseaux fermés

Deux des économies les plus importantes et les plus avancées technologiquement du Golfe ont annoncé qu'elles allaient interdire l'usage de l'appareil, au nom de préoccupations sécuritaires. Les Emirats arabes unis ont déclaré dimanche que l'utilisation des services de données du BlackBerry ne serait plus autorisée à partir d'octobre. Le demi-million d'usagers vivant aux Emirats devra trouver d'ici là d'autres outils pour envoyer et recevoir des messages et les visiteurs se verront eux aussi bloquer l'accès à leur messagerie.

L'Arabie saoudite a également déclaré que l'utilisation de l'appareil serait interdite à partir de ce vendredi 6 août.

La question centrale pour l'Arabie saoudite et les Emirats arabes unis, comme pour de nombreux autres pays, est celle du haut degré de cryptage qui protège les données circulant sur le réseau BlackBerry.

A la différence d'autres plateformes de mails telles que Yahoo! Mail ou Hotmail de Microsoft, BlackBerry n'utilise pas l'Internet ouvert pour transmettre des mails ou des messages d'un point à un autre. Au contraire, quand un utilisateur de BlackBerry envoie un message, les données voyagent par le biais d'un réseau global fermé mis en place par le fabriquant de l'appareil, Research in Motion (RIM).

Si ce réseau fermé rassure les utilisateurs qui souhaitent protéger la confidentialité de leurs messages, c'est aussi une source de frustration majeure pour les gouvernements, les Emirats arabes unis notamment, qui ne peuvent contrôler ce dispositif de la même façon que les autres.

Débat national sur la sécurité

Les autorités de l'Emirat justifient leur décision de restreindre l'utilisation du BlackBerry par la necessité de protéger la sécurité nationale. Si les services de renseignement émiratis sont incapables de surveiller les mails et messages envoyés par des terroristes utilisant des BlackBerry, disent les autorités, cela pose une menace réelle à la sécurité du pays.

L'un des exemples fréquemment utilisé pour appuyer ce discours est l'assassinat d'un leader du Hamas, en janvier 2010 à Dubaï, attribué à des agents israéliens. Le fait que ce meurtre ait eu lieu à Dubaï et que les services de renseignement n'en aient pas eu connaissance a été un véritable choc pour le gouvernement d'Abou Dhabi. Cet incident, et la frustration qu'il a provoquée chez les autorités, expliqueraient en grande partie la décision d'accroître la surveillance électronique et sécuritaire.

Si RIM n'a pas réagi à l'annonce des Emirats arabes unis, il semble qu'un compromis pourra être trouvé. Le groupe a réaffirmé mercredi qu'il espérait "parvenir à une solution" avec le gouvernement indien, qui a également des préoccupations sécuritaires fortes concernant son incapacité à contrôler les données de BlackBerry. RIM a néanmoins démenti des informations de presse selon lesquelles il autoriserait les services de renseignement indiens à lire des messages cryptés d'utilisateurs dans le pays. "Il ne peut y avoir de compromis sur la sécurité pour les communications de nos clients", a précisé le groupe.

"Un pas dans la mauvaise direction"

Tous les gouvernements ne soutiennent pas, cependant, la décision de l'Inde et des Emirats arabes unis de durcir les politiques de contrôle de l'information. "Les Emirats arabes unis ont des raisons d'être préoccupés par la façon dont l'information peut être utilisée par ceux qui souhaitent attaquer leur pays. Mais limiter l'expansion des technologies au XXIe siècle est, selon nous, un pas dans la mauvaise direction", a déclaré le porte-parole du département d'Etat américain, Philip Crowley.

Par ailleurs, des organisations internationales de défense des médias, comme Reporters sans frontière, ont dénoncé l'interdiction du BlackBerry aux Emirats, estimant qu'elle allait limiter la liberté d'expression dans le pays. Certains s'inquiètent également de l'impact négatif que cette décision pourrait avoir sur l'industrie du tourisme, particulièrement sur les quelque 100 000 visiteurs qui transitent chaque jour par l'aéroport de Dubaï.

Au suivant ?

Si de nombreux gouvernements concentrent actuellement leur attention sur BlackBerry, ce n'est pas la seule plateforme à proposer des communications en ligne sécurisées. Le service Gmail de Google crypte aussi, désormais, les mails qui passent par son serveur. Bien que le cryptage utilisé par Gmail ne soit pas aussi étendu que celui utilisé par BlackBerry, cela souligne la demande forte des utilisateurs - à laquelle les sociétés de technologies répondent - d'un contrôle renforcé de la protection des informations sur Internet.

Jusqu'à présent, rien ne laisse penser que les Emirats vont emboîter le pas à l'Inde et s'opposer directement à Google, mais BlackBerry pourrait être leur ballon d'essai dans cette épreuve de force digitale.