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La dépouille d’un Français disparu pendant la dictature a été identifiée

Trente-quatre ans après avoir disparu sous la dictature argentine, le corps du jeune Yves Domergue (photo) a été identifié. Il était enterré aux côtés de la dépouille de sa compagne dans un village de la province de Santa Fe.

"On sait maintenant qu'il a vécu très peu de temps entre les mains de ses bourreaux. Or, la torture était vraiment un problème pour nous tous dans la famille. On n’en parlait pas, mais on y pensait tous !" Eric, 54 ans, est le frère d'Yves Domergue, le deuxième Français disparu sous la dictature argentine (1976-1983) dont les restes viennent d’être identifiés, après ceux de sœur Leonie Duquet (lien).

Voilà 34 ans que celui-ci attendait cette annonce. Trente-quatre années pendant lesquelles il a remué ciel et terre avec son père Jean afin de retrouver la dépouille d’Yves, enterrée anonymement le 29 septembre 1976 dans le petit cimetière de Melincué, un village situé à 340 km au nord-ouest de Buenos Aires.

30 000 "desaparecidos" argentins

Après s'être emparée du pouvoir lors d'un coup d'Etat en mars 1976, la junte militaire argentine généralise la méthode des disparitions forcées : opposants ou syndicalistes et leur famille sont kidnappés, torturés dans des centres de détention clandestins puis tués. Ils sont enterrés dans des terrains vagues ou jetés à la mer depuis des hélicoptères, drogués et encore vivants, lors des "vols de la mort".
On estime à 30 000 le nombre de disparus (les "desaparecidos") pendant la dictature (1976-1983), dont 18 Français.

Trois jours plus tôt, le cadavre du jeune Français avait été retrouvé sur le bas-côté d'une route de la commune, aux côtés de celui de sa compagne mexicaine, Cristina Cialceta. Jeune militant d’extrême gauche engagé au Parti révolutionnaire des travailleurs (PRT), Yves n’avait que 22 ans lorsqu’il a été liquidé par les militaires. Né à Paris en 1954 au sein d'une famille catholique, celui-ci avait grandit en Argentine. Ses parents étaient venus s’installer dans le pays alors qu’il n’avait que 5 ans, en 1959. Mais au lieu de rentrer en France avec eux en 1974, il avait décidé de rester dans son pays d’adoption...

"Tant d'années passées à les rechercher..."

"À la mort d’Yves, l'État terroriste a su imposer le silence. Tout le monde, à Melincué, savait que son corps et celui de son amie avaient été retrouvés par un paysan. Mais personne ne voulait parler. Les gens avaient peur. C’était en septembre 1976, en pleine dictature militaire", se souvient Horacio Mendez Carreras, l'avocat des familles françaises de disparus. En relisant l'énorme correspondance qu'il a entretenue avec les parents des victimes, celui-ci n'en revient pas. "Tant d'années passées à les rechercher... Le père d'Yves, la mère de Cristina... Ils n'ont jamais désespéré !"

L’identification des corps d’Yves Domergue et de Cristina Cialceta a été rendue possible grâce à la persévérance d'un avocat, Rogelio D'Angelo, qui n'a jamais détruit le dossier. "Grâce aussi à une enseignante de Melincué, qui a décidé de faire travailler sa classe de terminale sur l’affaire. Malgré cinq années sans résultats, celle-ci n’a jamais abandonné. Elle a fini par contacter le secrétariat aux droits de l'Homme de la province de Santa Fe qui a décidé de rouvrir l'affaire". Éric Domergue n'en revient pas : il n'était pas le seul à rechercher son frère !

Hommage

Les dépouilles du jeune couple ont été exhumées en 2008, puis analysées par l'Équipe d'anthropologie légale d'Argentine. "Les corps étaient criblés de balles. De véritables passoires ! Une étude historique, géographique et anthropologique a été lancée. Et, finalement l'ADN a parlé", raconte Luis Fondebrider, en charge du dossier.

Un hommage aux deux victimes doit être rendu ce mercredi au siège du gouvernement argentin, en présence de la présidente Cristina Kirchner, de l'ambassadeur de France et d'un représentant de l'ambassade du Mexique.

Leurs cendres seront ensuite inhumées, le 7 août, à Rosario, où Yves Domergue avait rencontré Cristina et posté sa dernière lettre à son frère, en septembre 1976… L’un et l’autre reposeront dans un espace dédié aux victimes de la dictature

Au total, seules quelque 400 personnes disparues pendant la dictature militaire argentine ont été identifiées.

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