A Vienne, le MAK expose des tableaux venus de Pyongyang. "Pour montrer l’art contemporain tel qu’il est vécu là-bas", justifie la commissaire de l’exposition alors que les critiques fusent quant à la neutralité politique adoptée par le musée.
Vue par ses peintres, la Corée du Nord est un pays au ciel bleu, fait de verts pâturages et de forêts enneigées, peuplé d’enfants rêveurs et de balayeuses enjouées dès l’aube. Un monde aux couleurs franches – le bleu et le rouge dominent – et sur lequel se penchent deux figures au regard bienveillant : le fondateur du régime communiste, Kim Il-Sung, et son fils et successeur, Kim Jong-Il.
Le Musée des arts appliqués (MAK) de Vienne propose depuis fin mai l'exposition "Flowers for Kim Il-Sung" (Des fleurs pour Kim Il-Sung), qui rassemble une centaine de tableaux signés d’artistes nord-coréens, fonctionnaires de la République populaire démocratique de Corée. Est également exposé l’art architectural imposant qui prévaut à Pyongyang.
L’exposition a été possible grâce à une coopération étroite avec la Korean Art Gallery, le musée national. Le soir du vernissage, le directeur du musée nord-coréen, Han Chang Gyu, a pris la parole pour exhorter les visiteurs à "mieux comprendre" son pays grâce à ces œuvres d’art qui "décrivent le quotidien héroïque de [notre] peuple", rapporte la BBC.
Tractations avec Pyongyang
Il a fallu de longues négociations pour que ces peintures et ces affiches franchissent pour la première fois les frontières nord-coréennes. Parmi les huiles les plus difficiles à faire sortir de Corée : seize portraits de Kim Il-Sung et de Kim Jong-Il. Ils portent des enfants dans leurs bras, font mijoter la soupe des travailleurs, encouragent des agriculteurs. Aux yeux des commissaires du musée viennois, ces œuvres sont les plus intéressantes. Déjà, parce qu’elles sont peintes par les meilleurs artistes nord-coréens. Ensuite, parce qu’elles respectent les canons stricts de la plus pure tradition stalinienne.
Etonnamment, le MAK a dû insister pour obtenir ces portraits et surmonter les réticences de Pyongyang. "Ces tableaux sortent pour la première fois de Corée du Nord", explique Bettina Busse, commissaire de l’exposition, jointe au téléphone par France24.com. "Et puis, les Nord-Coréens ont conscience du regard critique que posent les Occidentaux sur ces images iconiques. Ils ne comprennent pas bien pourquoi on s’y intéresse."
Le MAK a négocié ferme pour avoir la liberté d’organiser l’espace d’exposition comme il le souhaite. Mais le texte de présentation, tout comme le catalogue de l’exposition, a été relu par Pyongyang. Et les exigences nord-coréennes sont très précises. "Dans le catalogue, il fallait que les reproductions papier des portraits de Kim Il-Sung et de Kim Jong-Il soient de grande taille, et que l’image ne soit pas coupée par la ligne médiane du livre", détaille Bettina Busse. Impossible d’imposer ces mêmes critères à la presse. Du coup, les portraits des dirigeants nord-coréens ne sont pas rendus publics (sauf dans un reportage vidéo diffusé sur la BBC).
Cette position de compromis a été amplement débattue et critiquée dans les milieux politiques et artistiques en Autriche. Mais le MAK soutient qu’il ne participe pas à la propagande nord-coréenne. "Les visiteurs du musée savent pertinemment que le régime de ce pays est la dernière dictature au monde. Ils n’ont pas besoin qu’on leur dise. Nous sommes là pour montrer l’art contemporain nord-coréen tel qu’il est vécu et exposé là-bas, pas pour parler de politique."
Pour ceux qui seraient frustrés du manque de recul proposé par l’exposition, rendez-vous leur est donné au MAK début septembre, les 3 et 4, pour un colloque détaillé sur l’art nord-coréen. Les discussions ne feront pas l’impasse sur la situation politique, promettent les organisateurs.
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