Les syndicats se félicitent de l'ampleur du mouvement contre le projet de réforme des retraites, qui a mobilisé selon eux près de deux millions de personnes à travers la France. La police a, elle, recensé 800 000 manifestants.
AFP - "A ce rythme, je pense que je n'arriverai pas au bout des 62 ans": comme Olivier Brouzes, un ouvrier d'ArcelorMittal, les Français qui ont manifesté jeudi contre le projet de loi sur les retraites ont exprimé leur crainte d'être usé et leur colère devant le recul de l'âge légal.
Dans le cortège marseillais, cet homme de 36 ans raconte qu'il travaille depuis 13 ans à Fos-sur-Mer chez l'aciériste. "Avec les conditions de travail qu'on a, la pénibilité, les trois huit, la chaleur, la poussière, beaucoup de manutention, on perd déjà 10 à 12 ans d'espérance de vie".
Egalement ouvrier, dans une usine de l'équipementier automobile Delphi Diesel, près de La Rochelle, Christophe Lambert met aussi en avant l'espérance de vie.
"Je travaille en équipe en 2/8. On sait que quelqu'un qui travaille en 2/8 a une espérance de vie inférieure de 8 ans par rapport à celui qui travaille en normal. Si je dois encore travailler 15 ans à ce rythme, je pense que je n'arriverai pas au bout des 62 ans".
Même type de remarque à Lyon de la part d'Hocine Mimoune, 37 ans, employé du groupe de chimie Rhodia: "Je ne vois pas comment je vais tenir encore 30 ans à ce rythme-là. Je ne veux pas crever au boulot".
"Nos missions sont difficiles, avec beaucoup de manutention, on ne peut pas imaginer bosser jusqu'à 62 ou 63 ans", proteste Jérôme Baelis, opérateur logistique aux verreries d'Aniche (Nord).
Josette Jégo, une Strasbourgeoise fonctionnaire territoriale en garderie constate amèrement: "On souffre presque tous du dos à force de porter les enfants (...) il y a une pénibilité dont on ne veut pas tenir compte".
Mal, fatigue, usure: ces mots reviennent et font écho aux principaux points de la réforme qui cristallisent l'opposition syndicale: recul de l'âge légal de départ à 62 ans, de l'âge à un taux plein garanti à 67 ans, et une prise en compte individuelle de la pénibilité, via une visite médicale, et non par métier.
Mais la pénibilité n'est pas que physique, avance un ingénieur commercial de Hewlett-Packard, Michel Soumet, âgé d'une cinquantaine d'années. "Nous avons une pénibilité psychologique avec le stress, la pression, la demande de résultats, des contrats d'objectifs", note-t-il dans la manifestation toulousaine.
Outre la pénibilité, l'impact du prolongement de la vie active sur l'emploi des jeunes est aussi un argument avancé par les manifestants.
"Comment peut-on baisser le chômage si on fait travailler les vieux jusqu'à presque 70 ans", s'emporte à Strasbourg Harry, qui travaille dans l'industrie et refuse de donner son nom.
Dans la plupart des cortèges, les femmes, qui ont des carrières avec davantage de trous, sont venues nombreuses défendre les droits acquis.
A Nice, Annie Durante, bien que déjà retraitée, a manifesté au nom de l'association féministe l'Alliance des femmes pour la démocratie.
"Les femmes poursuivent aujourd'hui jusqu'à 65 ans pour avoir une retraite sans décote, désormais elles vont être obligées de travailler jusqu'à 67 ans", déplore cette militante.
A Boulogne-sur-Mer, Micheline Trépagne, une orthophoniste de 54 ans dans un centre de rééducation, s'inquiète elle de "ne pas savoir à quel âge (elle va) partir en retraite avec la remise en cause des droits".
En défilant, cette mère de famille porte une pancarte sur laquelle elle a écrit: "Métro-boulot-caveau".