Invité au prochain Festival de Cannes, le ministre italien de la Culture boycottera l'événement afin de protester contre la projection de "Draquila, l'Italie qui tremble", de Sabina Guzzanti, qu'il considère comme un "film de propagande".
Le gouvernement italien snobe très officiellement le Festival de Cannes. Sandro Bondi, ministre italien de la Culture depuis deux ans, a annoncé samedi qu’il ne se rendra pas sur la Croisette, afin de protester contre la projection du film "Draquila, l'Italia che trema" ("Draquila, l'Italie qui tremble"), réalisé par sa concitoyenne Sabina Guzzanti.
Dans un communiqué, le ministre explique avoir "décliné l'invitation", exprimant son "trouble" face à la sélection d'un film "qui offense la vérité et le peuple italien dans son ensemble". Le long-métrage sera présenté parmi les films de la "Séance spéciale", sélection officielle hors-compétition du Festival de Cannes, qui se tient du 12 au 23 mai.
Le "film de propagande" que dénonce Sandro Bondi est signé d’une femme qui a l'habitude de s’attirer l’ire de l’administration Berlusconi. Sabina Guzzanti se grime régulièrement en "Cavaliere", et utilise le cinéma comme lieu de satire politique. En 2005, son documentaire "Viva Zapatero", présenté en marge de la Mostra de Venise, avait attiré 300 000 spectacteurs italiens dans les salles. Elle y dénonçait la censure dont elle avait été victime en 2003 à la télévision publique italienne, lorsque la chaîne RAI 3 avait refusé de diffuser une série d’émissions qu'elle avait réalisée.
Cette fois, dans "Draquila" (mélange de Dracula et d'Aquila), Sabina Guzzanti s’intéresse à la façon dont le gouvernement Berlusconi a fait face au violent séisme qui a détruit la ville médiévale de L’Aquila, le 6 avril 2009. Le tremblement de terre avait fait 308 morts et privé 80 000 personnes de logement.
Dans une interview au site Internet Articolo 21, celle-ci explique ainsi que "les habitants de L'Aquila sont restés sous la tente pendant six mois seulement parce que le gouvernement voulait donner à voir le 'miracle' des maisons" remises en grande pompe aux sinistrés, en septembre 2009. "Ce film est une réflexion sur la dérive autoritaire de ce pays".
Un peu à la façon d’un Michael Moore, Sabina Guzzanti réalise un film à charge contre la communication du gouvernement, tournée en dérision. Tout comme son confrère américain, la réalisatrice italienne aime se mettre en scène - et, surtout, se déguiser. Dans "Viva Zapatero", son travestissement en Silvio Berlusconi était, déjà, le clou du film.
La réaction outrée du ministre italien de la Culture, Sandro Bondi, suscite l’embarras dans la péninsule. Le réalisateur italien Daniele Luchetti, dont le film "La Nostra Vita" figure dans la sélection officielle du festival, critique sa position de façon à peine voilée. "Je ne sais pas trop quoi dire à propos d'un ministre qui a honte d'un artiste libre, a-t-il déclaré aux médias italiens samedi. Un pays libre doit montrer ce type de spectacles. Il faut être fier de montrer à l'étranger une telle démonstration de liberté".
Le député européen du parti de centre-gauche "Italie des valeurs", Luigi de Magistris, ne ménage pas non plus sa colère. "Ce qui insulte la liberté et le peuple italien, ce ne sont ni l'art ni l'information, mais un ministre qui, au lieu d'honorer ses engagements institutionnels, récite le rôle de fidèle serviteur du Premier (ministre) en désertant" Cannes, a-t-il déclaré.
Sur Facebook, les opposants à Silvio Berlusconi commentent allègrement cet événement culturo-politique, qui ne manquera pas de faire une belle publicité à Sabina Guzzanti sur la Croisette...