Quelques heures après l'annonce de la mort du valétudinaire président nigérian Umaru Yar'Adua, le dirigeant par intérim, Goodluck Jonathan, a été investi des fonctions présidentielles, qu'il devra assumer jusqu'à l'élection d'avril 2011.
Goodluck Jonathan a été officiellement investi au poste de chef de l’État, jusqu’à l'élection présidentielle qui doit se tenir en avril 2011. Le nouvel homme fort du Nigeria a prêté serment quelques heures après l'annonce de la mort du président Umaru Yar’Adua. Le pays le plus peuplé d’Afrique, huitième producteur mondial de pétrole, était préparé à cette nouvelle : depuis le mois de février, alors que la gravité de l’état de santé de Yar'Adua était passé sous silence et que la vacance du pouvoir devenait flagrante, le vice-président avait pris officiellement l’intérim du pouvoir.
itHospitalisé en Arabie saoudite en novembre 2009, Yar'Adua avait laissé le fauteuil de président inoccupé et les appels à la démission s'étaient multipliés. En janvier, il avait accordé une interview à la BBC, affirmant qu’il allait "mieux". Mais aucune image ni vidéo de lui n'étaient disponibles. Des manifestations avaient éclaté pour dénoncer l'absence de l'exécutif. Dans le courant du mois de janvier, le vice-président Jonathan était appelé à exercer les pouvoirs du chef de l’État pour prendre officiellement ses fonctions en février.
Au fil des semaines, Goodluck Jonathan assoit son autorité comme président par intérim. Lors de son premier conseil des ministres en février, il remanie le cabinet. Fin avril, il révoque le président de la commission électorale Maurice Iwu, rendu responsable de la mauvaise organisation de l'élection de 2007, entachée de soupçons de fraude.
L’homme sur lequel personne n’aurait misé
Aujourd'hui, le pays attend la nomination d’un nouveau vice-président, qui sera logiquement originaire du nord du pays, Goodluck Jonathan étant issu du Sud. L’équilibre politique entre le Nord, majoritairement musulman, et le Sud, composé essentiellement de chrétiens, est crucial au Nigeria : le principe d’une alternance n’est pas inscrit dans la Constitution, mais obéit à un accord tacite. Après le double mandat (1999-2007) d’Olusegun Obasanjo, issu du Sud, l’élection d’un homme politique venant du Nord du pays, en l’occurrence Umaru Yar'Adua, suivait cette logique.
itLe choix de Goodluck Jonathan comme candidat du PDP (People’s Democratic Party) aux prochaines primaires, prévues à l’automne, n’est donc pas une évidence. "Les barons du parti devraient plutôt choisir un candidat du Nord", estime Daniel Bach, chercheur au CNRS, spécialisé dans la politique nigériane.
L’actuel président nigérian n’a plus que quelques mois pour tordre la logique de l’alternance Nord-Sud et affirmer ses ambitions présidentielles. "C'est quelqu’un sur qui personne n’aurait misé il y a quelques années", explique Daniel Bach. En 2005, il est propulsé gouverneur de Bayelsa, un État producteur de pétrole, après la démission du gouverneur, éclaboussé par une affaire de blanchiment d’argent. "Il se retrouve de fait président aujourd’hui. C’est celui qu’on n’attendait pas. Et qui n’est pas forcément un grand stratège politique. Par la force des choses, il se retrouve à être à l’homme de la situation."
Épée de Damoclès
Ce jeudi, Goodluck Jonathan a réaffirmé ses priorités pour le reste de son mandat : l'approvisionnement régulier du pays en électricité, la sécurité dans le delta du Niger et des élections libres et honnêtes. Un programme ambitieux dans un pays où la réhabilitation des infrastructures est une priorité criante. "Le Nigeria est incapable d’être autosuffisant en matière de pétrole raffiné et de fournir l’énergie nécessaire au quotidien des populations", décrit Daniel Bach.
Selon le chercheur, Umaru Yar'Adua n’a pas mené de réforme marquante durant son mandat. "Durant la première moitié de son mandat, les élections étaient menacées d’invalidation pour fraude, une épée de Damoclès pesait sur lui. C’est une des raisons pour laquelle Umara Yar’Adua n’a pas fait grand-chose."
Scruté par Washington
La transition politique jusqu’au scrutin de 2011 est observée avec attention par la communauté internationale. Le président américain, Barack Obama, a adressé ses condoléances à la nation nigériane peu après l’annonce de la mort de Yar’Adua.
Déjà, au mois d’avril, le numéro un américain avait reçu à la Maison Blanche le président par intérim Goodluck Jonathan pour évoquer notamment la sécurité internationale, au lendemain de la tentative d’attentat d'un citoyen nigérian, le 25 décembre 2009. "Goodluck Jonathan a été très bien reçu à Washington. Il y a eu une série de gestes à son égard : le Nigeria a été retiré de la liste des pays à 'tendance terroriste'", rappelle Daniel Bach.
D'ici la présidentielle d'avril 2011, la bataille promet d'être rude parmi les différents membres du PDP. Parmi eux, Nasir Ahmad el-Rufai, proche d'Obasanjo. L'arrivée, samedi à Abuja, de ce populaire ancien ministre de la capitale Abuja (2003-2007), après deux ans d'exil politique aux États-Unis, est commentée dans toute la presse nigériane. Son retour, alors que le poste de vice-président est ouvert, tombe à point nommé. Nasir el-Rufai a l’avantage d’être originaire du Nord. "Il s’est fait connaître pour avoir lutté contre les constructions illégales de la ville, et avoir le sens de la chose publique", analyse Daniel Bach. "Il représente un changement politique essentiel."