![Les embûches judiciaires qui attendent la loi sur le voile intégral Les embûches judiciaires qui attendent la loi sur le voile intégral](/data/posts/2022/07/15/1657891673_Les-embuches-judiciaires-qui-attendent-la-loi-sur-le-voile-integral.jpg)
Conseil d'État, Cour constitutionnel, Cour européenne des droits de l'Homme... La route vers l’application de la loi sur le voile intégral est semée d'embûches. Reste à savoir à qui profitera ce long cheminement.
Ce sera finalement une loi, d'initiative gouvernementale, interdisant de manière générale le port du voile intégral. La décision du président français, Nicolas Sarkozy, mercredi, de soumettre au Parlement un projet de loi interdisant le voile intégral, plutôt qu’une proposition de loi, n’est pas neutre. Préférer le projet de loi signifie que le texte est rédigé et présenté par le gouvernement - alors que dans le cas de la proposition de loi, le texte émane des parlementaires.
Ce geste politique signifie que le président de la République souhaite prendre l’initiative de cette loi, symboliquement. "C’est dans l’idée de s’attribuer le bénéfice politique de cette loi, analyse Jean-Claude Colliard, spécialiste de droit constitutionnel et président de l’Université Paris-I, interrogé par France24.com. Même s’il échoue juridiquement, Nicolas Sarkozy aura marqué cette loi de son empreinte."
Premier obstacle : le Conseil d'Etat
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Le parcours législatif et juridique du projet de loi s’annonce sinueux. Cette procédure rend obligatoire la consultation du Conseil d’Etat. Cependant, l’avis de la plus haute instance de la juridiction administrative est communiqué uniquement au gouvernement – il est tenu secret aux autres intéressés - et n’engage pas l’exécutif. Il en fait ce qu’il veut.
Sauf que le Conseil d’Etat, à qui le Premier ministre, François Fillon, avait commandé un rapport fin mars sur le même sujet, a déjà émis un avis négatif sur une interdiction générale et absolue du voile intégral. Il préconise une interdiction limitée, dans certains services publics où "la sécurité publique et la lutte contre la fraude" justifient "de maintenir son visage à découvert". Or le texte que va défendre le gouvernement fait fi des recommandations du Conseil d’Etat et prône une interdiction totale, ou du moins "la plus large possible", selon le souhait du président français.
Deuxième obstacle : le Conseil constitutionnel
Dès lors que le texte est présenté en conseil des ministres – ce sera chose faite le 12 mai –, il devra être débattu par les deux chambres du Parlement. Si la procédure d’urgence est adoptée, la loi pourrait être votée avant la fin de la session parlementaire.
C’est alors que 60 députés et sénateurs sont en mesure de saisir le Conseil constitutionnel, pour vérifier la constitutionnalité de la loi. Cette haute juridiction est sensible, en général, aux recommandations du Conseil d’Etat. Le Conseil constitutionnel peut retoquer la loi et le gouvernement n’a plus qu’à revoir sa copie – comme c’est fut le cas avec la loi instituant la taxe carbone, sanctionnée par le Conseil constitutionnel, puis abandonnée par le Premier ministre, François Fillon.
Troisième obstacle : la Cour européenne des droits de l'Homme
Si la loi parvenait à traverser indemne les épreuves du passage devant le Conseil d’Etat, des débats parlementaires et éventuellement de l’examen par le Conseil constitutionnel… le texte ne serait pas à l’abri pour autant.
Une personne sanctionnée par la loi peut saisir un juge de droit commun, qui dispose de plusieurs armes juridiques pour attaquer le texte. Dans le cas où le Conseil constitutionnel n’a pas été saisi par les parlementaires, le juge de droit commun peut le faire à son tour : étant "saisi sur le fond", c’est-à-dire sur la constitutionnalité de la loi, il peut renvoyer la question devant la Cour de cassation, qui peut à son tour soumettre le problème au Conseil constitutionnel. De nouveau, le texte peut se faire retoquer.
Une autre voie est possible : celle de questionner la conformité du texte avec la Convention européenne des droits de l’Homme. Ainsi, le requérant peut ensuite faire appel… jusque devant la Cour européenne des droits de l’Homme. Un jugement favorable au requérant aurait alors un retentissement bien plus important, non seulement juridiquement, mais ternirait l'image du gouvernement français.
"Autant l’interdiction dans les lieux publics ne pose pas problème devant la Cour européenne des droits de l’Homme, autant une interdiction générale du voile intégral risque de ne pas passer", estime Jean-Claude Colliard. Le gouvernement sait donc qu’il risque l’échec.
Tous ces rebondissements judiciaires prendront du temps. "Il faut que quelqu’un fasse la démarche de saisir un tribunal. Cela rebondira dans un an, ou un an et demi", prévoit Jean-Claude Colliard. Le calendrier sera alors intéressant : la campagne électorale pour la présidentielle de 2012 battra son plein...