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Le grand retour des "veuves noires" ?

Les femmes kamikazes représentent l’une des armes privilégiées des rebelles islamistes issus du Nord-Caucase. Le double attentat de lundi, à Moscou, a fait ressurgir le spectre de celles qu’on surnomme les "veuves noires".

Il n’a fallu que quelques heures aux autorités russes pour affirmer que les attentats perpétrés lundi matin dans le métro moscovite étaient l’œuvre de femmes kamikazes.

Le radicalisme de ces femmes, prêtes à mourir pour leur cause, rappelle inévitablement les "veuves noires" qui avaient provoqué un véritable traumatisme en Russie en octobre 2002. Près de 20 femmes avaient alors participé à une prise d’otages meurtrière au théâtre de la Doubrovka, à Moscou, au cours de laquelle plus de 130 personnes avaient perdu la vie. Les images les montrant habillées de voiles noirs et bardées de ceintures d'explosifs avaient alors choqué l’opinion publique.

Bien qu’aucun groupe n’ait encore revendiqué le double attentat du métro de Moscou, le chef des services russes de sécurité (FSB), Alexander Bortnikov, assure qu’il est lié à la situation dans le Nord-Caucase. Cette région instable à majorité musulmane est le théâtre d’affrontements répétés depuis les années 1990.

Des femmes livrées à elles-mêmes

L’insurrection en Tchétchénie s’est, depuis, élargie aux républiques voisines du Daghestan et d'Ingouchie, et Moscou y mène une politique ferme de répression. Les pratiques de l’armée russe sont régulièrement pointées du doigt par des associations de défense des droits de l’Homme, qui dénoncent la généralisation des viols et des exécutions sommaires. Ainsi confrontées au viol ou à la perte de leur époux, de nombreuses femmes ont du mal à se réintégrer dans une société régie par des codes islamiques stricts. Elles deviennent alors la cible privilégiées des recruteurs à la recherche de kamikazes prêts à tout pour faire triompher l’insurrection.

"Ces femmes vivent souvent seules avec leurs enfants et leurs proches, assure Alexei Venedictor, journaliste à la radio russe Écho de Moscou. Elles n’ont ni argent ni mari. Il existe des camps spéciaux où elles s’entraînent pour pouvoir un jour venger la mort des membres de leur famille."

Le sentiment de vengeance est le moteur de l’engagement de ces femmes devenues des combattantes. Ainsi l’ancien chef du FSB, Nikolay Kovalev, a déclaré lundi à l’agence russe Rosblat que les attaques du métro de Moscou pouvaient être l’œuvre de personnes issues de la famille de Said Buryatskiy, l’un des chefs de la rébellion au Nord-Caucase, tué au début du mois de mars par les forces russes.

Les miliciennes de Basaïev

De nombreux experts estiment que le chef rebelle tchétchène, Chamil Basaïev, a été l’un des premiers à recruter des femmes pour alimenter les rangs de l’insurrection. Celui-ci est devenu tristement célèbre en septembre 2004, lorsqu’il a organisé une prise d’otages dans une une école à Beslan, en Ossétie du Nord, causant la mort de 334 personnes, dont 186 enfants.

"Basaïev a mis sur pied une milice qui entraînait des femmes, selon Domitilla Sagramoso, professeur au King’s College de Londres, spécialiste des conflits au Nord-Caucase. Ses troupes ont mené plusieurs assauts, dont des attaques dans le métro de Moscou en 1994 [qui ont fait au moins 39 morts]."

Depuis sa mort en 2006, les actes de terrorisme ont été moins fréquents dans les grandes villes de Russie, mais les attaques au Nord-Caucase se sont poursuivies avec la même intensité, même si elles sont peu couvertes par les grands médias russes.

Un basculement vers le salafisme

La nouvelle génération de chefs islamistes au Nord-Caucase semble être en train de basculer du soufisme, traditionnellement dominant dans la région, vers une branche radicale du salafisme.

L’un des commanditaires présumés de l’attentat de lundi à Moscou, Doku Oumarov, illustre parfaitement cette tendance. Autrefois fidèle au soufisme tchétchène, il affirme désormais se battre pour l'établissement d'un "émirat islamique" sur l’ensemble du Nord-Caucase et se réfère régulièrement à ses "frères en Afghanistan, en Irak, en Somalie et en Palestine".

Dans un communiqué mis en ligne le 17 mars sur l’un de ses sites Internet, l’ "émir du Caucase" envoie un message aux "sœurs qui travaillent dans le chemin d’Allah, ainsi qu’aux mères, femmes et sœurs de martyrs", leur demandant de créer "des groupes de femmes pour aider le djihad et les familles de martyrs".

Un mois plus tôt, il avait déjà mis les autorités russes en garde, les prévenant qu’il allait porter la guerre au-delà des frontières du Caucase, selon le centre américain de recherche sur le terrorisme Intel Center. Mais malgré ses prétentions internationales, de nombreux experts russes en contre-terrorisme estiment que le groupe d’Oumarov reste un mouvement d’insurrection d’ampleur régional. Il n’a, selon eux, ni l’organisation ni les connexions dont bénéficient les groupes de terroristes internationaux comme Al-Qaïda.