
Les professionnels de la justice ont défilé par milliers dans les grandes villes de France pour protester contre la volonté prêtée au gouvernement de mettre la justice "aux ordres". Fait inédit, la manifestation a réuni différents corps du juridique.
AFP - Plusieurs milliers de professionnels de la justice ont manifesté mardi à Paris et en province, tandis que des audiences étaient reportées dans certains tribunaux, pour protester contre la "casse" du système judiciaire, lors d'une mobilisation unitaire sans précédent.
Aux cris de "la justice au pas, on n'en veut pas", ou "à ceux qui veulent enterrer les affaires, la justice répond: on ne laissera pas faire", quelque 2.300 manifestants, selon la police, entre 3.000 et 5.000 selon les organisateurs, ont défilé à Paris entre le palais de justice et les abords de la Chancellerie.
Magistrats, avocats, greffiers, éducateurs, agents de probation, gardiens de prison... la vingtaine d'organisations ayant appelé à cette journée de mobilisation se félicitaient d'avoir pu rassembler des professions unies par le même "ras-le-bol", qui crient au manque de moyens et s'indignent de la volonté prêtée au gouvernement de mettre la justice "aux ordres".
"Cette journée est historique", déclarait Matthieu Bonduelle pour le Syndicat de la magistrature (SM, gauche).
Des manifestations ont rassemblé plusieurs centaines de personnes à Marseille et Bordeaux, 150 à 200 à Toulon, une centaine à Nantes et Toulouse, quelques dizaines à Lyon, Metz, Nice, Toulouse, Foix...
Dans le même temps, des audiences "non urgentes" ont été renvoyées dans certains tribunaux, à Lyon, Brest, Le Havre, Nantes, Strasbourg, Mulhouse, Besançon ou Caen. Et là où les audiences ont eu lieu, certains présidents de chambre ont ouvertement apporté leur soutien au mouvement de protestation.
Ainsi, au procès du crash du Concorde à Pontoise (Val d'Oise), la présidente, Dominique Andréassier, a lu un court texte de soutien. "Nous nous associons pleinement à la démarche (...) qui dénonce une justice en danger", a-t-elle déclaré.
"On veut des moyens, on fait des heures supplémentaires pas payées, on doit même parfois acheter nos stylos!", s'indignaient des greffières défilant à Paris.
"Surpopulation carcérale, fermetures d'établissements, manque d'effectifs, nous sommes là pour dénoncer tout ça", déclarait pour la CGT-Pénitentiaire un de ses délégués régionaux, Thierry Drouot.
"Un jeune qui démarre dans la profession perd vite ses illusions", déplorait Paul Huber, président de l'Association des jeunes magistrats (AJM).
"Mais on veut continuer d'y croire, c'est pour ça qu'on est là", ajoutait-il, marchant parmi les centaines de femmes et hommes qui avaient passé leurs robes noires ou rouges par-dessus parkas et manteaux, défilant derrière banderoles et pancartes qui disaient "la justice est en danger: unissons-nous", "les libertés individuelles ne sont pas en soldes" ou "non à la casse de la justice des mineurs".
Parmi les récriminations des professionnels, la réforme de la procédure pénale, qui prévoit de supprimer le juge d'instruction et de confier toutes les enquêtes aux procureurs, magistrats du parquet subordonnés à la Chancellerie, est particulièrement décriée.
Les conditions de la garde à vue sont également dénoncées par les avocats, qui voudraient assister dès le début aux auditions de leurs clients, ce que ne prévoit pas "l'avant-projet" de réforme de la procédure pénale soumis depuis la semaine dernière à la "concertation" par le ministère de la Justice.
L'opposition a apporté son soutien à cette mobilisation. L'ex-ministre de la Justice Elisabeth Guigou (PS), qui a brièvement participé à la manifestation à Paris, s'est en particulier déclarée "révoltée" par le projet de réforme de la procédure pénale.