
Qui profiteras d'un éventuel rachat de Warner Bros par Paramount ? Jared Kushner, l'Arabie saoudite à travers son fond souverain et Donald Trump ont tous à y gagner économiquement et politiquement. © Studio graphique France Médias Monde
Harry Potter, quelques super-héros en collant ou en cape et un trône de fer n’en finissent pas d’aiguiser les appétits et pas seulement créatifs. La bataille pour racheter Warner Bros Discovery - et son catalogue de licences, films et chaînes comme CNN - bat son plein aux États-Unis.
L’empire médiatique Paramount a lancé une OPA hostile sur son concurrent Warner Bros, lundi 8 décembre, offrant 108 milliards de dollars. Ce sont 20 milliards de dollars de plus que la proposition de rachat faite par Netflix à Warner Bros dans le cadre des négociations "exclusives" entre les deux géants médiatiques vendredi 5 décembre.
Empire médiatique pro-Trump
"L’attrait de la marque Warner Bros Discovery est bien sûr fort pour tous ceux qui s’intéressent à l’industrie du divertissement", reconnaît Jack Thompson, spécialiste de politique et des médias américains à l’université d’Amsterdam. Netflix rêverait de mettre la main sur tout le catalogue de séries de la très respectée chaîne HBO, tandis que Paramount gagnerait à développer les univers du Seigneur des anneaux et de Dune sur grand écran.
Mais derrière ce règlement de comptes, il y a d’autres intérêts, beaucoup moins créatifs ou économiques et bien plus politiques. C’est particulièrement flagrant avec l’offensive de Paramount.
Le vénérable studio à l’origine du premier long métrage hollywoodien en 1914 (le western The Squaw Man) est devenu un empire médiatique très pro-Trump depuis la prise de contrôle de Paramount par David Ellison en août 2025. Ce dernier est le fils de Larry Ellison, le patron d’Oracle, grand donateur à la cause MAGA (Make America Great Again, le mouvement de Donald Trump) et proche ami du président américain.
L’offre de Paramount n’est pas seulement problématique en raison de la proximité entre la Maison Blanche et la famille qui dirige Paramount. Jared Kushner, le gendre de Donald Trump, participe financièrement à l’OPA sur Warner Bros, a révélé le site Axios lundi 8 décembre.
"C’est un conflit d’intérêts tellement flagrant… Il y a à peine dix ans ce genre de comportement aurait été impensable et le scandale aurait été immense", assure Jack Thompson. "Jared Kushner ne peut pas travailler pour la Maison Blanche en prenant part aux négociations de paix au Moyen-Orient et à celles en Ukraine tout en cherchant à profiter financièrement de sa proximité avec le président en participant à ce genre d’opération financière. Le simple fait que sa participation ne déclenche pas un tollé immédiat prouve à quel point le capitalisme de copinage a triomphé sous Trump", martèle Scott Lucas, spécialiste des États-Unis à l’université de Dublin.
Warner Bros cible de la "guerre culturel" de la droite ?
L’intérêt de ce très trumpien consortium pour Warner Bros pourrait s’inscrire dans un contexte plus large de "guerre culturelle" menée par la droite ultra-conservatrice aux États-Unis, d’après les experts interrogés par France 24. "L’objectif de la droite américaine est de placer ses hommes à la tête de tous les groupes médiatiques et Donald Trump ne reculera pas devant une intervention directe pour y parvenir", assure Scott Lucas.
Le président a assuré qu’il allait "s’investir personnellement" dans le choix de qui va remporter la bataille pour Warner Bros Discovery. "Ce n’est pas normal non plus. En règle générale, c’est un organisme non-partisan et des économistes indépendants qui jugent si une fusion peut être validée par le gouvernement", assure Jack Thompson.
Pour cet expert, le président et son entourage sont peut-être en train de suivre les recommandations de certains stratèges conservateurs. "Ils perçoivent le divertissement comme un outil pour façonner les esprits et estiment qu’il faut augmenter la présence conservatrice à Hollywood car la politique est un sous-produit de la culture".
Et puis si CBS et CNN - qui appartiennent à Warner Bros - "tombent entre les mains de Larry Ellison et son fils, cela ne fera qu’augmenter la pression sur ces chaînes pour ne pas produire de contenus critiquant Donald Trump", assure Scott Lucas.
"Dans mon analyse de la ‘poutinisation’ de l'Amérique, le fait que les médias soient placés sous le contrôle des amis du président figure en très bonne place parmi les éléments à surveiller", a assuré Garry Kasparov, l’ex-champion du monde d’échecs et célèbre opposant à Vladimir Poutine, sur X.
Et cerise sur cette tarte à conflits d’intérêts : l’offre de Paramount constitue aussi un cheval de Troie pour des intérêts étrangers de pays potentiellement concurrents des États-Unis. Dans le sillage de Jared Kushner, les fonds souverains d’Arabie saoudite, du Qatar et des Émirats arabes unis participent également financièrement à la tentative de rachat de Warner Bros.
Des pays du Golfe jusqu'à la Chine
"Ils ne participent pas seulement pour des raisons économiques, mais aussi pour pouvoir avoir une certaine influence sur le débat aux États-Unis", estime Scott Lucas. Preuve de l’inquiétude soulevée par la participation de ces fonds souverains : le patron de Paramount a promis que ces pays n’auront aucun siège au conseil d’administration de Warner Bros Discovery.
Les pays du Golfe ne sont pas les seuls à avancer leurs pions à l’occasion de cette bataille pour le contrôle de l’un des principaux groupes médiatiques et de divertissement aux États-Unis.
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Un autre fonds d’investissement a également mis de l’argent sur la table : Redbird Capital. Très américain sur le papier, il a pourtant des liens avérés avec la Chine. À tel point que Redbird Capital a dû retirer mi-novembre son offre d’achat pour le Daily Telegraph, l’un des principaux quotidiens britanniques, après une levée de boucliers des responsables politiques britanniques. Il faut dire que le patron de ce fonds d’investissement John Thornton a été pris en photo en avril en compagnie de Cai Qi, qui est non seulement l’un des principaux conseillers de Xi Jinping mais est également accusé d’être à la tête d’un réseau d’espions chinois au Royaume-Uni.
Redbird Capital se défend en assurant que leur argent ne provient aucunement de Chine. Mais aux États-Unis, ces liens avec un pays pourtant considéré comme l’un de ses principaux rivaux n’ont à peine été relevés. Pourtant, "il y a matière ici à réflexion pour le Comité pour l'investissement étranger aux États-Unis", assure Jack Thompson. Cet organisme est censé alerter sur les risques posés par la prise de participation d’entités étrangères dans des entreprises sensibles ou importantes aux États-Unis. À voir s’il va se saisir de l’affaire.
En attendant, l’offre de Paramount pour Warner Bros illustre un certain renversement des dynamiques aux États-Unis. "Auparavant, les médias comme CNN étaient censés porter la voix des États-Unis à l’international, mais là on voit que des puissances étrangères peuvent espérer faire porter leur voix aux États-Unis à travers ces mêmes chaînes si cette offre aboutit", conclut Scott Lucas.
