
Plusieurs propositions législatives du parti Les Républicains faites en novembre 2025 contreviennent à la loi sur la laïcité de 1905 qui garantit à chaque citoyen la liberté de croyance, tout comme la liberté d’expression de cette croyance. © AFP
Proposition de loi déposée à l’Assemblée nationale par Laurent Wauquiez visant à interdire le port du voile aux mineures, rapport des sénateurs Les Républicains (LR) proposant un florilège de mesures pour combattre "l’entrisme islamiste", mais visant en réalité l’ensemble des musulmans. La fin d’année 2025 a offert une nouvelle illustration d’un débat politique qui ne cesse d’être alimenté en France par des attaques contre l’islam, mettant à mal les principes de la laïcité.
Les sénateurs LR proposent notamment d’interdire le port du voile pour les accompagnatrices de sorties scolaires et dans les compétitions sportives, et veulent interdire le jeûne du ramadan et le port du voile pour les moins de 16 ans.
Autant d’interdictions qui contreviennent à la loi sur la laïcité de 1905, qui garantit à chaque citoyen la liberté de culte, tout comme la liberté d’expression afférente à cette croyance. "La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public", affirme l’article 1 de la loi du 9 décembre 1905.
"Les propositions LR ne ciblent qu’une seule religion, une seule catégorie de Français et n’appliquent pas les mêmes règles aux autres religions. C’est une inégalité de traitement totalement assumée en rupture du principe d’égalité. On assiste désormais en France à une banalisation de l’instrumentalisation de la laïcité", regrette Nicolas Cadène, ancien rapporteur général de l’Observatoire de la laïcité et cofondateur de la Vigie de la laïcité avec Jean-Louis Bianco.
Les élus Les Républicains estiment nécessaires de telles mesures pour lutter contre l’islamisme radical. Ils s'appuient notamment sur un rapport sur les Frères musulmans et l’islamisme politique en France commandé par le gouvernement et publié en mai dernier, qui relevait une "menace pour la cohésion nationale" avec le développement d'un islamisme "par le bas" et à l'échelon municipal, soulignant notamment l'augmentation "massive et visible du nombre de petites filles portant le voile".
La "laïcité de combat" du Printemps républicain
Pour les musulmans, il ne s’agit rien d’autre que d’une nouvelle attaque contre leur foi. Des responsables du culte musulman, des responsables associatifs et des acteurs de terrain ont écrit une lettre ouverte au président du Sénat Gérard Larcher, mercredi 26 novembre, pour faire part de leur "lassitude" face à la "stigmatisation" des Français de confession musulmane.
"Cet énième rapport [des sénateurs LR, NDLR] s'inscrit dans une séquence devenue tristement familière pour les millions de citoyens français de confession musulmane, celle d'une instrumentalisation politique systématique de leur pratique cultuelle", écrivent les signataires, parmi lesquels figurent Najat Benali (Coordination des associations musulmanes de Paris), Bassirou Camara (Association de défense contre les discriminations et les actes antimusulmans) ou Abdenour Bastianelli (Conseil national des aumôneries musulmanes).
Laurent Wauquiez et Les Républicains n’ont toutefois rien inventé. L’extrême droite a été pionnière en la matière. Dans son entreprise de dédiabolisation du Rassemblement national, Marine Le Pen a utilisé la laïcité pour viser les musulmans plutôt que les immigrés, tout en parlant de la même population.
Puis un tournant s’opère en 2015 avec les attentats de Charlie Hebdo et du 13-Novembre. "C’est un moment de grande confusion avec beaucoup de responsables politiques qui ont profité de la peur légitime du terrorisme islamiste pour justifier des mesures liberticides contre une partie de la population", se souvient Nicolas Cadène, par ailleurs ancien candidat du Nouveau Front populaire dans le Gard aux élections législatives 2024.
Dans la foulée des attentats est notamment fondé Le Printemps républicain, une association "visant à promouvoir le commun et la laïcité dans le paysage politique français" et prônant une "laïcité de combat".
Représenté par des figures médiatiques comme Caroline Fourest, Élisabeth Badinter ou Raphaël Enthoven, ce courant de pensée qui se veut ferme face aux accommodements avec l’islam est particulièrement influent lors du premier quinquennat d’Emmanuel Macron (2017-2022).
Discours "contre-productif"
Il bénéficie de puissants relais au sein du gouvernement : Gérald Darmanin a porté la loi contre le séparatisme, Jean-Michel Blanquer a déclaré que "le voile [n’était] pas souhaitable dans notre société" et a parlé des "ravages" de "l’islamo-gauchisme" à l’université, Marlène Schiappa a supprimé l’Observatoire de la laïcité, qui portait une vision libérale de la loi de 1905, et Gabriel Attal, tout juste nommé ministre de l’Éducation nationale, s’est empressé d’interdire le port de l’abaya à l’école.
Depuis la dissolution ratée de 2024 et le retour au gouvernement de LR, Bruno Retailleau et Laurent Wauquiez se chargent désormais de porter ce discours offensif contre l’islam.
Mais la montée des attaques contre les musulmans sous couvert de défense de la laïcité et des valeurs républicaines s’observe aussi dans les médias, selon Nicolas Cadène.
"Tous ces propos n’étaient auparavant pas audibles dans les médias mainstream, alors que maintenant c’est monnaie courante, juge-t-il. Au-delà de CNews qui est une chaîne d’opinion, on les retrouve partout, y compris sur le service public. On doit s’interroger collectivement sur notre responsabilité. Tout ça n’est pas anodin."
D’autant que les discours et propositions politiques ciblant les musulmans sont "contreproductifs", selon le spécialiste de la laïcité. "Ils ne font qu’accentuer le repli de cette population sur elle-même, car elle se sent exclue de l’espace commun. Les endoctrineurs radicaux se nourrissent de cette parole qui leur offre l’argument de la discrimination", fustige Nicolas Cadène.
Dans ce contexte, les résultats du sondage Ifop commandé par la Grande mosquée de Paris à l’été 2025 n'ont rien de surprenant : 82 % des musulmans estiment que la haine envers les musulmans est un phénomène répandu en France et 81 % y voient une tendance qui s’est aggravée au cours des dix dernières années.
