
Les trois crânes sakalavas transportés par des agents des services de sécurité malgaches lors de la cérémonie officielle de leur restitution par la France à Madagascar, au mausolée d'Antananarivo, le 2 septembre 2025. © Mamyrael, AFP
Le président malgache Andry Rajoelina a accueilli, mardi 2 septembre à Antananarivo, trois crânes sakalavas – un groupe ethnique occupant la majeure partie de la côte ouest de Madagascar. Conservés depuis 128 ans en France, ces restes humains avaient été officiellement restitués aux autorités malgaches une semaine plus tôt, mardi 26 août, lors d'une cérémonie organisée à Paris.
Arrivés sur l’île Rouge lundi soir, les crânes ont été accueillis à l’aéroport par des membres de l’ethnie sakalava vêtus de leurs habits traditionnels. Placés dans trois coffres recouverts du drapeau national, ils ont ensuite été escortés en cortège funèbre à travers les rues de la capitale jusqu’au mausolée, en présence de plusieurs ministres et dignitaires sakalavas.
Parmi ces restes, l'un est présumé appartenir au roi Toera décapité par l'armée française lors du massacre d'Ambiky en 1897, et ce, malgré sa reddition. Les deux autres crânes seraient ceux de guerriers tombés aux côtés du monarque.
"Aujourd’hui, nous nous souvenons tout particulièrement du roi Toera et des deux guerriers qui sont tombés avec lui", a déclaré Andry Rajoelina lors de la cérémonie.
"L’Histoire ne s’oublie pas", a ajouté le chef de l'État malgache. "Je le répète souvent : pour éclairer le chemin à suivre, il faut connaître l’histoire de ses origines. L’obstination, l’effort et l’amour de la patrie du roi Toera font partie de cette histoire qu’on ne peut oublier."

Leur arrivée à Antananarivo ne constitue qu’une étape du processus : les restes doivent être transportés jusqu’à Belon'i Tsiribihina, à environ 320 kilomètres à l’ouest, où leur inhumation est prévue dans le courant de la semaine. Le roi Harea Georges Kamamy, héritier sakalava, a participé au protocole officiel et accompagnera le convoi jusqu’à la côte.
"Martyr de l'indépendance"
Emportés comme trophées coloniaux en 1897, ces crânes avaient rejoint les collections du Muséum national d’histoire naturelle à Paris. Un comité scientifique franco-malgache a confirmé leur origine sakalava. Si l'identité du roi Toera n'a pas pu, elle, être établie de façon scientifique, l’un des crânes a été reconnu "de manière catégorique" par la communauté sakalava.
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"Toera n’est pas seulement le roi des Sakalava, il est aussi un martyr de l’indépendance", a déclaré à Reuters Piero Kamamy, un descendant du souverain.
Pour les historiens, sa tentative d’unir différentes communautés malgaches face à la colonisation incarne un rare élan d’unité nationale. Sa décapitation visait, selon eux, à frapper les esprits et briser toute résistance.
"Les Sakalava peuvent désormais faire leur deuil", estime Jeannot Rasoloarison, historien à l’université d’Antananarivo.
Le peuple sakalava entretient un rapport sacré au culte des ancêtres. Tous les cinq ans, lors d'une cérémonie rituelle appelée "fitampoha", les reliques royales sont baignées dans le fleuve Tsiribihina. Cette tradition, dont la prochaine édition devrait avoir lieu en août 2027, symbolise la purification et la continuité du lien avec les ancêtres.
"La cérémonie ne sera pas complète tant que le crâne du roi Toera ne sera pas revenu en terre malgache", avait souligné Fetra Rakotondrasoava, secrétaire général du ministère malgache de la Culture, auprès de RFI en avril.
La mémoire au service du politique
Si cette restitution a une forte portée symbolique, elle revêt aussi un enjeu politique. Selon l’historien malgache Denis Alexandre Lahiniriko, interrogé par le quotidien Le Monde, elle constitue un levier mémoriel mobilisé par le pouvoir en place.
"À part quelques familles sakalavas, la population malgache ne connaissait pas le roi Toera avant cette restitution. La question mémorielle est une rente pour le régime au pouvoir, car elle lui sert à se légitimer. Dans l’histoire de Madagascar, les Sakalava se sont toujours opposés aux Merina, l’ethnie des Hautes Terres centrales, alors que [le roi] Toera renvoie l’image d’une communauté malgache unie contre la colonisation", analyse-t-il. "Aujourd’hui, ce récit national est actualisé. Il n’y a désormais plus un ennemi à combattre mais un défi à relever, celui du développement, qui requiert l’unité de la Nation."
Cette restitution s'intègre également dans le travail de mémoire de la France. En avril, lors d’une visite à Madagascar, le président Emmanuel Macron avait évoqué la restitution comme une manière de créer les "conditions du pardon" pour les "pages éminemment douloureuses" de la colonisation.
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Ce geste s’ajoute aux efforts récents de la France pour restituer des objets et des restes humains prélevés durant la période coloniale. Si plusieurs retours ont déjà eu lieu, notamment au Bénin, chacun avait nécessité l’adoption d’une loi spécifique.
La loi promulguée fin 2023, qui encadre désormais la restitution des restes humains conservés dans les collections publiques, a permis d'accélérer les procédures. La restitution malgache est la première à être concrètement mise en œuvre dans ce nouveau cadre – et pourrait ouvrir la voie à d’autres démarches similaires.
Ainsi, en rendant à Madagascar ces crânes dérobés il y a plus d’un siècle, la France amorce un travail de mémoire, encore fragile, mais porteur d’espoir pour des peuples en quête de justice et de reconnaissance.