
Dans un post publié sur X le 9 mars, l’activiste panafricaniste et prorusse Nathalie Yamb a déclaré : "Le terroriste préféré des occidentaux placé à la tête de la Syrie al-Jolani a donné l’ordre à ses troupes de sauvages HTS de ne plus filmer leurs exactions – et non pas de ne plus en commettre. Elle est pas belle, la vie ? [sic]"
Des propos repris en substance par de nombreux comptes francophones et anglophones prorusses, qui prétendent que le nouveau président syrien par intérim, Ahmed al-Charaa – également appelé Abou Mohammed al-Joulani, son nom de guerre – chercherait à masquer les exactions des combattants affiliés au pouvoir.
Ces allégations font suite au soulèvement, le 6 mars, d’éléments pro-Bachar al-Assad à l'ouest de la Syrie, suivi de graves exactions. Selon un bilan provisoire en date du 12 mars, près de 1 400 civils ont été tués, notamment par des combattants revendiquant leur affiliation au pouvoir en place. Plusieurs vidéos attestent de ces violences, et l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH) rapporte des "exécutions sommaires" visant notamment des civils alaouites, la communauté dont était issu l’ancien président.
Mais sur quoi se fondent les déclarations diffusées en ligne ces derniers jours ? Tous les comptes qui ont relayé des messages sur une prétendue interdiction de filmer les exactions s'appuient sur un document en arabe et sa traduction en anglais par Google Lens. Document qui aurait été diffusé par le ministère syrien de la Défense le 8 mars, interdisant officiellement de "filmer les arrestations et les exécutions effectuées par des groupes armés au sein de l'armée".
Ce document stipule également qu'il est "strictement interdit de photographier les opérations de bombardement ou de destruction menées par l'armée".

Un faux document
Mais ce communiqué est un faux, et aucun document mentionnant de telles interdictions n'a été publié par le ministère de la Défense en mars.
"Ce document est complètement faux et ne correspond pas à ce qui a été officiellement publié", confirme à la rédaction des Observateurs Aaron Zelin, chercheur spécialiste de la Syrie au Washington Institute, qui a suivi de près l'évolution de la transition politique en Syrie depuis décembre.
Durant cette période, le ministère de la Défense n'a en réalité publié que deux communiqués, diffusés tous deux sur sa page Facebook le 14 février, date de leur publication (ici et ici).
En comparant ces deux communiqués avec celui diffusé début mars, plusieurs éléments différents sautent aux yeux, indiquant que le dernier est un faux.
Contrairement aux autres communiqués, le faux document ne possède pas la même police indiquant, en bas du texte, la date de publication (voir encadré rouge ci-dessous). Par ailleurs, le faux document n'est pas numéroté, contrairement aux vrais (voir encadré vert en haut à droite ci-dessous).
"Le ministère de la Défense a publié deux déclarations officielles qui portent toutes deux un numéro", précise Aaron Zelin. "La première indique le numéro 1. La seconde indique le numéro 2. Quant à la fausse déclaration, elle ne porte aucun numéro indiquant quoi que ce soit de spécifique."

Le faux document pourrait avoir été créé à partir du second communiqué officiel du Ministère de la Défense, puisque les signatures et cachets sont identiques et placés au même endroit (voir encadré orange ci-dessus).
Actif sur X, le compte de fact-checking en ligne KNWLDG Media a également noté des différences de qualité d'image entre le texte du document d'origine, plus granuleux, et le nouveau texte, plus clair, qui semble avoir été ajouté par logiciel.
"Une campagne de désinformation plus large"
Aucun des deux communiqués diffusés par le ministère de la Défense ne mentionne par ailleurs une telle interdiction. "Le premier demande simplement à toutes les agences militaires de se coordonner avec le Bureau des relations avec les médias du ministère avant d'accorder des interviews ou de faire des déclarations", décrit Aaron Zelin, tandis que le second "interdit le transfert de tous les biens militaires" en dehors des circuits officiels.
Pour Aaron Zelin, la diffusion de ce faux document "s'inscrit dans une campagne de désinformation plus large observée en ligne" depuis le 6 mars, après le soulèvement de partisans de l'ancien régime d'al-Assad. Dans un contexte marqué par les exactions de combattants affiliés au pouvoir syrien, de nombreuses fausses informations ont circulé, notamment sur le nombre de victimes et l'identité des groupes ciblés.
Dans un article publié sur le site du Washington Institute le 10 mars, Aaron Zelin souligne que "des réseaux gérés par des individus en Iran, au sein du Hezbollah et de l'ancien régime, ont publié de faux décomptes de morts [...] et de fausses images afin d'amplifier un événement déjà tragique", évoquant en particulier de "faux rapports sur un massacre contre les chrétiens".
La rédaction des Observateurs a également enquêté sur ces allégations, alors que les églises chrétiennes syriennes alertaient contre des rumeurs trompeuses circulant sur les réseaux sociaux. Au 10 mars, un bilan provisoire faisait état d’au moins sept victimes chrétiennes confirmées.
De son côté, le président par intérim Ahmed al-Charaa a annoncé le 9 mars la création d'une commission d'enquête chargée d’examiner les violences survenues dans l’ouest du pays.
Un objectif réaffirmé deux jours plus tard par la présidence syrienne, qui a déclaré sa détermination à garantir la justice et à prévenir les représailles extrajudiciaires.
Mise à jour : modification au 3e paragraphe de la localisation des exactions, situées à l'ouest, et non au nord comme écrit auparavant.