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Attaques du 7-Octobre : la droite israélienne, le Hamas et la guerre sans fin
Les attaques du 7 octobre 2023 menées par le Hamas dans le sud d’Israël et la riposte israélienne visant à l'anéantissement du mouvement palestinien à Gaza ont précipité le Moyen-Orient dans une spirale de l’enfer. Les deux principaux acteurs de cet affrontement, le Hamas palestinien et la droite nationaliste et religieuse israélienne, refusent depuis plus de trente ans toute solution négociée en Israël-Palestine. Explications.

Les images de la fuite éperdue de festivaliers au petit matin, de commandos du Hamas circulant dans les rues des petites villes frontalières de la bande de Gaza ou des ruines calcinées des kibboutz environnants ne sont pas prêtes de s'effacer de la mémoire des Israéliens.

Les images des bombardements massifs menés par l’armée israélienne sur Gaza, des souffrances endurées par les civils gazaouis menacés par les épidémies et la famine ne quitteront pas de sitôt celle des Palestiniens.

Depuis un an, la violence et la fureur ont transformé le conflit israélo-palestinien en enfer : 1 289 morts dont 815 civils, hommes, femmes et enfants de tous âges, ont péri dans les attaques du 7 octobre 2023, selon un décompte israélien ; 251 personnes ont par ailleurs été emmenées à Gaza. Une centaine d’otages ont depuis été libérés et seuls une soixantaine de ceux qui restent aux mains du Hamas seraient encore vivants.

Attaques du 7-Octobre : la droite israélienne, le Hamas et la guerre sans fin

Dans la bande de Gaza, les opérations israéliennes ont fait près de 42 000 morts, en majorité des civils, là aussi. Selon ces chiffres du ministère de la Santé de la bande de Gaza, administrée par le Hamas depuis 2007, plus de 14 000 enfants sont morts dans le territoire palestinien entre octobre et le début du mois de mai.

Surenchère mortifère

Dans les colonnes de Libération, Denis Charbit, professeur de science politique à l'Université ouverte d'Israël, estime que les attaques du 7 octobre renforcent l’impasse. "Israéliens et Palestiniens sont sous la coupe des leaders les plus funestes qu’ils aient connus depuis un siècle. On parle du 'jour d’après', mais si Netanyahu est réélu aux prochaines élections, il n’y en aura pas. Pas plus de 'jour d’après', au demeurant, si le Hamas se maintient, si exsangue soit-il."

L’historien Vincent Lemire observe que tous deux semblent liés par un sinistre pacte. "Du point de vue de leurs intérêts propres, Yahya Sinouar [le nouveau chef politique du Hamas, NDLR] et Benjamin Netanyahu sont rationnels, complices et solidaires, ils ont tout intérêt à ce que cette guerre se poursuive, c’est pourquoi le cessez-le-feu est sans arrêt retardé."

Avec cette surenchère mortifère qui enferme Israéliens et Palestiniens dans une guerre sans fin, la droite religieuse israélienne et les islamistes palestiniens marginalisent toutes les autres voix, celles qui réclament à court terme l’apaisement et à plus long terme la coexistence pacifique voire la paix.

"En Israël, le mouvement pacifiste et l’activisme anti-occupation, déjà en recul avant les attaques terroristes commises par le Hamas le 7 octobre, risque désormais de disparaître totalement", estime la chercheuse Anne Lene Stein dans un article publié dans The Conversation et intitulé "Le mouvement pour la paix a-t-il été assassiné le 7 octobre ?"

Rendre un compromis historique impossible

L’historien israélien Shlomo Sand, pacifiste et figure de la gauche israélienne depuis des décennies, voit lui dans la noirceur de l’année écoulée une victoire de "la symbiose entre religions et nationalismes, qui exprime une haine profonde".

"Tous les conflits finissent par se terminer, avec plus ou moins de sang. Mais aujourd'hui, je pense que le conflit entre Palestiniens et Israéliens ne sera pas résolu de mon vivant. Ça me rend très fataliste pour la première fois de ma vie. Pas pessimiste, fataliste", ajoute l'historien âgé de 78 ans.

Shlomo Sand a longtemps soutenu et milité pour un compromis historique prenant la forme d’une solution à deux États, qui verrait coexister côte à côte un État palestinien et l'État hébreu.

Mais il estime aujourd’hui que la poursuite de la colonisation de la Cisjordanie, où vivent désormais au moins 700 000 Israéliens, rend cette perspective impossible, même si elle est toujours soutenue par la communauté internationale – et notamment par les États-Unis.

Unis dans le refus de la solution à deux États

Il y a un peu plus de 30 ans, le processus d’Oslo, conclu par une poignée de main historique entre le chef de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), Yasser Arafat, et le Premier ministre israélien Yitzhak Rabin le 13 septembre 1993, semblait pourtant ouvrir la voie à la naissance d’un État palestinien et à une paix des braves.

Signé par l’OLP et le Parti travailliste, l’accord rencontre très vite l’hostilité résolue du Hamas et de la droite israélienne. Dès octobre 1993, le mouvement de résistance islamiste lance une campagne d’attentats meurtriers visant bus, restaurants et marchés aux quatre coins d’Israël. Le 4 novembre 1995, un juif religieux d’extrême droite assassine Yitzhak Rabin. Conjointement, le Hamas et la droite dure israélienne parviennent à mettre à mort le processus de paix.

Trente ans plus tard, les deux camps restent inflexibles. L'extrême droite israélienne aujourd’hui au pouvoir rêve toujours de "transfert" des populations palestiniennes de Cisjordanie et de Gaza vers les pays arabes. Le Hamas promet lui de ne jamais cesser le combat avant la libération de Jérusalem et que s’établisse la souveraineté palestinienne "de la rivière jusqu’à la mer".

Cynisme et ultraviolence

Depuis sa fondation en 1987, le mouvement islamiste a combattu les autres mouvements politiques palestiniens, notamment le Fatah de Yasser Arafat et de Mahmoud Abbas, et l’idée même de négociation.

"Le Hamas n’a jamais eu aucune espèce de perspective de solution à deux États, parce qu’il a toujours nié (et continue de le faire officiellement) non seulement l'État d'Israël, mais aussi le droit des Juifs à se percevoir comme un peuple. Depuis sa création, il mène des actions violentes, par exemple pour casser le processus d'Oslo dans les années 1990. Il a continuellement perpétré des tueries antisémites. Je dis bien 'antisémites' parce que jamais une roquette, jamais un missile et jamais un terroriste n'est allé frapper un village ou un quartier arabe israélien", affirme Frédéric Encel, maître de conférences à Sciences Po Paris.

Attaques du 7-Octobre : la droite israélienne, le Hamas et la guerre sans fin

Le géopolitologue ajoute que la droite israélienne s’est considérablement radicalisée depuis l’époque d’Oslo. "Netanyahu a un objectif, c'est qu'il n'y ait jamais d'État palestinien sur Eretz Israël (le Grand Israël, NDLR), c'est-à-dire évidemment pas en Cisjordanie et, au fond, même pas non plus à Gaza."

Pire encore, le Premier ministre israélien s’est lancé avec le plus grand cynisme dans un pari possiblement mortel. "Quand il revient au pouvoir après la seconde Intifada, en 2009, il favorise économiquement le Hamas via le Qatar. Il prend l'écrasante responsabilité de maintenir à un haut niveau de puissance un mouvement dont il sait qu'il est fanatiquement anti-israélien, antisioniste et antisémite. C'est ce que j'appelle la politique du pire. Et on finit toujours par payer la politique du pire. Aujourd'hui, une grande partie des Israéliens, y compris au centre, en veulent à Netanyahu de ne pas avoir empêché le 7-Octobre", ajoute Frédéric Encel.

Le 7 octobre renvoi Israéliens et Palestiniens à l’origine du conflit

Face à la radicalité des projets et des méthodes de la droite israélienne et du Hamas ces 30 dernières années, la perspective d’un règlement négocié du conflit israélo-palestinien s’est considérablement éloignée.

Le 7 octobre, de nombreux Israéliens se sont interrogés sur la survie même de l’État hébreu à moyen et long terme, envisageant pour certains de quitter le pays. Shlomo Sand, lui, terminait d’écrire son dernier ouvrage, intitulé "Deux peuples pour un État ?" (éd. du Seuil). Explorant l’histoire du sionisme et de la présence juive en Palestine, il soutient dans son ouvrage l’idée d’une fédération au sein de laquelle vivraient Israéliens et Palestiniens. Une perspective que défendait Hannah Arendt dès les années 1950, souhaitant l’avènement d’un État binational, sans quoi, disait-elle, "il y aurait une guerre tous les dix ans".

"Je pensais que 1967 [l’occupation de la Cisjordanie et de Gaza par Israël, NDLR] était à l'origine de cette conflictualité sanglante. Après le 7-Octobre, je suis arrivé à la conclusion que l’origine, c'est 1948 [la première guerre israélo-arabe, NDLR]" confie-t-il.

"J'ai regardé les itinéraires biographiques de chaque leader du Hamas. Le cheikh Yassine était né à Al-Majdal, aujourd'hui Ashkelon, et tous sont des enfants de réfugiés [de la guerre de 1948, NDLR]. Après le 7-Octobre, je suis arrivé à la réflexion que les enfants des réfugiés ne vont pas nous pardonner 1948. J'appartiens au peuple qui réclame le droit d'être ici parce qu’il a été arraché à cette terre il y a 2 000 ans. Alors comment ne pas comprendre ceux qui en ont été arrachés il y a 75 ans ?"