Loin des yeux mais près du cœur, plus de 2 000 personnes se sont rassemblées place de la République à Paris pour apporter leur soutien au Liban et demander un cessez-le-feu au Proche-Orient.
Les visages sont graves, quelques larmes coulent au coin des yeux, des bras réconfortent. Leurs corps sont à Paris mais leurs coeurs au Liban, à 3 000 km de là. Des drapeaux libanais flottent dans le ciel gris de Paris. Plus de 2 000 personnes, selon les organisateurs, ont manifesté pour la paix au Proche-Orient, dimanche 29 septembre, après un appel lancé lundi sur les réseaux sociaux.

Ce jour-là, le Liban se réveille sous les bombes israéliennes alors que l’Etat hébreu annonce le lancement de l’opération "Flèches du nord". Bilan : au moins 558 personnes, dont 50 enfants et 94 femmes, tuées et plus de 1 800 blessées dans le pays du Cèdre en cette seule journée, selon le ministère libanais de la Santé.
"J’étais choqué. J’ai voulu organiser une manifestation le soir-même avant de réaliser qu’il fallait des autorisations" explique Hussein Mortada, un des organisateurs de la manifestation parisienne en soutien au Liban. La préfecture de Paris autorise le rassemblement place de la République, le Trocadéro, lieu habituel des manifestations libanaises dans la capitale, étant déjà pris. "Le but, c’est qu'on se rassemble parce que chacun d’entre nous est inquiet pour un proche, que ce soit des parents, des amis…", explique l’enseignant chercheur en mathématiques, dont les parents ont dû fuir Baalbeck dans la plaine de la Bekaa, bastion du Hezbollah, "où ils ont vécu des nuits effrayantes" pour trouver refuge à Beyrouth où ils vivent "d’autres nuits effrayantes".

Comme eux, près d'un million de personnes pourraient avoir été déplacées par les frappes israéliennes sur le Liban, le plus grand déplacement de population de l'histoire du pays, selon le Premier ministre libanais, Najib Mikati. Le ministre de la Santé, Firas Abiad, a indiqué que plus de 1 000 personnes avaient été tuées et 6 000 blessées dans le pays entre le 16 et le 27 septembre 2024, des chiffres bien plus élevés que la moyenne de l’année écoulée. En effet, entre le 8 octobre 2023, date de l’ouverture par le Hezbollah du "front de soutien" contre Israël au début de la guerre à Gaza déclenchée par l'attaque du 7 octobre menée par le Hamas contre Israël, et le 15 septembre 2024, le Liban comptait 610 morts (dont 38 femmes et 17 enfants) et 2 056 blessés.
Ce qui fait dire à Hussein Mortada qu’ "en ce moment, c’est le Liban qui est en train d’être détruit". "Ce n’est pas une guerre, c’est une destruction, l’effacement d’une partie du pays. C’est les maisons, les ambulances, les civils qui sont bombardés."
"On survit plus qu'on ne vit en ce moment"
Nombreux sont les Franco-Libanais à vivre ces derniers jours les yeux rivés sur le téléphone, dans l’attente angoissante de nouvelles de proches. "On survit plus qu'on ne vit en ce moment", témoigne Rita, parisienne originaire de la banlieue est de Beyrouth.

Tania Aoun, pharmacienne de 27 ans venue en famille avec ses deux soeurs, son mari et des amis, estime qu’ "en tant que Libanais de la diaspora, c'est juste normal qu'on soit présent ici aujourd'hui pour montrer notre soutien à toute la population libanaise qui est en train de vivre un cauchemar au Liban".
"Le Liban, c’est notre maison, tout comme la France, tout comme Paris" explique la jeune femme, dont les parents ont fui la guerre civile qui a ravagé le Liban de 1975 à 1990, "comme toute personne attachée à sa maison, on ne la laisse pas brûler et c'est ce qu'on fait aujourd'hui".
Le seul mot d’ordre de la mobilisation est "l’unité face aux frappes israéliennes". Car à Paris comme au Liban, les Libanais peuvent être profondément divisés. En témoigne d’ailleurs les débats et interrogations sur les réseaux sociaux à l’annonce de la mobilisation en soutien au Liban. "On voulait organiser un rassemblement vraiment unitaire", explique Hussein Mortada, "parce que, avant le 23 septembre au Liban, il y avait deux points de vue, ceux qui pensaient qu’il ne faut pas avoir de frictions avec les Israéliens, pour éviter tout risque qu’ils détruisent le Liban comme ils ont détruit Gaza, et de l’autre, ceux qui pensaient, que de toute manière, notre tour allait arriver et qu’il ne fallait pas laisser les Palestiniens seuls, comme le monde les as laissés."
L’hymne national libanais suivi d’une chanson de Fayrouz
"Donc le seul message, c'est d'arrêter l'offensive meurtrière et dévastatrice du Liban et ça ne peut être fait que par des pressions et des sanctions sur le régime israëlien" martèle encore l’organisateur, qui, avec "Citoyens et Citoyennes dans un État", un parti libanais qui défend notamment les principes de laïcité, de justice sociale, et de centralité de l’État, participait en 2019 aux rassemblements parisiens en soutien à la " révolution Whatsapp", qui secoua à cette époque la classe politique libanaise, accusée de corruption.
À l’instar des autres dirigeants libanais inamovibles, Hassan Nasrallah était la cible des manifestants, dont le slogan était "kellon ya3né kellon" qui signifie "tous, ça veut dire tous". Aujourd’hui, la grande majorité des Libanais, ceux qui l’adulent et ceux le haïssent, sont choqués par sa mort, car dans le pays du Cèdre, le chef du Hezbollah, tué dans une frappe israélienne sur son QG de la banlieue sud de Beyrouth vendredi 27 septembre, était une personnalité incontournable sur la scène politique, décidant de la guerre et de la paix. Il avait gagné une aura incontestable dans toute la région à la suite la guerre de juillet 2006 contre Israël. Mais il s’était aussi mis à dos de nombreux Libanais avec l’implication de son mouvement auprès de Bachar al Assad en Syrie, mais aussi dans l’assassinat de l’ancien Premier ministre Rafic Hariri en 2005 et d’autres personnalités libanaises, ou encore lorsque ses hommes armés avaient pris brièvement le contrôle de la capitale en mai 2008.
Ce dimanche, un porteur d’un drapeau du Hezbollah a été exfiltré en fin de manifestation par les forces de l’ordre. Pour éviter toute division, les organisateurs avaient enjoints les manifestants à ne brandir que des drapeaux libanais, les drapeaux palestiniens et français étant également acceptés. La manifestation a donc commencé par l’hymne national libanais suivi d’une chanson de la diva libanaise, Fayrouz, en hommage à Beyrouth.
Députés LFI à la tribune
S’en est suivi un discours, prononcé par Hussein Mortada, dans lequel il demande à la France d’exiger un cessez-le-feu. "Nous nous tournons vers Emmanuel Macron qui, le 19 septembre, a adressé un message aux Libanaises et aux Libanais pour leur faire part de son inquiétude. Alors que les bombes pleuvent sur notre pays, les belles paroles ne suffisent pas. Nous demandons à ce que toutes les cartes soient utilisées, toutes les pressions possibles pour arrêter l'attaque israélienne" scande-t-il devant la foule.

Lui succédant à la tribune, le député Arnaud Le Gall (LFI) prend la parole, entouré du coordinateur de La France insoumise Manuel Bompard et d’autres collègues députés LFI. " Il faut aller beaucoup plus loin que les mots" dit le député du Val d'Oise en évoquant la mise en place de "sanctions", "un embargo sur les armes" ou encore un "moratoire sur les accords économiques entre l’Europe et Israël". "La France doit être à la hauteur de son histoire. Elle doit prendre toutes les mesures que je viens d'énoncer, de concert avec les États-Unis et l'Europe. C'est la seule solution pour mettre fin à ce conflit", estime-t-il encore.

Tania Aoun et les autres manifestants interviewés pressent également la France de faire entendre sa voix, au nom des liens qui unissent les deux peuples depuis longtemps. "La France est la mère du Liban, la grande sœur du Liban, qu'elle le prouve aujourd'hui", dit ainsi Tania Aoun. "On a besoin d'actions concrètes du président Macron, du ministère des Affaires étrangères."
Jean-Noël Barrot, le ministre français des Affaires étrangères doit d’ailleurs arriver à Beyrouth dans la soirée, ce dimanche pour "apporter un soutien français, notamment humanitaire" aux Libanais.