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Accepter Gérer mes choixComme chaque été à Minorque, Binibeca Vell, situé à quelques kilomètres de Mahon, la capitale, devient un des spots touristiques les plus en vogue de l'île. Devant le port, José voit le nombre de touristes tripler en l'espace de 15 minutes. Certains, armés de leur appareil photo, n'hésitent pas à rentrer dans les propriétés privées pour capter le cliché parfait. "Ces gens sont en vacances et donc ils pensent qu'ils peuvent faire ce qu'ils veulent", soupire-t-il.
"On voit passer environ 800 000 touristes par an. Et pour un endroit de cette taille, ça représente beaucoup de monde. Les rues sont très petites et étroites", commente l'Espagnol de 35 ans, qui fait partie du conseil communautaire de Binibeca Vell. "Donc on a décidé de limiter l'accès de 22 h à 10 h, pour que les résidents puissent au moins se reposer en soirée et la nuit."
Instagram vs. réalité
Au fil des étés, José a vu ce lieu qui a bercé son enfance et où vit toute sa famille, se métamorphoser. Et pour cause : des photos de Binibeca Vell sont désormais partagées en masse sur les réseaux. À l'heure du déjeuner et au coucher du soleil, ses ruelles et son port minuscules sont désormais submergés par des hordes de touristes, venus réaliser leur propre post Instagram de ces petites maisons blanches. "Les gens ressentent ce besoin de partager où ils vont, de reproduire le même post que celui d'un influenceur, pour pouvoir dire 'Hey, regardez, j'ai été là-bas en premier'", se désole José.
Aux Baléares, 18 millions de touristes pour 1,2 million d'habitants
Une grande partie des locaux fait face à un paradoxe grandissant : le tourisme représente la moitié du PIB de l'archipel des Baléares, et est donc au cœur de leur modèle économique. Mais ils peinent de plus en plus à en vivre convenablement. L'an dernier, près de 18 millions de touristes sont venus aux Baléares, qui comptent 1,2 million d'habitants.
"Les touristes qu'on reçoit aujourd'hui ont un impact considérable sur nos vies de demain", s'inquiète Víctor. Derrière lui, un paquebot direction Barcelone se fraie difficilement un chemin dans la baie de Mahon. Depuis maintenant cinq ans, ce père de deux jeunes enfants fait ce constat amer : sa compagne et lui ont vu toutes leurs tentatives pour devenir propriétaires être déclinées. Originaire d'Es Castell, un petit village aux abords de Mahon, Víctor rêve d'acheter un bien dans cet endroit où il a toujours vécu. Mais c'est peine perdue sur un marché immobilier assailli par des clients étrangers plus fortunés.
"Un grand nombre de touristes ne se contentent plus de venir à Minorque pour les vacances et repartir. Beaucoup d'entre eux veulent vraiment venir habiter ici et posséder une maison sur l'île, explique le Minorquin de 31 ans. Alors que souvent, ils n'y sont pas pendant 11 mois par an."
"Menos turismo, más vida"
Si certaines villes, telle Venise, ont instauré des mesures de régulation comme des taxes de visite, celles-ci demeurent périlleuses à mettre en place dans la plupart des gros spots touristiques. De plus, la prise de décision se fait pour le moment au niveau local ou régional, et peine à être relayée au niveau national ou même européen. C'est d'ailleurs ce qui a déclenché la mobilisation populaire sur l'archipel des Baléares.
"En octobre 2023, l'Espagne a assuré la présidence tournante du Conseil de l'UE. Et tous les ministres du tourisme des États membres ont été invités à Palma, pour parler de la place qu'occupe le tourisme dans nos sociétés, relate Pere Joan, militant majorquin de 25 ans. Mais ça a été organisé sans prendre en compte l'avis des citoyens. Les gens ne se sont pas sentis représentés."
De cette déception est né le collectif "Menos turismo, más vida" ("Moins de tourisme, plus de vie", en français), dont Pere Joan coordonne les opérations sur l'archipel. En juillet dernier, plus de 20 000 personnes sont descendues dans les rues de Palma de Majorque pour manifester et demander la mise en place de régulations touristiques efficaces. Menos turismo, más vida est désormais aussi en lien avec d'autres collectifs espagnols très mobilisés, comme "Canarias tiene une limite" ("Les Canaries ont une limite"), et prévoit d'organiser des manifestations conjointes de grande ampleur dans les prochains mois.