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Quartiers rasés à Abidjan en pleine rentrée : “Mes enfants ne peuvent pas aller à l’école”
Les "déguerpissements" – des mouvements d'expulsion et de destruction de logements précaires – ont repris le 13 septembre dans le quartier de Yopougon, situé dans le nord d’Abidjan, en Côte d’Ivoire. Les habitants dénoncent le manque d’information et le fait que l’opération a eu lieu la semaine de la rentrée, compromettant la scolarité des enfants.

Dans ce quartier de Yopougon, commune du nord d'Abidjan en Côte d’Ivoire, la terre donne l’impression d’avoir tremblé. Depuis le 13 septembre, les vidéos transmises à la rédaction des Observateurs par des habitants du quartier Gesco Pays-Bas montrent des personnes qui errent dans les décombres de leurs logements. Au milieu des débris, une pelleteuse éventre ce qui peut encore l’être.

Quartiers rasés à Abidjan en pleine rentrée : “Mes enfants ne peuvent pas aller à l’école”

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Dans le quartier Gesco Pays-Bas, les pelleteuses du district autonome d’Abidjan sont arrivées le 13 septembre, seulement cinq jours après la rentrée scolaire, pour "déguerpir" plusieurs centaines de personnes, c’est-à-dire raser leurs habitations.

Autour de la capitale économique ivoirienne, les opérations de déguerpissement sont communes. En février déjà, le quartier de Gesco avait attiré l’attention, après que 1 800 élèves du collège Cha Hélène se sont retrouvés sans établissement, au milieu de l’année scolaire. Depuis, trois autres expulsions collectives ont eu lieu, rien que dans le quartier de Gesco.

Ces déguerpissements font partie de la politique de "lutte contre le désordre urbain" instaurée par le district d’Abidjan. En février 2024, celui-ci a identifié 176 "zones à risque", dont Gesco fait partie. Contactée par notre rédaction pour connaître les raisons exactes de ces expulsions, la mairie de Yopougon et le district d’Abidjan n’ont pas donné suite à nos sollicitations.

Pourtant, les habitants se disent surpris par ces expulsions. Le festival Gesco Ma Cité, soutenu par les autorités locales et qui devait se tenir début septembre, a été contraint d’annuler en raison de l’opération.

"Ils ont dépassé les limites qu’ils avaient données"

Simone (pseudonyme), une de nos Observatrices, dont la mère possède un terrain dans la zone, raconte la surprise des habitants.

Les déguerpissements ont commencé à partir du mois de février, mais ils s’étaient arrêtés pendant les vacances. Quand les bulldozers sont revenus, au mois d'août, ils ont dit que c’était pour ramasser les débris.

À vrai dire, on était inquiets. Normalement, ils devaient rester dans une bande de 50 mètres le long de l’autoroute, mais on les voyait avancer. Ils ont dépassé les limites qu’ils avaient données au début.

À notre grande surprise, mercredi 11 septembre, ils sont venus avertir les locataires qu'ils devaient déguerpir, ils n’ont pas donné de papiers administratifs. Et le vendredi, ils ont cassé. Aujourd’hui, ils continuent à casser tout le quartier.

On avait même appelé la mairie pour savoir si notre maison faisait partie des parcelles qui devaient être cassées, et ils nous ont dit que toutes les maisons concernées avaient reçu des papiers. Et nous, on n’a jamais reçu de papier.

C’était un coup dur de les voir détruire ces maisons. Cela représente des centaines de familles.

"Qu’est-ce qu’ils vont aller faire à l’école, si on n’a pas de toit ?"

Adjaïto Judide Diaby et sa famille font partie des personnes expulsées le 13 septembre. Son fils de 16 ans et sa fille de 6 ans devaient faire leur rentrée début septembre.

Actuellement, on dort dehors, on n'a pas d'endroit où aller depuis ce vendredi, personne pour nous aider.

J’ai des enfants. Ils n’ont pas fait leur rentrée. Ils ne peuvent pas aller à l’école, parce qu’on n’a pas de toit pour dormir. Qu’est-ce qu’ils vont aller faire à l’école, si on n’a pas de toit ?

L’école a été épargnée, mais ils ont déguerpi toutes les maisons à côté. Tout le monde est dans la même situation. Mes enfants, s’ils sont obligés, feront une année blanche parce que je n’ai pas de toit où aller.

Quartiers rasés à Abidjan en pleine rentrée : “Mes enfants ne peuvent pas aller à l’école”

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"On détruit des vies, on détruit des familles, on détruit des scolarités"

Pulchérie Gbalet est une activiste, responsable de la Coalition des victimes et menacés de déguerpissement de Côte d’Ivoire.

Les premiers déguerpissements ont eu lieu en pleine année scolaire. Beaucoup d’enfants ont passé les examens dans des conditions très difficiles, il y en a qui ont dû interrompre carrément leur scolarité.

Les derniers déguerpissements ont eu lieu en pleine rentrée scolaire. C'est vraiment difficile, parce que la période des affectations est passée. Si les déguerpissements avaient eu lieu pendant les vacances, il y avait encore la possibilité, selon les lieux de relogement des parents, de faire des transferts.

Le district a cru bon désormais de casser les maisons en laissant les écoles. Mais ça devient inutile puisqu’en cassant les maisons, les parents se dispersent avec leurs enfants. Donc les écoles, même quand on ne les casse pas, ne sont pas fréquentées. Les classes sont vides et servent de lieu de refuge. Finalement, on vient les casser, parce qu'on ne veut pas que les gens restent sur le site.

Des milliers de ménages sans solution

En mars, la ministre de la Cohésion nationale, de la Solidarité et de la Lutte contre la pauvreté, Belmonde Dogo, avait annoncé des mesures de relogement pour ces habitants. Pour l’activiste, elles sont insuffisantes.

Des milliers de ménages ont été affectés au niveau de Gesco. L'une des raisons pour lesquelles on ne peut pas déterminer avec exactitude le nombre de populations affectées, c'est le fait qu'on ne recense pas avant. On essaie de faire un recensement après, alors que beaucoup de gens sont déjà partis.

Il y a des victimes qui n'ont pas reçu d'indemnités de relogement, qui s'élevaient seulement à 250 000 francs CFA [381 euros, NDLR]. Ce n'est vraiment pas suffisant pour le coût de la vie à Abidjan. Il y a des personnes qui ont reçu ces 250 000 francs CFA et qui ne sont toujours pas relogées.

Le district a parlé de lutte contre le désordre urbain. Mais Gesco n'est pas un quartier précaire. Les populations disposent de documents administratifs, fonciers, qui leur ont été délivrés par le ministère de la Construction. Ce n’est pas normal que l'administration se permette d'agir ainsi.

"On a l'impression que le gouvernement est en guerre contre une partie de la population"

On parle de déguerpissements abusifs parce que les populations qui sont victimes n'ont ni information, ni indemnisation préalables.

On a l'impression que le gouvernement est en guerre contre une partie de la population. Vous avez vu les décombres, là, ça ressemble à des sites de guerre, on n'aurait pas fait mieux si c'était une guerre.

Après l'émoi qu’a suscité le cas de Gesco, avec les réactions du public, le district a décidé que seulement une trentaine de sites seraient déguerpis. Mais aujourd'hui, on ne nous a toujours pas donné la liste.