Un lourd bilan se dessine à Bamako, deux jours après la double attaque jihadiste qui a visé, mardi 17 septembre, une école de la gendarmerie et une base militaire.
Contactée par l’AFP, une source sécuritaire a fait état de 77 morts et 255 blessés. De son côté, le quotidien Le Soir de Bamako annonce en une "les obsèques d'une cinquantaine d'élèves gendarmes" ce jeudi.
Ce raid coordonné, le premier du genre à Bamako, a été revendiqué mardi par le Jnim (Groupe de soutien à l'islam et aux musulmans), affilié à Al-Qaïda, qui a fait état "de grosses pertes humaines et matérielles et un nombre d’aéronefs incendiés".
Si aucun bilan officiel n’a pour l’heure été communiqué, l'état-major malien a déploré mardi "quelques pertes en vies humaines", notamment des élèves gendarmes.
Cette attaque, la plus meurtrière jamais commise dans la capitale, est un sérieux coup porté aux autorités de transition, arrivées au pouvoir en 2020 à la faveur d’un coup d’État et qui ont érigé la "montée en puissance de l’armée" et la "reconquête du territoire" en "priorité absolue".
Attaque "au cœur du réacteur militaire"
Au-delà de son lourd bilan, la double attaque du Jnim mardi à Bamako est spectaculaire à plus d’un titre : parce qu’elle vise deux symboles du pouvoir militaire mais également en raison de son niveau de planification et de coordination.
C’est un événement "inédit pour Bamako", soulignait mardi sur le plateau de France 24 Wassim Nasr, expert des mouvements jihadistes, même si l’on sait que "la capitale est très poreuse pour les jihadistes".
En 2015, des terroristes liés à Al-Qaïda avaient déjà mené une attaque dans le centre de la capitale, à l'intérieur de l’hôtel Radisson Blu, qui s’était soldée par la mort de 22 personnes dont les deux assaillants. Les années suivantes, des attaques jihadistes avaient visé la mission militaire de l’UE à Bamako ainsi qu’un hôtel dans la périphérie de la ville. La capitale avait ensuite connu une relative accalmie jusqu’à l’attaque de la base militaire stratégique de Kati située à une vingtaine de kilomètres de Bamako, lors d’une opération d’envergure du Jnim, repoussée par les forces de sécurité au terme d’intenses combats.
"Mardi, en attaquant l’école de gendarmerie et la base aérienne 101 accolée à l’aéroport, les terroristes ont frappé le cœur du réacteur militaire à Bamako", analyse Mohamed Amara, docteur en sociologie et analyste sécuritaire. "Il n’y a pas de précédent ni en termes d’ampleur ni de vulnérabilité pour le système sécuritaire malien."
De nombreux observateurs ont également commenté la portée symbolique de la date de l’attaque, le jour anniversaire de la gendarmerie nationale et au lendemain de la première bougie de l'Alliance des États du Sahel (AES), le pacte de défense mutuelle conclu entre le Mali, le Burkina et le Niger. "Cette date a été choisie par les jihadistes pour causer un impact moral important sur les forces armées", analyse Wassim Nasr.
"Alors que le groupe EIGS (État islamique dans le Grand Sahara) reste largement cantonné à sa zone de prédilection dans le Liptako-Gourma (zone des trois frontières entre le Mali, le Burkina et le Niger, NDLR), le Jnim a une présence au Mali beaucoup plus large et vise directement le pouvoir à Bamako", indique Mohamed Amara.
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Accepter Gérer mes choixGuerre sur plusieurs fronts
L’opération du Jnim est un revers cinglant pour les autorités maliennes, promptes à vanter la "montée en puissance de l’armée" face à la menace terroriste. "Les succès enregistrés dans le domaine de la défense et de la sécurité sont indéniables et ont permis d'élargir notre coopération", se félicitait le président de transition deux jours plus tôt, à la veille du premier anniversaire de l’AES. Pourtant, le nombre de civils tués au cours d’attaques a continué de progresser au Sahel, passant de 2 500 au cours des six derniers mois de 2023 à plus de 3 000 au cours des six premiers mois de 2024, selon l’ONG Acled.
"La difficulté aujourd’hui, c’est qu’il y a plusieurs fronts au Mali", analyse Niagalé Bagayoko, présidente du centre de recherche African Security Sector Network, rappelant que l’armée se bat contre les groupes jihadistes liés aux organisations Al-Qaïda et État islamique mais également contre les groupes armés du Nord ayant des revendications autonomistes, "qualifiés eux aussi de terroristes par les autorités actuelles".
Ces groupes rebelles à majorité touarègue avaient été chassés de leur fief de Kidal il y a près d’un an par les forces maliennes et leurs supplétifs Wagner. Mais en juillet, ils ont remporté une importante bataille à Tinzaouatène, près de la frontière algérienne, infligeant de lourdes pertes aux militaires maliens et aux miliciens russes.
"Épuisement de l’outil de défense"
Les récents déboires militaires ont relancé le débat latent à propos de la stratégie de la junte, qui a décidé d’assimiler les mouvements armés touaregs à des "groupes terroristes" et d’engager une guerre totale à leur encontre après avoir dénoncé en janvier 2024 les Accords pour la paix et la réconciliation signés en 2015.
"Nous n’avons pas le choix, nous sommes menacés dans notre existence depuis plus de dix ans", affirme Bandiougou Danté, président de la Maison de la presse du Mali, qui partage sur ce sujet la vision des autorités de transition. "Ces groupes dénoncent la mauvaise gouvernance mais aucune revendication politique ne peut justifier de prendre les armes contre l’État et de faire alliance avec des terroristes."
Mohamed Amara estime pour sa part que cette guerre sur plusieurs fronts provoque un "épuisement de l’outil de défense" qui profite désormais aux groupes liés aux organisations Al-Qaïda et État islamique.
"Même s’ils ont parfois fait front commun pour contrôler des territoires, il faut faire la différence entre les groupes armés du Nord et les groupes narcoterroristes qui revendiquent une idéologie salafiste", juge le chercheur. "L’approche militaire ne peut pas tout, et les amalgames ferment la porte du dialogue. Nous devons nous inscrire dans un processus de solution politique et les ramener à la table des négociations."