Sur les réseaux sociaux, les vidéos menaçantes liées à ce nom s’accumulent : "La Ligue de Défense Musulmane est de sortie ce soir à Bolton", assure ainsi un compte Facebook anti-immigration le 4 août. Sur les images, plusieurs dizaines d’hommes en noir, parfois encagoulés, déambulent aux cris de "Allah akbar" [“Dieu est le plus grand » en arabe]. 

D’autres vidéos publiées le même jour montreraient le même groupe d’hommes un peu plus tard en train d’attaquer des manifestants anti-immigration, ou lors de heurts avec la police. 

Depuis le 29 juillet et le meurtre de trois fillettes par un individu armé d’un couteau à Southport, le Royaume-Uni est en effet secoué par une vague de manifestations et d’émeutes anti-immigration. Elles font notamment suite à des rumeurs erronées qui faisaient de l’assassin un jeune migrant musulman. La police britannique a par la suite révélé que le suspect, désormais aux mains de la justice, était un citoyen britannique. 

Plusieurs dizaines de policiers ont été blessés dans ces émeutes anti-immigration, tandis que des installations destinées aux personnes migrantes ont été dégradées ou détruites, comme un hôtel de la ville de Rotherham. Dans ce contexte où des contre-manifestations parfois violentes s’organisent - comme le 5 août dernier à Birmingham - les accusations contre la "Ligue de Défense musulmane" contribuent à alimenter la tension. 

Les émeutes d’extrême droite ont bien donné lieu à des contre-manifestations, organisées selon les cas par des groupes de gauche ou directement par des habitants des quartiers visés, largement peuplés par des personnes issues de l’immigration. Des membres de ces rassemblements se sont parfois livrés à des affrontements violents avec les émeutiers, voire à des agressions et à des dégradations de biens. Cependant, la "Ligue de Défense musulmane" semble être une organisation totalement fictive, mise en avant par des militants d’extrême droite pour appuyer leur rhétorique.

Une fausse attaque à l’arme blanche…

Plusieurs comptes reprochent ainsi à cette supposée organisation d’envoyer des militants armés affronter les manifestants anti-immigration dans plusieurs villes anglaises. Dans une publication sur X depuis supprimée, ce compte favorable au parti conservateur et anti-immigration Reform UK assure le 3 août que la "Ligue de Défense musulmane agite des couteaux et des machettes". Sur la vidéo qu’il partage, de mauvaise qualité, on peut voir des hommes en noir agiter de longs objets métalliques, sans qu’il soit possible d’affirmer qu’il s’agit de machettes. 

Ici, "Turning Point UK", une organisation étudiante conservatrice, assure le 4 août sur X que les "hommes de main de la Ligue de Défense musulmane - parfois armés de battes de baseball - s’attaquent à un homme simplement car il est britannique".

Ces accusations sont parfois très graves : le 3 août, après des émeutes à Stoke-on-Trent qui ont notamment visé une mosquée, plusieurs comptes accusent ainsi la « Ligue de Défense musulmane » d’une attaque à l’arme blanche. Celle-ci aurait fait deux blessés, qui se seraient trouvés “entre la vie et la mort" à l’hôpital.

Mais cette rumeur d’attaque au couteau est en fait largement exagérée : dans un communiqué publié le jour de l’émeute, la police du Staffordshire (la région de laquelle dépend Stoke-on-Trent) indique que les deux hommes blessés puis filmés le 3 août ont été "frappés par un objet contondant lancé dans les airs. [...] Leurs blessures sont jugées peu dangereuses. [...] Aucune blessure par arme blanche n’a été rapportée à la police.” 

Contactée par la rédaction des Observateurs, les forces de l’ordre ont refusé de communiquer davantage de détails. Des recherches sur les réseaux sociaux permettent cependant de retrouver une autre vidéo, également filmée à Stoke-on-Trent le 3 août, montrant les manifestants anti-immigration pris pour cible par des contre-manifestants à l’aide de pierres. 

…Attribuée à une organisation dont il n’existe aucune trace

Si cette rumeur d’attaque au couteau à Stoke-on-Trent est mensongère, d’autres violences commises par des contre-manifestants sont bien réelles. Mais sont-elles pour autant imputables à une "Ligue de Défense musulmane" ? Pour le savoir, la rédaction des Observateurs a tenté de retrouver des traces de cette organisation sur le net. 

Le bilan de cette recherche est mince. Aucun compte actif et doté d’une audience de plus de quelques dizaines de personnes n’existe sur les réseaux sociaux. Aucune association ne répond  au nom de "Muslim Defence League" [Ligue de Défense Musulmane en anglais] dans les registres de l'État britannique ni dans ceux de sites dédiés aux recherches sur le sujet. 

Enfin, une recherche d'occurrences sur Google ne donne accès à aucune source fiable et récente sur le sujet. Seules deux mentions notables apparaissent : une pétition datant de 2012 demandant d’”interdire la Ligue de Défense musulmane", qui n’a réuni que 46 signatures, et une brève mention dans l’article Wikipédia dédié à l’English Defence League (une organisation britannique d’extrême droite fondée en 2009). Sur la base d’un article scientifique de 2010, on apprend qu'une des réponses au développement de ce mouvement "a été la formation de la Ligue de Défense musulmane en 2010, dont le but proposé était l’opposition à l’islamophobie et la lutte contre la désinformation sur l’Islam". Ce mouvement semble cependant s’être limité à des actions en ligne, et ne plus avoir d’échos à l’heure actuelle. 

“Nous n’avons aucune preuve crédible de l’existence d’une telle organisation”

Gavin Hart, maître de conférences en criminologie à l’université Hope de Liverpool et spécialiste de la violence d’extrême droite au Royaume Uni, ne croit pas en l’existence d’une milice musulmane structurée dans son pays.

Je pense qu’il est bien trop tôt pour parler d’un groupe d’autodéfense musulman organisé. J’ai vu passer une ou deux fois ces affirmations, venant de figures publiques à l’extrême droite du spectre politique, mais nous n’avons encore aucune preuve crédible de l’existence d’une telle organisation. Cependant, il y a bien eu ces derniers jours des cas clairs où des jeunes hommes issus de zones peuplées par un grand nombre de personnes issues de l’immigration se sont organisés et possiblement armés en anticipation de l’arrivée d’émeutiers dans leurs quartiers. Ce sont des mouvements spontanés, mais nous sommes loin de pouvoir qualifier cela de groupes organisés.

Des « groupes de jeunes musulmans »  à Birmingham

Gavin Hart évoque ainsi la situation dans la ville de Birmingham dans la soirée du 5 août où, selon la BBC, des "groupes de jeunes musulmans" se sont rassemblés dans cette ville dotée d’une forte population issue de l’immigration. Auparavant, des rumeurs selon lesquelles une manifestation anti-immigration se tiendrait dans la ville le 5 août avaient circulé. Un pub a été dégradé et un de ses clients violemment agressé par certains de ces groupes, selon la presse locale. 

Plusieurs journalistes rapportent également des confrontations menaçantes avec les personnes présentes sur place. Une journaliste de la chaîne Sky News a ainsi dû interrompre son direct après l’irruption d’un groupe d’hommes encagoulés. L’équipe de tournage rapporte avoir été suivie par un homme armé d’un couteau qui s’en serait pris aux pneus de leur véhicule. Un autre journaliste de la chaîne LBC dit le même jour avoir été “chassé d’une zone de l’est de Birmingham par un groupe d’hommes originaires d’Asie du sud venus pour ‘protéger leur communauté’ contre une manifestation d’extrême droite". "Des voitures nous ont suivis, on nous a hurlé des injures et, à un moment donné, un groupe d'environ six hommes nous a poursuivis avec ce qui semblait être une arme" , raconte-t-il. 

La "Ligue de Défense Musulmane", une organisation fantôme au service de la rhétorique d'extrême droite

Pour Gavin Hart, ces exactions, attribuées à une "Ligue de Défense musulmane" fictive, peuvent être mobilisées par les groupes d’extrême droite britanniques pour alimenter la spirale de la violence et continuer à mobiliser. 

Les groupes d’extrême droite seront certainement attentifs à toutes les réactions à leur hostilité susceptibles d’être utilisées comme propagande. Si il y a une réaction de contre-manifestants musulmans, ces groupes chercheront tous les extraits vidéos à même d’être utilisés comme armes rhétoriques pour défendre l’idée qu’il existe une résistance armée à leurs actions.

L’attribution de l’ensemble des contre-manifestations à un seul mouvement permet aussi d’appuyer un autre argument rhétorique : la dénonciation d’un "maintien de l’ordre à deux vitesses" de la part de la police britannique. Celle-ci est en effet accusée par des militants d’extrême droite de réprimer durement les émeutiers anti-immigration, alors que les contre-manifestants seraient laissés libres de commettre des violences. 

L’invention d’une "Ligue de Défense musulmane" fictive permet de comparer son traitement supposé avec celui des militants de la "English Defence League" [Ligue de défense anglaise, EDL pour l’acronyme anglais]. Cette organisation d’extrême droite bien réelle, très active au début des années 2010, aurait vu certains de ses éléments participer aux émeutes actuelles. Au cours de la dernière décennie, elle a cependant perdu une grande partie de son influence après des conflits entre ses différentes branches et la révélation de projets d’actions violentes menés par plusieurs de ses militants. 

Ce déclin pousse certains comptes d’extrême droite à accuser l’Etat britannique de l’avoir dissoute, alors que la "Ligue de Défense musulmane" serait, elle, toujours autorisée. Il s’agit d’une fausse information : l’EDL, qui n’est officiellement plus en activité, n’a jamais été dissoute par les autorités. Celles-ci examinent cependant la possibilité de la proscrire à la suite des émeutes récentes.

“La violence organisée à grande échelle ne peut pas être comparée aux autres manifestations” 

Gavin Hart explique que les accusations contre une "police à deux vitesses" de la part de l’extrême droite britannique ne datent pas des émeutes récentes. 

L’argument des militants d’extrême droite va être de dire, par exemple, que les mouvements Black Lives Matter ou pour la Palestine ont été bien moins encadrés par la police que les manifestations d’extrême droite. Mais les émeutes d’extrême droite que nous voyons aujourd’hui sont un mouvement organisé, porteur de criminalité et de violence. C’est d’un tout autre ordre. Il y a une organisation, des annonces sur certains réseaux sociaux pour dire aux gens où et quand se rejoindre, habituellement autour d’une mosquée, d’un hôtel pour migrants, ou d’un quartier multiculturel. Ce genre de violence organisée à grande échelle ne peut pas être comparée aux autres manifestations contre l’extrême droite.

Pour le chercheur en criminologie, les accusations de "police à deux vitesses"  ne tiennent pas en ce qui concerne le contrôle des manifestations en Grande-Bretagne. "Si vous regardez les éléments du maintien de l’ordre de manière dépassionnée, il est en fait possible de dire que la police est assez homogène dans sa manière de traiter ces deux types de mouvements", affirme-t-il.