Qu’est-ce que l’affaire de "l’ABIN parallèle" ?
Jair Bolsonaro est mis en cause dans deux affaires dans lesquelles il lui est notamment reproché de s’être approprié les moyens de l’État à des fins personnelles. La première est celle de "l’ABIN parallèle", du nom de l’agence brésilienne du renseignement. Le 11 juillet dernier, la Police fédérale (PF) a arrêté quatre membres de l’agence, accusés d’avoir espionné des opposants politiques, des membres de la Cour suprême, ainsi que des journalistes pour le compte de l’ex-président, durant son mandat et à l’approche de l’élection présidentielle de 2022.
Ses hommes de main auraient ainsi profité de leur position privilégiée au cœur du renseignement brésilien pour surveiller les activités d’un certain nombre de personnes jugées hostiles au clan Bolsonaro. L’enquête met notamment en lumière l’espionnage des responsables de la commission d’enquête portant sur la gestion désastreuse du Covid-19 par le gouvernement de Bolsonaro (700 000 Brésiliens en sont décédés).
Mais le scandale ne s’arrête pas là : la Cour suprême du Brésil a révélé le 15 juillet dernier l’enregistrement d’une de ses conversations avec des membres du renseignement brésilien. On y entend le leader d’extrême droite discuter avec le député fédéral Alexandre Ramagem et le Général Augusto Heleno de la façon dont l’ABIN pourrait protéger son fils, le sénateur Flavio Bolsonaro, sous le coup d’une enquête pour détournement d’argent public et association de malfaiteurs.
Qu’est-ce que l’affaire des "bijoux saoudiens" ?
L’ABIN parallèle n’est cependant pas la seule affaire dans laquelle Jair Bolsonaro est englué. À la suite d’une enquête conclue le 4 juillet 2024, la Police fédérale l’accuse également d’avoir bénéficié d’un système de vente illégale de bijoux et autres objets de luxe, offerts au Brésil par l’Arabie saoudite en octobre 2019. Il s’agit de colliers de diamants, de sculptures dorées et de montres de luxe d’une valeur estimée à 7 millions de réaux (1,12 million d’euros), dont la revente aurait permis au candidat, battu par Lula en 2022, de financer sa fuite aux États-Unis pour échapper à la justice, quelques jours avant l’investiture de son rival.
Et les choses ne semblent pas près de s’arranger pour Bolsonaro, qui a officiellement été inculpé au début du mois de juillet : son ex-bras droit Mauro Cid, acteur central dans la revente des bijoux, a accepté de témoigner auprès de la justice. La défense du leader d’extrême droite est d’autant plus mal en point que ses avocats n’auront pas accès au contenu de ce témoignage, comme l’a décidé le procureur général de la République brésilienne.
Que risque Jair Bolsonaro ?
L’enquête est toujours en cours dans l’affaire de l’ABIN parallèle, pour laquelle Jair Bolsonaro risque gros : selon des enquêteurs de la Police fédérale interrogés par CNN Brasil, le passage par la case prison semble quasiment inévitable. Il encourrait ainsi jusqu’à 12 ans de détention pour divers crimes allant de l’association de malfaiteurs à l’espionnage d’appareils électroniques, en passant par la corruption passive.
La revente des bijoux offerts par l’Arabie saoudite pourrait également coûter cher à Jair Bolsonaro. Le rapport d’inculpation publié le 4 juillet dernier fait état d’un "détournement de cadeaux de grande valeur reçus par l'ancien président en raison de sa position pour les vendre à l'étranger à une date ultérieure", qui pourrait lui valoir jusqu’à 32 ans derrière les barreaux en cas de condamnation.
Les dates des potentiels procès ne sont pas encore connues. Mais à gauche, on se régale sur les réseaux sociaux pro-Lula, avec des memes et des posts montrant un compte à rebours et se délectant d’une possible incarcération.
Mais si ces déboires judiciaires passionnent la toile, ils ne mobilisent pas pour autant les militants de gauche dans les rues. Divers mouvements, comme celui du MST (Paysans sans terres), estiment que l’organisation de rassemblements pourrait davantage porter préjudice à la gauche qu’incriminer Bolsonaro. "La gauche est déjà accusée par le camp Bolsonaro d’avoir acheté la justice, alors en rajouter dans les rues ne ferait que conforter Bolsonaro dans son rôle de victime du système acquis à Lula et le Parti des travailleurs", affirme l’analyste politique Lucas Fernandes. En cette année de commémoration des 60 ans de la dictature militaire, "la gauche a fait le choix de descendre dans les rues pour défendre la démocratie, de ne pas personnaliser, incarner l’ennemi".
Dans quel contexte s’inscrivent ces affaires ?
En 2023, Jair Bolsonaro avait déjà été condamné à une peine de huit ans d’inéligibilité par le Tribunal supérieur électoral (TSE) pour avoir violemment attaqué le système de vote électronique utilisé au Brésil durant la campagne présidentielle. Malgré cette condamnation et les ennuis judiciaires dont l’ex-président ne semble pas près de se sortir, celui-ci continue d’être actif politiquement, au Brésil et en dehors.
Le 6 juillet dernier, Jair Bolsonaro a ainsi rencontré le président argentin, Javier Milei. Pour sa première visite sur le sol brésilien depuis son élection, le voisin ultralibéral a pris soin d’éviter Lula et s’est directement rendu à la convention CPAC Brésil, le plus grand rassemblement de conservateurs au monde, qui s’est tenu à Balneario Comboriu, dans l’État de Santa Catarina, situé dans le sud du Brésil.
Comme un symbole de l’importance croissante de l’extrême droite en Amérique du Sud, les deux hommes se soutiennent mutuellement. L’Argentin a d’ailleurs qualifié de "persécution" les enquêtes judiciaires visant son allié brésilien.
Alors que le Brésil se déchire autour d’une polémique sur l’âge légal permettant à une femme d’avorter en cas de viol et que se profile au Venezuela une nouvelle crise politique suite à la réélection de Nicolas Maduro le 29 juillet, les deux ultra-conservateurs se présentent comme les seuls remparts moraux et politiques face à la montée du "communisme" en Amérique latine.
Même constat sur la scène nationale, où les ennuis judiciaires ne freinent pas non plus l’homme politique d’extrême droite. En pleine campagne pour les élections municipales de Rio de Janeiro, il soutient ouvertement Alexandre Ramagem, par ailleurs ex-directeur de l’ABIN. Un soutien payant : selon un sondage de l’institut Quaest publié le 24 juillet dernier, le coup de pouce de Bolsonaro aurait permis de doubler les intentions de vote en faveur de Ramagem, qui ont grimpé de 14 à 30 %.
Ces affaires peuvent-elles nuire à la popularité de Jair Bolsonaro ?
Si les déboires judiciaires de l’ancien président pourraient éloigner certains électeurs modérés, ce n’est pas le cas des "bolsonaristas" les plus radicaux. C’est en tout cas l’avis d’Odilon Caldeira Neto, coordinateur de l’Observatoire de l’extrême droite (OED) de l’université fédérale de Juiz de Fora. "Chez ceux qui étaient déjà proches des discours les plus antidémocratiques de Bolsonaro, l’impact de ces affaires est quasi-nul, estime le spécialiste. Pour ce qui est de l’ABIN parallèle, cette base bolsonarista radicale demandait justement des persécutions contre les opposants politiques et des attaques contre des institutions comme la Cour suprême."
Passé du "bas clergé" de la Chambre des députés à la présidence du Brésil en 2018, Jair Bolsonaro a su se construire une solide base de soutiens. "La plupart des personnes qui lui restent fidèles ont construit leur identité politique autour de sa figure de leader. Ils ont donc tendance à accepter ses nombreux écarts", juge Odilon Caldeira Neto. Paradoxalement, l’extrême droite brésilienne s’est renforcée au début des années 2010 autour d’un discours anti-corruption, prônant le retour de la morale dans un monde politique marqué par des scandales comme le Lava Jato. Mais Bolsonaro a su aller au-delà de cette contradiction en se servant de ses problèmes judiciaires pour se poser en victime du système. Pour Odilon Caldeira Neto, "il utilise ces accusations pour justifier son discours anti-système, qui continue de convaincre environ 30 % de l’électorat brésilien. Il accuse la justice d’inventer de fausses accusations pour le persécuter".
Bolsonaro, Trump, même combat ?
Le cas Bolsonaro rappelle évidemment celui de Donald Trump : acculé par les procès après sa défaite à l’élection présidentielle de 2020, l’ancien président a fait de ses déboires judiciaires un atout au service de sa popularité. Au Brésil, celui qu’on surnomme le "Trump tropical" utilise une stratégie similaire à celle de son allié américain. "Ces deux leaders d’extrême droite sont mis en cause pour des affaires assez différentes, rappelle Odilon Caldeira Neto. Mais la stratégie reste la même : ils se posent en victimes d’une justice et de médias qui seraient acquis à leurs opposants, dans le but de fidéliser un électorat radicalisé."
Cette stratégie fonctionnera-t-elle pour Bolsonaro, qui espère toujours revenir aux affaires malgré une peine d’inéligibilité qui court jusqu’en 2030 ? Selon le spécialiste de l’extrême droite brésilienne, "de nouvelles condamnations dans les affaires en cours et surtout des peines de prison pourraient avoir un impact bien plus important sur sa popularité et sur son avenir politique".