Il y a plus d'une manière de marquer l'histoire aux Jeux olympiques. Pour certains, il s'agit de collectionner les médailles d'or comme d'autres collectent des Pin's. Pour plusieurs athlètes, le simple fait d'être présent sur la ligne de départ est déjà un exploit en soi
Samedi 27 juillet, alors que l'Australienne Grace Brown domptait la pluie pour s'adjuger le contre-la-montre féminin, la participation de Yulduz Hashimi, 24 ans, tenait tout à la fois du miracle et du symbole. Trois ans après avoir fui Kaboul et le règne des Taliban, la jeune athlète est devenue la première Afghane – hommes et femmes confondus – à concourir en cyclisme en portant les couleurs de son pays. Une émotion partagée par sa sœur de 21 ans, Fariba, qui concourra avec elle lors de la course en ligne dimanche 4 août.
"Je suis heureuse. Je suis heureuse pour mon peuple et mon pays et je suis heureuse de pouvoir porter nos couleurs et notre drapeau aux Jeux olympiques”, explique la jeune femme aux cheveux courts, en route pour un de ses entraînements.
"Ce drapeau représente ma vie"
Aux JO de Tokyo, Masomah Ali Zada avait ouvert la voie en concourant avec le maillot de l’équipe des réfugiés. Mais cette fois, c’était bien avec un cuissard aux couleurs de l’Afghanistan que l’histoire s’est écrite. Une tenue symbolique. Elle arbore en effet le drapeau historique rouge-noir-vert de l'Afghanistan, banni par les Taliban qui lui préfèrent un étendard blanc et noir.
"C’est mon drapeau et je me battrai avec ce drapeau. Il représente notre vie", note Fariba Hashimi
En attendant la course en ligne, les deux sœurs profitent du village olympique entre deux entraînements. Dans les rues de la Babel olympique, Farida s’amuse à chercher les visages de stars, y compris celui de son modèle, le Belge Wout van Aert.
Déguisées pour pratiquer le vélo
Originaires du Faryab, une des provinces reculées du nord de l'Afghanistan, les sœurs Hashimi ont découvert le cyclisme sur le tard. Âgées de 17 et 14 ans, elles empruntent un vélo à un voisin et se joignent à une course. Une révélation pour les Hashimi.
Dans les premiers temps, elles se déguisent avec lunettes, hijabs et vêtements amples tout en concourant sous des faux noms par crainte de la réaction de leur famille. C'est un article dans un journal qui vend la mèche à leurs parents.
"Même avant [le retour au pouvoir des Taliban, NDLR], les mentalités dans mon pays vis-à-vis des femmes n’étaient pas terribles. Pour beaucoup, les femmes ne devraient même pas sortir dans la rue. Nous étions montrées du doigt dans la rue, nous avions mauvaise réputation. On nous insultait", raconte Fariba. "Heureusement, nos parents nous soutenaient."
Dans un Faryab très conservateur, rouler à vélo dans la rue ou sur les pistes poussiéreuses peut s'avérer dangereux. Fariba se souvient qu’un rickshaw a déjà essayé de la renverser à l'entraînement et que parfois, elle devait éviter les pierres jetées dans sa direction par des hommes l’enjoignant "à rester dans la maison".
La fuite de Kaboul
À l’été 2021, dans la foulée du retrait des troupes américaines d'Afghanistan, les Taliban reprennent le pouvoir. Un retour aux commandes matérialisé le 15 août par la prise de la capitale, Kaboul. Les Taliban ont durci les conditions de vie des femmes afghanes, leur interdisant de pratiquer le sport et de faire des études. Les Nations unies dénoncent "un apartheid de genre".
Craignant pour leur liberté, les deux sœurs contactent Alessandra Cappellotto, ancienne championne du monde de cyclisme qui utilise désormais la petite reine pour aider les femmes du monde entier. L’Italienne obtient pour elles et d’autres femmes cyclistes ainsi que leurs familles une évacuation depuis l’aéroport de Kaboul.
Avec le soutien de Cappellotto, les Hashimi ont reconstruit leur vie en Italie et continué leur rêve de cyclisme. Elles ont d’abord obtenu un contrat dans l’équipe italienne Valcar-Travel & Service avant de rejoindre Israël Premier Tech Roland Development.
Désormais, elles sont pensionnaires de l’équipe de développement gérée et financée par l'UCI et basée au Centre mondial du cyclisme, une installation ultramoderne située dans la ville suisse d'Aigle, en Suisse. Pour maintenir vivace, le cyclisme féminin afghan, un championnat national d'Afghanistan y a été organisé avec les participation des exilées. Les deux sœurs ont alors fini 1ère et 2e.
Le CIO contourne les Taliban
Lors de la première période du gouvernement des Taliban entre 1996 et 2001, le CIO avait banni l’Afghanistan des JO. Dans ces conditions, il semblait interdit aux deux sœurs de rêver des Jeux.
Cependant, en juin 2024, le CIO a annoncé qu’il avait pris des dispositions qu'une équipe spéciale de six athlètes représentant l'Afghanistan, à parité hommes-femmes, se rende aux Jeux olympiques de Paris. Ses membres ont été sélectionnés par le Comité international olympique (CIO) en consultation avec le Comité olympique afghan dont la plupart des membres sont en exil.
Le CIO a également déclaré qu'aucun responsable taliban ne serait autorisé à se rendre à Paris 2024 tandis que le porte-parole des Taliban a quant à lui affirmé qu’il ne reconnaissait pas la présence des trois femmes.
"En ce moment, le sport féminin a été arrêté en Afghanistan. Si le sport féminin n'est pas pratiqué, comment (ces trois femmes) peuvent-elles faire partie de l'équipe nationale ?", a-t-il déclaré.
Qu’importe ! Les deux sœurs ont bien l’intention de montrer qu'elles sont là. "La course sera dure, le parcours sera dur mais je veux viser une des trois médailles", affirme Fariba Hashimi. "Ce serait beau pour mon pays et les femmes afghanes. Cela serait une belle manière de remercier tous ceux qui nous ont aidé."