À la mi-juillet, la “zone humanitaire” située dans la bande de Gaza - un secteur censé être sûr pour les déplacés, selon Israël - a été la cible de deux attaques qui ont fait plus d'une centaine de morts, selon le ministère de la Santé gazaoui. Cette zone, de quelques kilomètres carrés, s'étend actuellement du village d'Al-Mawasi au sud à Deir Al-Balah au nord. C’est l’une des plus densément peuplées à Gaza.
Le 16 juillet, une frappe dans le secteur, à l'ouest de la ville de Khan Younès, a fait au moins 17 morts et 26 blessés. À la suite de l'attaque, des vidéos ont montré des scènes de chaos dans les environs de la ville, où de nombreux blessés et morts ont été transportés à l'hôpital. L'armée israélienne a affirmé avoir "frappé un commandant de compagnie de l'unité navale du Djihad islamique" palestinien, tout en précisant examiner "les rapports indiquant que plusieurs civils ont été blessés à la suite de la frappe".
Trois jours plus tôt, une autre frappe israélienne avait fait au moins 90 morts et 300 blessés dans le village d’Al-Mawasi. Là encore, l’armée israélienne a déclaré avoir visé deux hauts dirigeants du Hamas, dont l'un des cerveaux présumés de l'attaque du 7 octobre, Mohammed Deif.
"La frappe a été menée dans une zone clôturée gérée par le Hamas", a affirmé l'armée israélienne, estimant qu'"aucun civil" ne se trouvait dans la zone et que "la plupart des victimes étaient des terroristes".
Toutefois, des images diffusées sur les réseaux sociaux après la frappe ont montré des enfants morts et blessés par l'attaque. Un constat confirmé par plusieurs organisations sur place, dont l'Unrwa, l'office pour les réfugiés palestiniens de l'ONU. Elle a notamment publié le témoignage d'une mère, dont un enfant a été tué et un autre blessé pendant l'attaque.
Si l'armée a déclaré avoir effectué une "frappe précise", les images qu’elle a publiées et plusieurs vidéos montrent un cratère de plusieurs mètres de diamètre produit par l'attaque. Le Wall Street Journal a indiqué que huit bombes de 900 kg - parmi les plus puissantes de l'arsenal israélien - avaient été utilisées pour viser la zone. En mai, les États-Unis avaient temporairement suspendu une livraison de ce type de bombes, invoquant l'impact qu'elle pourrait avoir dans les zones densément peuplées de Gaza.
La rédaction des Observateurs a interrogé l’armée israélienne au sujet de ces deux attaques survenues à la mi-juillet, mais n’a obtenu aucune réponse. Nous la publierons si elle nous parvient.
Dix attaques dans la zone humanitaire depuis mai
Outre ces deux attaques, le collectif Forensic Architecture en a comptabilisé huit autres dans la zone humanitaire depuis le 6 mai, date à laquelle elle a été étendue par l’armée israélienne au nord et au sud d'Al-Mawasi.
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Accepter Gérer mes choixUne zone humanitaire qualifiée de “sûre” par l’armée israélienne
Depuis le début de la guerre, l'armée israélienne a pourtant appelé à de nombreuses reprises la population à se réfugier dans cette zone, en la qualifiant de “sûre”.
Les 6 et 11 mai, en pleine offensive sur Rafah, l'armée a ainsi publié deux flyers à moins d'une semaine d'intervalle, pour demander aux habitants de différentes parties du sud-est de Gaza de quitter Rafah pour rejoindre la zone humanitaire. Le 1er juillet, elle a également appelé les civils à rejoindre la zone, dans un message publié sur X : "Pour votre sécurité, vous devez évacuer immédiatement vers la zone humanitaire".
L'armée avait aussi déclaré que la zone d'Al-Mawasi était une zone sûre le 27 mai, au lendemain d’une frappe qui avait tué au moins 45 personnes dans un camp de déplacés situé près du secteur. Alors qu'une certaine confusion entourait les limites "officielles" définies par Israël, l'armée avait déclaré aux Observateurs que la frappe n'avait "pas eu lieu dans la zone humanitaire vers laquelle l'armée a encouragé les civils à évacuer".
Un million de déplacés dans la zone
Ces attaques posent question sur le plan humanitaire, alors qu’environ un million de civils se sont réfugiés dans le secteur, selon des estimations de l'Unrwa - un chiffre ayant plus que doublé depuis l'offensive à Rafah.
"Au début de l'année, une partie des réfugiés avait pris place à Rafah", décrit Adi Ben Nun, géographe à l'Université hébraïque de Jerusalem, contacté par la rédaction des Observateurs : "Mais toutes les tentes autour de la ville ont été abandonnées quand Israël a débuté son opération en mai. Les réfugiés se sont alors déplacés vers le centre de Gaza le long de la côte.”
Le géographe, spécialisé dans l’analyse d'images satellites, a cartographié l'implantation des tentes de réfugiés dans la bande de Gaza, ce qui permet de constater que la plupart se trouvent désormais dans la zone dite "humanitaire".
"Cet endroit ne possède aucune infrastructure pour accueillir les réfugiés : il n’y a aucune douche, aucune toilette", précise Juliette Touma, directrice de la communication de l'Unrwa, à la rédaction des Observateurs, soulignant que la zone était auparavant un espace agricole.
La communication d’Israël dénoncée par les organisations internationales
Plusieurs organisations onusiennes dénoncent la communication des autorités israéliennes sur cette zone décrite comme "sûre" et "humanitaire". Après l’attaque du 13 juillet, le directeur de l'Unrwa Philippe Lazzarini a ainsi déclaré : "Il n’y a pas de zone 'sûre' ou 'humanitaire' à Gaza. (...) L'attaque d'hier et les pertes massives nous rappellent brutalement que personne n'est en sécurité à Gaza, où qu'il se trouve.”
Dès le mois de novembre, l'Unicef, l'Organisation mondiale de la santé ou encore le Haut commissariat aux réfugiés avaient également critiqué, dans un texte commun, le fait que l'armée israélienne ne respectait pas les conditions humanitaires et de sécurité nécessaires dans ce secteur.
Jean-François Corty, président de l’ONG Médecins du Monde, va dans le même sens :
Ces fameuses zones humanitaires, comme ces fameuses pauses humanitaires ou la fameuse jetée humanitaire américaine, relèvent d'une forme de propagande qui n'a rien à voir avec le niveau des besoins humanitaires.
La question du respect du droit humanitaire international, des civils, des structures de soins - à savoir toutes ces digues qui sont censées entretenir une certaine utopie de l'humanisation de la guerre - a volé en éclats.
On a une population enfermée dans une bande de 40 km de long sur 8 km de large et qui n'a aucune échappatoire, ce qui rend la situation exceptionnellement dramatique. On a rarement vu ça dans les conflits contemporains.