À la veille de l’élection du président réformateur Massoud Pezeshkian, le pouvoir judiciaire iranien a condamné à mort Sharifeh Mohammadi, accusée d'être membre d'un parti séparatiste kurde interdit et d'appartenir à un groupe de militants syndicaux. L’engagement syndical en dehors des organisations autorisées et contrôlées par l’État est interdit en Iran. Pour les ONG de défense des droits humains, ce cas illustre à nouveau la répression qui cible les "objecteurs de conscience".
La répression continue en Iran, où une syndicaliste kurde, Sharifeh Mohammadi, a été condamnée le 4 juillet à la peine capitale par la cour révolutionnaire de Rasht, principale ville de la province de Gilan, sur la mer Caspienne (nord), selon l'organisation Hengaw, basée en Norvège, et l'ONG américaine Human Rights Activists News Agency (HRANA).
Jugée coupable de rébellion, cette ingénieure en design industriel est accusée d'être membre du parti séparatiste kurde Komala, interdit par le régime iranien. Des accusations que réfute une source proche de la famille, qui a affirmé que Sharifeh Mohammadi a bien été membre d'un syndicat local il y a dix ans, mais qu’elle n'avait "rien à voir avec [le parti séparatiste kurde] Komala".
L'ONG Hengaw affirme qu'elle a été victime de "tortures mentales et physiques" par des agents de renseignement en détention, notamment en étant placée plusieurs mois à l'isolement.
Cette mère de famille de 45 ans avait été arrêtée en décembre 2023 et détenue en secret pendant des mois, affirme une autre ONG de défense des droits humains, IHR (Iran Human Rights), basée en Norvège. Sans nouvelle, son mari a tenté d’obtenir des informations sur le cas de sa femme et a été arrêté par des agents du ministère du Renseignement le 11 juin 2024, avant d’être libéré sous caution plus tard dans le mois.
Les autorités judiciaires iraniennes reprochent également à Sharifeh Mohammadi, son appartenance au Comité national de coordination de l'assistance aux syndicats (LUACC), qui opère légalement en Iran, indique IHR. Ce groupe de militants syndicaux œuvre pour une meilleure connaissance du droit des travailleurs en Iran et lutte pour l'abolition du travail des enfants.
"Répression féroce" des syndicalistes iraniens
Le Centre Abdorrahman Boroumand, ONG de défense des droits des Iraniens, a assuré pour sa part que sa condamnation était liée à "son rôle dans un syndicat indépendant [non autorisé par l’Etat iranien]". "Cette sentence extrême souligne la répression féroce des dissidents en Iran, en particulier contre les militants syndicaux dans une période de crise économique", a-t-il ajouté.
En Iran, les grèves et les rassemblements pacifiques, notamment à l’occasion de la Fête du travail, sont régulièrement étouffés, dénonce Amnesty international, à l’image du licenciement de 4 000 ouvriers de pétrochimie en avril 2023, après une grève historique pour demander des augmentations de salaire et de meilleures conditions de logement et de transport.
"Seuls les syndicats affiliés à la 'Maison des travailleurs', contrôlée par les Gardiens de la révolution et par les services de renseignement sont autorisés", explique l’avocate Chirinne Ardakani, présidente d’"Iran Justice", un collectif français qui recueille les preuves des exactions du régime iranien.
Or, le Comité national de coordination de l'assistance aux syndicats (LUACC), auquel les autorités judiciaires soupçonnent Sharifeh Mohammadi d’appartenir, est légal.
La condamnation à mort de la militante, perçue comme une tentative d’intimidation, a été vivement critiquée par d’autres syndicalistes. "Si l'appartenance au LUACC est un acte de rébellion, venez nous arrêter aussi, car nous avons été membres du comité à une époque", a ainsi réagi Mahmoud Salehi, un ancien membre du conseil d'administration du LUACC, dans un message publié sur Instagram le 28 juin.
Une campagne organisée pour la défense de Sharifeh Mohammadi a quant à elle jugé la sentence "absurde et infondée" sur ses comptes X et Instagram, estimant qu'elle visait à susciter "la peur et l'intimidation". La province de Gilan, d'où est originaire Sharifeh Mohammadi, avait été l'un des centres majeurs des manifestations de 2022 en Iran, après la mort en détention de la jeune kurde Mahsa Amini, arrêtée par la police des mœurs pour un voile mal porté.
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Accepter Gérer mes choixLe pouvoir judiciaire reste entre les mains du guide
Iran Human Rights affirme avoir comptabilisé au moins 249 exécutions cette année, dont dix femmes envoyées à l’échafaud, au cours des six premiers mois de l'année 2024.
"Très peu de femmes sont condamnées à mort ou à la prison à perpétuité. Quand c’est le cas, ce sont souvent des minorités", souligne Chirinne Ardakani. Le cas de la kurde Sharifeh Mohammadi illustre selon elle "l'intersection de toutes les discriminations de la République islamique à l'encontre des femmes, à l'encontre des mouvements sociaux et à l'encontre des minorités ethniques".
L’annonce de la condamnation à mort de cette militante le 5 juillet, à la veille de l’élection du nouveau président réformateur iranien Massoud Pezeshkian, "montre que la République islamique n'a pas l'intention d'arrêter sa machine à tuer, autorisée par l'État et utilisée pour punir et réduire au silence les dissidents pacifiques", alerte Hadi Ghaemi, le directeur exécutif de IHR, qui appelle la communauté internationale à réagir.
Pour l’avocate Chirinne Ardakani, l’élection de Massoud Pezeshkian "a permis à la République islamique de vernir son image, alors même que le cas de Sharifeh Mohammadi illustre, à l'abri des regards, la répression ciblée et la traque des objecteurs de conscience que sont les syndicalistes, les féministes et plus largement le mouvement des travailleurs".
L’arrivée d’un président réformateur ne devrait pas changer la donne, le chef du pouvoir judiciaire étant directement nommé par le guide suprême Ali Khamenei.
D’autre part, Massoud Pezeshkian ne paraît pas enclin à lutter contre la répression violente qui a suivi la mort de Mahsa Amini et dans laquelle s’inscrit cette nouvelle condamnation à mort. "Durant sa campagne, il a été plus que timide, sinon relativement silencieux, sur cette répression violente, sans jamais la qualifier de façon ferme et non équivoque", souligne Chirinne Ardakani. Et ce, alors même que le bilan est connu et documenté de la part des institutions internationales de l'ONU.
Après la mort de Mahsa Amini en septembre 2022, plus de 30 000 manifestants ont arrêtés et au moins 551 ont été tués par les forces de sécurité, parmi lesquels 49 femmes et 68 enfants, d’après un rapport d'experts mandatés par le Conseil des droits de l'Homme de l'ONU publié en mars, qui détaille de graves violations des droits humains, dont des cas de torture, des viols et d’autres formes de violence sexuelle, constituant "des crimes contre l'humanité".
Avec AFP