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Royaume-Uni : Zia Yusuf, la caution musulmane de Nigel Farage et son parti Reform UK
Zia Yusuf, entrepreneur britannique de confession musulmane, a fait une importante donation au parti de droite radicale Reform UK pour la campagne des législatives britanniques du 4 juillet. Un soutien de poids pour l’effort de normalisation de cette formation accusée d’islamophobie.

Le parti de droite radicale britannique Reform UK vient de toucher un double jackpot, à la fois financier et médiatique. Le mouvement dirigé par le populiste Nigel Farage a affirmé, mercredi 19 juin, avoir reçu sa "plus importante donation de cette campagne" en vue des élections générales du 4 juillet.

Et cet argent ne provient pas de n’importe qui, puisqu’il a été versé par Zia Yusuf, un entrepreneur musulman, a rapporté le quotidien conservateur The Telegraph. Une aubaine pour Reform UK, régulièrement accusé d’être anti-immigration et de nourrir le sentiment islamophobe au Royaume-Uni. Un renfort qui intervient alors que le parti de Nigel Farage semble avoir le vent en poupe : il devance même le parti conservateur dans un sondage réalisé par l’institut YouGov et publié le 13 juin.

"Patriote musulman"

"J’aime le Royaume-Uni et je suis un patriote. Un patriote musulman britannique qui pense que la majorité des musulmans dans ce pays le sont aussi", a affirmé Zia Yusuf au Telegraph pour justifier sa décision de soutenir Reform UK.

Cet entrepreneur de 37 ans s’est montré moins prolixe sur le montant exact de sa donation, mais la BBC affirme qu’il s’agit de plusieurs centaines de milliers de livres sterling.

Un soutien financier que Zia Yusuf peut se permettre : il est devenu multimillionnaire en vendant en 2023 pour 31 millions de livres sterling (36,7 millions d’euros) son application de conciergerie virtuelle de luxe, baptisée Velocity Black.

Ce fils d’immigrés sri-lankais arrivés au Royaume-Uni dans les années 1980 ne va pas seulement donner de l’argent à Reform UK. Zia Yusuf compte jouer un rôle actif au sein de l’équipe de campagne du parti, affirme la BBC.

We are delighted to have the support of Mr Yusuf who has made a huge donation to our election campaign.

🇬🇧 He believes Reform is the only Party that has the policies to heal broken Britain. #BritainNeedsReformhttps://t.co/grt4NOHcfo pic.twitter.com/4m2CKPTrGV

— Reform UK (@reformparty_uk) June 19, 2024

Un engagement qui dépasse le simple soutien financier confirmé par Nigel Farage. "J’ai rencontré Zia Yusuf il y a des années, et je sais à quel point il est dévoué à notre pays. Il est non seulement très généreux, mais sera aussi un atout considérable pour notre campagne", s’est-il réjoui sur Facebook.

Interrogé par la BBC sur l’aspect incongru de voir un musulman comme compagnon de route d’un parti soupçonné de penchants racistes, Zia Yusuf répond qu’il "partage le sentiment [de Reform UK, NDLR] qu’il faut protéger les valeurs nationales et favoriser les britanniques, quelle que soit leur religion."

Zia Yusuf n’est pas venu toquer à la porte de Reform UK sur un coup de tête. Tout en menant sa carrière - d’abord comme banquier pour Goldman Sachs puis comme fondateur de la start-up Velocity Black -, il s’est engagé politiquement aux côtés du parti conservateur dans les années 2000. Il a ensuite basculé encore plus à droite après avoir été déçu par l’actuel Premier ministre Rishi Sunak, qui "n’a pas su prendre les décisions difficiles".

Débat sémantique au sujet de Reform UK

Pour Nigel Farage, l’irruption médiatique de ce musulman qui reprend les arguments de Reform UK sans complexe - et avec une parfaite maîtrise de l’accent "posh" des élites anglo-saxonnes - est une aubaine. Le leader du mouvement populiste a entamé une grande œuvre de dédiabolisation.

Le parti a ainsi obtenu des "excuses de la BBC pour l’avoir qualifié de mouvement d’extrême droite", souligne Aurélien Mondon, politologue à l’université de Bath. C’était en mars dernier après une polémique concernant un nouveau membre de Reform UK qui venait d’être exclu du parti conservateur pour avoir fait des commentaires qualifiés d’islamophobes à l’égard du maire de Londres Sadiq Khan.

Le débat sémantique autour de la qualification de Reform UK fait d’ailleurs rage au Royaume-Uni. Certains, comme Aurélien Mondon, n’hésitent pas à le ranger à l’extrême droite car son discours est basé "sur un nationalisme extrême".

Deux autres politologues interrogés par France 24 sont plus réticents à lui accoler cette étiquette. "C’est un mouvement populiste qui cherche à fédérer tous les mécontents, y compris les racistes et islamophobes", estime Mark Garnett, spécialiste des partis politiques britanniques à l’université de Lancaster. "Ce sont des populistes de droite radicale, mais ils n’ont pas ces racines violentes toujours présentes pour les partis d’extrême droite", estime Tim Bale, politologue à l’université Queen’s Mary de Londres.

Des points de détails ? Ces débats reflètent le chemin parcouru par Nigel Farage et son parti pour "se légitimer", note Aurélien Mondon. Reform UK est l’héritier du Brexit Party qui, lui-même, est une émanation en 2019 du mouvement eurosceptique Ukip (Parti pour l’indépendance du Royaume-Uni).

"Au fil du temps, les responsables de ce mouvement ont fait de plus en plus attention avec les déclarations qui pourraient être qualifiées de racistes ou islamophobes", assure Mark Garnett.

En 2024, Nigel Farage n’oserait probablement plus utiliser les mêmes affiches de campagne que celles qui avaient servi pour le référendum sur le Brexit en 2016. Qualifiée à l’époque de "répugnante", l’affiche mettait en scène une "colonne" de réfugiés qui s’apprêterait à inonder le Royaume-Uni. "C’était une iconographie assez typique de l’extrême droite qui rappelait les théories du grand remplacement", précise Aurélien Mondon.

Droitisation du parti conservateur

Dorénavant, le discours de Reform UK se veut plus subtil. "Nigel Farage fait beaucoup plus attention en évoquant davantage l’impact ‘culturel’ de l’immigration, en expliquant que les nouveaux arrivants échouent à s’intégrer", explique Tim Bale.

Nigel Farage bénéficie aussi d’une droitisation du parti conservateur. Ainsi, la loi controversée adoptée fin avril par le gouvernement britannique permettant d’expulser vers le Rwanda des migrants arrivés illégalement au Royaume-Uni "aurait valu à Reform UK d’être traité de raciste et d’islamophobe si c’était Nigel Farage qui l’avait proposé", soutient Mark Barnett. Pour ce spécialiste, plus le parti conservateur vire à droite, plus Reform UK peut sembler centriste. D’autant plus que sur les questions de pouvoir d’achat, par exemple, Reform UK flirte "avec des propositions dignes de partis de gauche", estime Mark Barnett.

Cet effort de "normalisation" du discours semble porter ses fruits électoraux. D’un côté, "à défaut de pouvoir être qualifié d’extrême droite, le parti peut néanmoins compter sur les votes des électeurs d’extrême droite", estime Mark Barnett. De l’autre, "une partie des électeurs du parti conservateur estiment que la promesse faite par les conservateurs pro-Brexit de ‘reprendre le contrôle de nos frontières’ a été trahie. Ils vont être tentés de voter Reform UK", résume Tim Bale.

C’est ce que semble indiquer le sondage de YouGov qui, le 13 juin, plaçait Reform UK en deuxième position avec 19 % d’intentions de vote derrière le parti travailliste (37 %). Mais "il faut prendre ce genre de sondage avec des pincettes, car cela est susceptible de créer un véritable phénomène de mode autour d’un parti", prévient Aurélien Mondon. C’est un peu le principe de la prophétie auto-réalisatrice appliqué aux sondages : le parti ainsi mis en avant se retrouve sous le feu des projecteurs médiatiques, ce qui peut lui apporter de nouveaux électeurs.

Pas à l’abri d’un dérapage

Tous les experts interrogés par France 24 mettent en garde contre l’importance du sondage YouGov. "Il n’y en a pas d’autres qui suggèrent que Reform UK passerait devant les conservateurs", souligne Tim Bale.

Reform UK n’est, en outre, jamais à l’abri d’un dérapage. Un candidat du parti avait ainsi suggéré, début juin, que le Royaume-Uni aurait mieux fait "de rester neutre durant la Seconde Guerre mondiale" face à l’Allemagne nazie. Le parti n’avait ensuite pas condamné fermement ces propos.

Dans ce contexte, les déclarations de Zia Yusuf apportent une pierre bienvenue à l’édifice de respectabilité que Reform UK veut se construire. D’autant plus que le but de Nigel Farage est clair, d’après les experts interrogés : "Il veut tuer le parti conservateur et prendre sa place", juge Mark Barnett. Tim Bale imagine, quant à lui, une issue semblable : "Le scénario serait le suivant : Nigel Farage est élu et lorsque les conservateurs votent pour remplacer Rishi Sunak, le leader de Reform UK rejoint le parti et se fait élire, puis transforme le parti conservateur en Reform UK". Il aurait alors réussi à grand-remplacer le parti conservateur.