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Plus d'un millier de morts lors du pèlerinage de la Mecque : comment expliquer un tel bilan ?
Malgré les efforts déployés par les autorités saoudiennes pour assurer le bon déroulement du hajj, au moins un millier de personnes ont perdu la vie lors du pèlerinage à cause de la chaleur. Un bilan qui pose une nouvelle fois la question de la sécurisation de cet événement hors normes qui a rassemblé cette année 1,8 million de personnes venues du monde entier.

Le bilan est déjà colossal mais il pourrait encore grimper. En plein pèlerinage de La Mecque en Arabie saoudite, qui s'est déroulé du 14 au 19 juin, plus d'un millier de pèlerins sont décédés, en majorité des Égyptiens, à cause de la canicule, selon un décompte effectué jeudi 20 juin par l'AFP. Une nouvelle tragédie pour le hajj qui interroge sur l'organisation de l'un des plus grands événements religieux au monde.

  • Un défi physique pour les croyants

Ce pèlerinage annuel, l'un des cinq piliers de l'islam, s'est déroulé cette année encore en plein été, dans l'une des régions les plus chaudes au monde, avec des températures frôlant les 52°C. Le réchauffement climatique n'arrange rien. Selon des chercheurs saoudiens, les températures à La Mecque ont augmenté de 0,4°C à chaque décennie.

"Ces événements nous montrent à quel point l'Arabie saoudite est vulnérable au réchauffement climatique. Autant de morts à cause de la chaleur, c'est inédit. Il faut, toutefois, rappeler que les dates du hajj dépendent du calendrier lunaire et ne se déroule pas toujours en été", explique Clarence Rodriguez, ex-correspondante dans le royaume qui a couvert plusieurs pèlerinages pour des grands médias français.

Or, le hajj nécessite énormément de marche et d’effort physique. De nombreux rituels se font dehors sous un soleil de plomb, comme la journée de prières sur le Mont Arafat, où le prophète Mahomet aurait prononcé son dernier sermon et qui constitue le point culminant du pèlerinage.

Plus d'un millier de morts lors du pèlerinage de la Mecque : comment expliquer un tel bilan ?

Le défi physique est particulièrement rude pour les personnes âgées. Pendant la pandémie de Covid-19, le gouvernement saoudien avait imposé une limite d'âge de 65 ans révolus aux pèlerins mais cette restriction a été levée en 2023. Désormais, n'importe quel croyant âgé d'au moins 12 ans peut accomplir le hajj. Cependant, les autorités saoudiennes recommandent de consulter son médecin avant d'entreprendre le voyage.

Le grand pèlerinage est un véritable "marathon" qui se déroule sur plusieurs jours, rappelait encore le porte-parole du ministère saoudien de la Santé, Mohammed al-Abdulali. Tout musulman croyant se doit de le réaliser au moins une fois dans sa vie, s'il a les capacités physiques et financières d'accomplir le voyage.

  • Les risques d'un pèlerinage clandestin

Chaque année, des centaines de milliers de pèlerins tentent d'accomplir le hajj par des voies irrégulières, car ils ne peuvent pas se permettre les permis officiels, souvent coûteux, auxquels il faut ajouter les frais de transports, le logement et la nourriture.

Pour se rendre en Arabie saoudite, ils optent pour un visa touristique mais sans accès aux tentes climatisées des campements officiels, ils se retrouvent donc particulièrement exposés aux coups de chaleur, certains d'entre eux dormant au bord de la route.

Les autorités saoudiennes ont introduit des permis pour limiter les risques de bousculade mortelle comme celle qui avait fait 2 300 morts en 2015. Outre l'expulsion, les pèlerins contrevenants et ceux qui les transportent encourent une forte amende. 

Une semaine avant le début du pèlerinage, 300 000 pèlerins clandestins ont été expulsés du pays mais il semble qu'un grand nombre de pèlerins clandestins aient participé aux rituels à partir de vendredi, dans des conditions particulièrement éprouvantes.

"Des gens étaient fatigués d'avoir été poursuivis par les forces de sécurité avant le jour du (rituel au mont) Arafat (samedi). Ils étaient épuisés", a déclaré jeudi à l'AFP un diplomate arabe ayant requis l'anonymat.

L'année dernière, la ville sainte a accueilli plus d'1,8 million de fidèles provenant de plus de 150 pays pour le pèlerinage, selon les autorités. À ce nombre s'ajoutaient "environ 100 000 pèlerins en situation irrégulière", indique à l'AFP un responsable de la sécurité sous couvert d'anonymat.

  • Des tarifs de plus en plus inabordables

Pour de nombreux pèlerins, la tentation est grande de se rendre à La Mecque par des voies détournées. Ces dernières années, les prix du hajj ont connu une forte augmentation en lien avec la flambée des coûts du transport aérien et des frais imposés par les autorités saoudiennes pour améliorer et sécuriser l'accueil des fidèles. 

Ainsi, en Égypte, le pèlerinage le moins cher parrainé par le gouvernement coûtait cette année environ 6 000 dollars, soit deux fois plus qu'en 2023. Associé à la forte dévaluation de la livre égyptienne et à une inflation galopante, ces tarifs deviennent totalement prohibitifs.

C’est d'ailleurs au sein du contingent égyptien que le bilan de la canicule est le plus lourd, avec 658 personnes décédées. "Les pèlerins clandestins ont provoqué un grand chaos dans les camps de pèlerins égyptiens, provoquant l'effondrement des services", a affirmé un responsable égyptien supervisant la mission du hajj du pays.

Quelque "630 d'entre eux étaient dépourvus d'autorisation officielle pour le pèlerinage", a confirmé jeudi un diplomate arabe sous couvert d'anonymat.

"Ces pèlerins ne bénéficient pas de toutes les infrastructures mises en place par les autorités et ils n'arrivent pas forcément en bonne santé", ajoute Clarence Rodriguez. "Mais il faut comprendre que pour certains musulmans, le hajj est le but d'une vie et ils sont prêts coûte que coûte à se rendre en Arabie Saoudite."

  • Quelles mesures pour protéger les fidèles ?

Le changement climatique est de longue date identifié comme un défi par les autorités saoudiennes qui ont multiplié ces dernières années les aménagements destinés à rafraîchir les pèlerins : climatisation, revêtement des sols, opérations de sensibilisation...  

Autour de la Kaaba, structure cubique noire vers laquelle les musulmans se tournent pour prier, des espaces climatisés permettent désormais aux pèlerins de se rafraichir, tandis que le chemin entre Safa et Marwa, l'un des rituels du hajj, s'effectue désormais en intérieur.

Plus d'un millier de morts lors du pèlerinage de la Mecque : comment expliquer un tel bilan ?

Depuis l'année dernière, des routes empruntées par les fidèles ont également été recouvertes d'une matière blanche, qui permet de réduire la température de l'asphalte de 20 %, selon les autorités. Sans oublier les brumisateurs, la distribution d'eau et d'ombrelles, les conseils prodigués par des bénévoles et les galeries marchandes qui permettent aux fidèles de se mettre au frais entre deux prières.

Mais ces mesures pourraient s'avérer insuffisantes face à la hausse du thermomètre. Selon une étude de chercheurs internationaux publiée en 2022, l'Arabie saoudite pourrait devenir inhabitable d'ici 2100.

"Les autorités saoudiennes doivent tenir compte du changement climatique qui semble aller à l'encontre des ambitions pharaoniques du prince héritier, Mohammed ben Salmane. Ces décès durant le hajj posent aussi question alors que le royaume doit accueillir les Jeux asiatiques en 2029", estime Clarence Rodriguez.  

  • Quelle réaction des autorités saoudiennes ?

Les autorités saoudiennes ne communiquent pas directement sur le nombre de morts lors du pèlerinage; laissant le soin à chaque pays d'identifier ses ressortissants décédés. Une question d'image pour la monarchie, soucieuse de sa stature de centre névralgique de l'islam.

"La presse saoudienne n'annonce pas de morts. Ils parlent de personnes 'incommodées'. Le grand pèlerinage est une grande fierté nationale en Arabie saoudite, dont le roi est le gardien des lieux saints de l'islam", analyse Clarence Rodriguez.

Instrument de puissance religieuse et diplomatique, le pèlerinage revêt également un intérêt économique pour l'Arabie saoudite. Chaque année, le grand pèlerinage rapporte entre 10 à 15 milliards de dollars aux caisses de l'État. En y ajoutant les revenus générés par l'autre pèlerinage, la oumra, pouvant s'effectuer tout au long de l'année, la somme dépasse les 20 milliards, soit la deuxième source de recettes du royaume.

Un tourisme religieux très lucratif au cœur du plan Vision 2030 censé amorcer la sortie de la dépendance saoudienne aux hydrocarbures. Objectif : faire venir chaque année plus de cinq millions de pèlerins pour le hajj.

Avec AFP