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Législatives 2024 : en Nouvelle-Calédonie, une élection imprévisible dans un archipel en crise
Alors que les braises des violences qui ont enflammé la Nouvelle-Calédonie ne sont toujours pas éteintes, le territoire français du Pacifique-Sud s'est lancé lundi dans la campagne des législatives anticipées. Dans un contexte de crise sécuritaire ayant rebattu les cartes du paysage politique local, l'issue du scrutin s'annonce plus que jamais incertaine.

Déjà complexes à organiser en métropole en trois semaines, les législatives anticipées constituent encore un autre casse-tête en Nouvelle-Calédonie pour les autorités et les 18 candidats en lice. Cinq semaines après le début des émeutes et de la crise sécuritaire qui a fait neuf morts, l'archipel s'est lancé, lundi 17 juin, dans une campagne électorale tendue et imprévisible.

"Sur les 577 circonscriptions, on savait que ce serait un enfer pour les deux circonscriptions que comptent la Nouvelle-Calédonie. Au milieu du chaos que l'on vit depuis cinq semaines, c'est vraiment le pire moment pour une campagne électorale", résume le député sortant Philippe Dunoyer (Calédonie ensemble).

Signe d'une situation toujours inflammable sur place, huit personnes ont été arrêtées mercredi, dont Christian Tein, leader de la Cellule de coordination des actions de terrain (CCAT), mouvement à l'origine du soulèvement contre la réforme du corps électoral en Nouvelle-Calédonie.

L'Union calédonienne a dénoncé des "arrestations abusives alors que des responsables locaux anti-indépendantistes et des miliciens criminels se pavanent en toute liberté", tout en appelant ses partisans au calme.

Le camp indépendantiste reste mobilisé malgré la suspension par Emmanuel Macron de la réforme décriée. Celle-ci prévoyait de modifier les critères électoraux pour les élections provinciales calédoniennes, ce qui aurait eu pour conséquences, selon ses opposants, de marginaliser le poids du peuple autochtone kanak.

Cette suspension a été décidée après la crise politique née de la dissolution surprise de l'Assemblée nationale, qui empêchait de facto le président de convoquer un Congrès pour entériner la réforme. De leur côté, une partie des indépendantistes réclament son abandon pur et simple.

Le couvre-feu perdure, les barrages aussi

Après un scrutin européen marqué par une abstention record à 86,87 % (contre 80,8 % en 2019), mobiliser l'électorat de l'archipel prend des allures de mission impossible. Malgré les 3 500 effectifs de forces de l'ordre déployés en renfort, les barrages montés depuis plus d'un mois par les indépendantistes demeurent en place, tout comme les barricades des miliciens adverses.

Si les écoles et l'aéroport international ont rouvert lundi, offrant un retour à un semblant de normalité, un couvre-feu nocturne reste en vigueur à partir de 20 h. Dans ce contexte sécuritaire fragile, aucun candidat n'a annoncé, à ce jour, la tenue d'une réunion publique.

"On a de telles difficultés que le Haut-commissariat de la République en Nouvelle-Calédonie, l'équivalent de la préfecture, nous dit qu'il ne prendra pas en charge la distribution des professions de foi ou l'édition des affiches. Il n'y aura pas forcément non plus de panneaux publicitaires car la commune de Nouméa a peur que les panneaux se retrouvent dans la rue pour faire des barrages", déplore Philippe Dunoyer.

Alors que la sécurité n'est pas rétablie sur l'ensemble du territoire, "les gens ont beaucoup d'autres choses en tête que de se rendre aux urnes", estime le député sortant de la première circonscription.

Sur l'île, le tissu économique est en lambeaux : un salarié sur quatre est en perte d’emploi. Les usines de nickel tournent au ralenti et "900 entreprises et petits commerces" sont sinistrés depuis le début des émeutes, indique le président du comité des sociétés d’assurances auprès de Nouvelle-Calédonie la 1ère.

Selon les estimations de la chambre de commerce et d'industrie, les dégâts causés par les émeutes du mois de mai pourraient s'élever à plus d'un milliard d'euros. Si des mesures de soutien à l'économie ont été présentées la semaine dernière par le gouvernement local et l'État, elles sont jugées insuffisantes par la fédération des industries de l'archipel qui demande la mise sous tutelle du territoire.

Renaissance aux abonnés absents

À l'image de la recomposition accélérée à l'œuvre en métropole depuis la dissolution de l'Assemblée nationale, le paysage politique calédonien connaît ses propres soubresauts.

Lors des législatives de 2022, l'ensemble de la droite avait conclu un accord pour présenter des candidats communs sous la bannière du parti présidentiel. Cette fois, il n'y aura aucun candidat étiqueté Renaissance. Abîmée par des semaines de crise, l'image d'Emmanuel Macron semble indésirable cette année sur les affiches de campagne.

Les loyalistes n'ont d'ailleurs pas caché leur agacement en découvrant la lettre aux Calédoniens rendue publique mardi par l'Élysée et appelant à la levée des barrages et au rétablissement du dialogue. "Nous aurions préféré le rétablissement de l'ordre à un courrier bien naïf", ont fustigé ces non-indépendantistes, pourtant proches de la majorité présidentielle.

Ainsi, Nicolas Metzdorf, élu sortant de la deuxième circonscription sous les couleurs de Renaissance, se présente sans étiquette à ces élections. Ce dernier explique à l'AFP ne pas avoir "sollicité" d'étiquette pour "ne pas se laisser enfermer dans un jeu politique autre que calédonien, seule la Nouvelle-Calédonie compte".

Le candidat loyaliste ne rejouera toutefois pas sa couronne dans sa circonscription d'origine mais dans la première, celle de Philippe Dunoyer, soutenu par Horizons, le parti d'Édouard Philippe, dont l'implication dans le dossier calédonien, du temps où il était Premier ministre, est appréciée localement.

Un candidat pour le Rassemblement national

Philippe Dunoyer y voit une manœuvre politicienne de la part de son ancien allié. "La deuxième circonscription est beaucoup plus indépendantiste que la première. Or, Nicolas Metzdorf tient un discours plus radical ces derniers temps à l'égard des indépendantistes. On récolte toujours ce que l'on a semé. Dans le contexte actuel, il s'est dit qu'il valait mieux venir dans la première [circonscription]."

La première circonscription regroupe la capitale Nouméa, l'île des Pins et les îles Loyauté, tandis que la deuxième, beaucoup plus vaste géographiquement, couvre toute la Grande Terre.

Sollicité par France 24, Nicolas Metzdorf n'était pas joignable dans l'immédiat.

Côté indépendantistes, la crise politique que traverse le Front de libération kanak socialiste (FLNKS), concurrencé sur sa gauche par la Cellule de coordination des actions de terrain (CCAT), à l'origine de la mobilisation contre la réforme du corps électoral, a empêché la tenue, samedi dernier, du congrès du FLNKS et la désignation d'éventuels candidats.

Dimanche, Omayra Naisseline, dans la première circonscription, et Emmanuel Tjibaou, dans la deuxième, membres de l'Union calédonienne, principale composante du FLNKS, ont déposé leurs candidatures. La première avait défrayé la chronique en avril après un déplacement en Azerbaïdjan destiné à renforcer les liens avec le régime autoritaire de Bakou, accusé par la France d'opérations de déstabilisation. 

Le Rassemblement national présente lui un candidat, Simon Loueckhote, 67 ans. Signataire de l'accord de Nouméa et sénateur pendant près de 19 ans, cette figure politique de la droite calédonienne s'était rangée en 2022 derrière le parti Reconquête!, dirigé par le polémiste Éric Zemmour.

Aux élections européennes, le RN s'est hissé en deuxième position avec 21,7 % des voix, derrière la liste Renaissance de Valérie Hayer (28,64 %) qui est parvenue à limiter la casse. Qu'en sera-t-il lors de ces législatives sans campagne sur un archipel en crise ?

"Je ne suis ni exagérément confiant, ni déraisonnablement inquiet", avance prudemment Philippe Dunoyer, qui en 2022 avait été élu au second tour avec plus de 66 % des voix. "Il faut que la majorité silencieuse se déplace et crie dans l'isoloir son rejet de la radicalité."

Législatives 2024 : en Nouvelle-Calédonie, une élection imprévisible dans un archipel en crise

Avec AFP