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Des passagers d’un bus tués par balles en Haïti : "Ils rentraient chez eux après avoir travaillé ou étudié"
Un bus qui transportait des passagers a été criblé de balles à Port-au-Prince, la capitale haïtienne, le 7 mai. Au moins quatre d’entre eux ont été tués, et d’autres ont été blessés. L’identité des tireurs reste floue, bien que plusieurs éléments laissent à penser que les tirs venaient d’un blindé de la police. Cet événement vient rappeler le niveau d’insécurité à Port-au-Prince, où le simple fait de se déplacer implique parfois de risquer sa vie.

Plusieurs vidéos du bus attaqué à Port-au-Prince, le 7 mai, ont été diffusées sur les réseaux sociaux. En raison de leur caractère choquant, notre rédaction a décidé de ne diffuser que des captures d’écran montrant l’intérieur du bus : on y voit quatre personnes qui semblent avoir été tuées et plusieurs autres blessées, dont une femme dont la jambe gauche a été déchiquetée. Du sang est visible sur les sièges, au sol et au plafond du bus. 

"Les victimes sont des civils inoffensifs"

Petrus Lerice est porte-parole de l’Association des propriétaires et chauffeurs d’Haïti (APCH). Il explique que le bus, parti du centre de Port-au-Prince, se dirigeait vers Carrefour, une commune située dans le sud-ouest de la capitale, lorsqu’il a été attaqué près du stade Silvio Cator. Selon lui, le bus est allé après l’attaque jusqu’au commissariat de police OMEGA, à Carrefour. 

Il y a eu au moins quatre morts – trois hommes dont un étudiant, une dame – et des personnes gravement blessées. On m’a dit que l’une d’entre elles a succombé à ses blessures, mais je n’ai pas pu le vérifier. Des blessés ont aussi été récupérés par leurs parents, d’autres ont été emmenés dans des hôpitaux… Le bilan des victimes reste donc incertain. Ces gens ont été atteints par des balles de gros calibre, alors qu’ils étaient des civils inoffensifs, qui rentraient chez eux après avoir travaillé ou étudié.

Nous ne savons pas qui a tiré sur le bus. Les gangs accusent la police, et il y a aussi des messages qui circulent accusant les gangs. Je ne sais pas non plus pourquoi le bus a été ciblé. Une chose est sûre : un blindé de la police se trouvait sur les lieux de la fusillade, et aussi des membres de gangs. Par ailleurs, il n’y avait pas de tirs ou de détonations avant que le bus ne se fasse tirer dessus, donc il n’y avait pas d’affrontements entre la police et les gangs à ce moment-là.

Des passagers d’un bus tués par balles en Haïti : "Ils rentraient chez eux après avoir travaillé ou étudié"

Plusieurs éléments laissent penser que les tirs venaient du blindé de la police, même s’il est impossible de confirmer l’identité des personnes qui se trouvaient à l’intérieur. "Il n’y a pas toujours des policiers dans les blindés, puisque les gangs en ont déjà dérobés à la police", précise Petrus Lerice.

Dans l’une des vidéos diffusées sur les réseaux sociaux, tournée alors que le bus roule encore avec ses passagers blessés, celui qui filme assure ainsi qu’un "blindé a tiré sur [eux]". Il demande également au conducteur d’accélérer pour emmener les blessés à l’hôpital, et lui reproche d’être passé à un endroit dangereux : "Chauffeur ! Ne voyez-vous pas que les autres transporteurs évitent cette route ? Les passagers vous avaient dit de ne pas l’emprunter !"

Dans une autre vidéo, où l’on ne voit plus que les cadavres à l’intérieur du bus, désormais à l’arrêt, la personne qui filme indique qu’un "bus jaune s’est arrêté à Fontamara avec quatre morts", avant de préciser : "S'il faut croire le chauffeur, c'est un blindé qui a ouvert le feu sur le bus [...]. Vous vivez dans un pays où vous êtes mal vus tant par les bandits que par la police."

"Selon le chauffeur, des hommes armés lui ont demandé de verser de l’argent pour qu’il puisse repartir"

Contacté par notre rédaction, Widmy (pseudonyme), un habitant de Port-au-Prince dont nous avons décidé de conserver l’anonymat pour des raisons de sécurité, livre une version similaire, après s’être rendu au commissariat de police OMEGA : 

J’ai parlé au chauffeur du bus là-bas. Il était sous le choc, mais il m’a raconté que le bus était stationné à côté du stade, en train de prendre des passagers, lorsque quatre hommes armés lui ont demandé de verser de l’argent pour qu’il puisse repartir, faute de quoi le bus serait brûlé. Toujours selon lui, un mini-char blindé de la police aurait vu les hommes armés et aurait alors ouvert le feu. Les hommes armés, abrités à côté du bus, auraient riposté. Apparemment, deux passants et un bandit ont aussi été tués.

Selon lui, les péages routiers instaurés par les gangs sont de plus en plus nombreux, notamment sur la route nationale dans le sud-ouest de Port-au-Prince. Les gangs réclament de l’argent, notamment aux chauffeurs de bus, pour les laisser passer. S’y opposer peut s’avérer dangereux. Dans cette zone, "il y a environ 11 postes de péage, dont cinq à Mariani", indique cet habitant. D’après lui, les gangs voulaient mettre en place un nouveau péage à l’endroit où le bus a été attaqué. De son côté, Petrus Lerice confirme la multiplication de ces péages, ainsi que l’augmentation du montant réclamé aux chauffeurs de bus : "Avant, ils exigeaient 1500 gourdes [10 euros] au niveau d’un péage routier à Martissant, vers Fontamara. Et depuis un an, ils réclament 4000 gourdes [27 euros]."

La police nationale haïtienne n’a pas publié de communiqué au sujet de l’attaque du 7 mai. Notre rédaction l’a contactée, sans obtenir de réponse. De même, l’agence haïtienne AlterPresse a indiqué ne pas avoir reçu de réponse du porte-parole de la police.

Une “source policière” contactée par le média haïtien Juno7 s’est néanmoins exprimée. Elle a indiqué que le bus n’avait pas été ciblé en tant que tel, mais que ses passagers avaient été des victimes collatérales de tirs entre des policiers, à l’intérieur du blindé, et des individus armés, entrés dans le bus. Selon cette source, le bus aurait été "saisi par des individus lourdement armés qui échangeaient des tirs avec des agents de la police", "afin de l’utiliser comme couverture jusqu’à leur base".

Un autobus assurant le transport Port-au-Prince/Carrefour a été attaqué par des bandits armés, bilan : 4 morts et plusieurs blessés, selon le président de l'APCH, Mehu Changeux.#metronomehaiti pic.twitter.com/uQ4kX0VC5W

— Radio Télé Métronome (@Radio_Metronome) May 8, 2024

"Les membres des gangs arrêtent parfois les bus pour fouiller les passagers"

Cette attaque vient rappeler les dangers qui existent pour les Haïtiens souhaitant simplement se déplacer à Port-au-Prince et dans les communes environnantes, notamment en bus, comme l’explique Petrus Lerice : 

Des passagers sont régulièrement tués dans des bus, directement par des assassins, ou en raison des balles perdues. Quand ça arrive, il y a souvent la police et des bandes armées à proximité, donc on ne sait pas toujours d’où viennent les tirs. Cela dit, en théorie, quand il y a des affrontements entre la police et les gangs, les chauffeurs de bus s'arrêtent et attendent, avant de redémarrer.

Les membres des gangs sont toujours dans les rues, avec leurs armes… Ils arrêtent parfois les bus, pour fouiller les passagers et les marchandises, pour voir s’il y a des armes. Ils regardent aussi les conversations dans les téléphones : c’est comme ça qu’ils accusent parfois certaines personnes d’être des "informateurs", du "renseignement" ou de la "police", et ils peuvent les tuer pour cela. Il y a aussi des kidnappings sur les routes : ils sont devenus tellement monnaie courante qu’on n’en parle même plus.

Aux dangers liés aux gangs s’ajoutent ceux liés au mauvais état des routes et des bus, à l'origine nombreux accidents.