Un "acte criminel" perpétré par des "fanatiques féministes" pour certains, une action artistique pour d'autres : le tableau "L'Origine du monde" de Gustave Courbet (1866) a été tagué à la peinture rouge lundi 6 mai au Centre Pompidou-Metz (est). L'oeuvre, qui représente un sexe féminin, était "protégée par une vitre", a précisé le musée à l'Agence France-Presse (AFP).
Cette "action", organisée par l'artiste performeuse franco-luxembourgeoise Deborah de Robertis, était baptisée "On ne sépare pas la femme de l'artiste".
Deux femmes ont tagué "MeToo" sur "L'Origine du monde" ainsi que sur une oeuvre de Valie Export, a précisé Deborah de Robertis à l'AFP.
Au total, cinq oeuvres ont été taguées de la mention "MeToo", selon le Centre Pompidou-Metz, qui explique dans un communiqué que quelques personnes "ont fait diversion auprès du personnel de médiation et de sécurité, permettant aux autres membres du groupe" de taguer les oeuvres. "Toutes les oeuvres sont actuellement examinées", a précisé le musée lundi soir.
"Avec tout le respect que nous portons aux mouvements féministes, nous sommes choqués de voir vandaliser des oeuvres d'artistes, notamment d'artistes féministes, au coeur des combats de l'histoire de l'art", a déclaré Chiara Parisi, directrice du musée, citée dans le communiqué.
Dans une vidéo transmise à l'AFP par Deborah de Robertis, une femme tague le célèbre tableau de Courbet à la peinture rouge, une autre un tableau différent. Elles scandent ensuite "MeToo", les bombes de peinture à la main, avant de se faire entraîner vers la sortie par les agents de sécurité.
L'artiste a expliqué avoir souhaité "interpeller l'histoire de l'art" notamment en taguant MeToo sur ce célèbre tableau "car les femmes sont l'origine du monde".
Une enquête ouverte, plusieurs interpellations
Deux jeunes femmes, nées en 1986 et 1993 et sans antécédents judiciaires ont été placées en garde à vue en début d'après-midi, a indiqué à l'AFP le procureur de la République de Metz Yves Badorc.
L'enquête confiée au service interdépartemental de police judiciaire de Metz a été ouverte de deux chefs : "dégradation ou détérioration de biens culturels commis en réunion" et "vol d'un bien culturel en réunion", a précisé le magistrat.
Une troisième personne, qui n'a pas été interpellée, pourrait être en effet à l'origine du vol d'une oeuvre, selon Yves Badorc.
L'oeuvre volée, une broderie rouge sur tissu d'Annette Messager, est baptisée "Je pense donc je suce" (1991).
Sollicitée sur ce point par l'AFP, Deborah de Robertis a confirmé un "geste de réappropriation". Une "réappropriation" car l'oeuvre est issue de la collection personnelle d'un critique d'art, également l'un des commissaires de l'exposition "Lacan, quand l'art rencontre la psychanalyse", dans laquelle la broderie était exposée, a expliqué à l'AFP Deborah de Robertis.
"Je l'ai reconnue tout de suite, j'ai eu envie de vomir, car c'est celle qui est accrochée au-dessus de son lit conjugal. Je me suis souvenue des nombreuses fellations qu'il s'est permis de me demander comme si c'était son dû", alors que Deborah de Robertis n'était âgée que de 26 ans, relate-t-elle dans un communiqué.
L'artiste a brièvement publié sur X une vidéo dans laquelle on la voit arracher du cadre dans lequel il est exposé, le tissu de 39,5 par 31,5 cm et le mettre dans son sac noir, sous l'oeil d'un visiteur et d'un photographe. En fond sonore, des cris "MeToo" résonnent dans la galerie d'exposition.
Un acte pour réveiller "le monde très fermé de l'art contemporain"
Le maire LR (Les Républicains, droite) de Metz François Grosdidier s'est dit "indigné et choqué" par la tentative de dégradation du tableau de Courbet, évoquant un "acte criminel contre une oeuvre majeure de notre patrimoine".
Peint en 1866, "L'Origine du monde" est entré dans les collections du musée d'Orsay en 1995. L'oeuvre, mondialement connue, a changé plusieurs fois de mains et son dernier propriétaire privé a été le psychanalyste français Jacques Lacan.
Deborah de Robertis a expliqué avoir réalisé cette performance féministe car "le monde très fermé de l'art contemporain est resté jusqu'ici majoritairement silencieux". Elle a également dénoncé, dans une lettre ouverte, les comportements de six autres hommes du milieu, les qualifiant de "calculateurs", "prédateurs" ou "censeurs".
Une photo de Deborah de Robertis, baptisée "Miroir de l'Origine du monde" est par ailleurs exposée à proximité de "L'Origine du monde" pour l'exposition du Centre Pompidou-Metz dédiée au psychanalyste. On voit l'artiste poser, le sexe nu, sous l'oeuvre de Courbet, une performance réalisée le 29 mai 2014 au musée d'Orsay.
Condamnée à une amende pour s'être dénudée devant la grotte de Lourdes en 2018, elle a également été plusieurs fois relaxée après des actions similaires, notamment en 2017 pour avoir montré son sexe au musée du Louvre devant "La Joconde", à Paris.
Avec AFP