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Pourquoi la baisse de la pollution de l'air aggrave le réchauffement de la planète
Plusieurs études scientifiques ont récemment confirmé le rôle joué par la baisse de la pollution atmosphérique ces 30 dernières années dans le dérèglement climatique. Cependant, l'ampleur du phénomène divise encore la communauté scientifique.

Enfin une bonne nouvelle sur le front de l'environnement : l'air que nous respirons est de moins en moins pollué. Depuis une trentaine d'années, de nouvelles réglementations dans l'industrie et le secteur automobile ont conduit à une basse considérable des émissions polluantes nocives pour la santé humaine : dioxyde de soufre et d’azote, ozone, métaux lourds (notamment le plomb) ou encore particules en suspension. Mais – car il y a un "mais" – une partie de ces émissions ont un effet refroidissant sur notre planète. Le phénomène est connu depuis les années 1970 mais la communauté scientifique commence seulement à être en mesure de le quantifier précisément.

En s'appuyant sur des données satellite, des chercheurs norvégiens ont ainsi mesuré le déséquilibre radiatif de la Terre, c'est-à-dire la différence entre l'énergie reçue et celle émise par le système climatique terrestre. Publiée le 3 avril, l'étude conclut que la baisse de la pollution, et donc la diminution de ces émissions, a représenté 40 % de l’augmentation de l’énergie responsable du réchauffement climatique entre 2001 et 2019. 

"Depuis les années 1980, la qualité de l'air s'est améliorée en Amérique du Nord et en Europe mais cet effort a longtemps été compensé par une augmentation de la pollution en Asie. Or, depuis une dizaine d'années, la Chine a aussi commencé à nettoyer son atmosphère. On voit peut-être ici les premiers effets de ce réchauffement additionnel", affirme Olivier Boucher, climatologue à l'Institut Pierre-Simon Laplace.

Une piste chinoise confirmée par Cathy Clerbaux. Depuis plus 25 ans, cette chercheuse du CNRS étudie l'atmosphère terrestre à partir de données satellites. "Depuis deux ou trois ans, on voit que certains pays se réchauffent plus vite que d'autres et que la surface de la Terre se réchauffe plus vite quand on se rapproche des pôles. Mais si on prend l'Inde et la Chine, deux pays situés aux mêmes latitudes, on voit que les températures augmentent assez vite en Chine mais restent stationnaires en Inde. La seule explication rationnelle à mon sens est celle de la baisse de la pollution de l'air."

Une pollution qui réfléchit la lumière

En suspension dans l’air, les particules polluantes réfléchissent la lumière du soleil vers l’espace, ce qui tend à réduire le réchauffement climatique. Le dioxyde de soufre (SO2) est l'un des responsables de ces nombreuses particules en suspension rendant les températures mondiales plus fraîches.

"Le dioxyde de soufre est un gaz. En tant que tel, il ne fait rien. Mais il subit des transformations chimiques dans l'atmosphère et se transforme en sulfates que l'on retrouve sous forme de particules de quelques dixièmes de micromètre. Ce sont ces particules qui vont interagir avec le rayonnement solaire et le renvoyer dans toutes les directions, notamment vers l'espace", explique Olivier Boucher.

Si la combustion du charbon est la plus grande source synthétique de dioxyde de soufre, les volcans représentent son origine naturelle la plus commune. En 1991, le réveil du Pinatubo aux Philippines, considéré comme l'un des événements volcaniques les plus importants du XXe siècle, avait rejeté à lui seul 15 à 20 millions de tonnes de dioxyde de souffre. Une explosion d'aérosols qui, paradoxalement, a refroidi la planète d'environ 0,5 degré pendant un an. 

"Lors de cette éruption, ces particules ont été envoyées au-delà des 20 kilomètres d'altitude, dans la stratosphère, là où il n'y a pas de nuages ni de précipitations. Dans ce genre de cas, elles peuvent rester longtemps en suspension", indique Olivier Boucher.

En revanche, la durée de vie des particules polluantes liées aux activités humaines est très courte et "l'effet de la pollution atmosphérique sur la baisse des températures reste localisé, principalement au-dessus des grandes villes", précise Cathy Clerbaux.    

Pas de consensus sur l'ampleur du phénomène

Si la baisse de la pollution aggrave le réchauffement climatique, dans quelle proportion le fait-elle ? La réponse est loin de faire consensus. Gaz à effet de serre, phénomène El Nino, océans en surchauffe... de nombreux facteurs peuvent expliquer les anomalies du climat observées en 2023, année la plus chaude jamais enregistrée dans le monde selon les données du programme européen Copernicus.

Dans une étude publiée l'an dernier, le célèbre climatologue James Hansen estimait ainsi que la baisse de la pollution de l'air jouait un rôle déterminant dans l'emballement du thermomètre et prévoyait même une "accélération du changement climatique". 

En cause, selon lui, une nouvelle réglementation sur le transport maritime introduite en 2020 pour limiter les rejets du fameux dioxyde de soufre. Or, ces émissions peuvent contribuer à la formation de nuages marins qui renvoient le rayonnement solaire dans l'espace.

"Il est difficile de savoir à quel point cela peut jouer même si on sait que limiter les émissions de particules dans l'atmosphère va nécessairement entraîner moins de filtrage de la radiation solaire", explique Cathy Clerbaux.

"Cela paraît quand même peu crédible", assure de son côté Olivier Boucher. "Quelques études montrent un impact mesurable sur la taille des gouttelettes donc sur la réflectivité des nuages mais c'est relativement modeste. Par ailleurs, on ne peut pas parler d'accélération du réchauffement climatique. Il y a une variabilité d'une année sur l'autre, mais statistiquement il n'y pas d'accélération qui soit déjà observée".

"Pas de dilemme"

Quelques esprits retors pourraient toutefois s'imaginer que polluer la planète nous sauverait du réchauffement climatique et de ses conséquences désastreuses. Une bien mauvaise idée, car ces aérosols ont une fâcheuse tendance à se loger dans les poumons, provoquant des cancers et des problèmes cardiaques.

Selon l'Organisation mondiale de la santé, ces particules polluantes - qui proviennent en grande partie de la combustion des énergies fossiles, mais aussi des incendies de forêt – sont responsables de plus de 4 millions de décès prématurés par an.

"Il n'y a pas vraiment de dilemme ici car on sait qu'il faut réduire la pollution atmosphérique qui cause encore beaucoup trop de morts prématurées et de maladies respiratoires et cardiaques", rappelle Olivier Boucher.

Enfin, se battre contre la pollution atmosphérique, c'est aussi lutter contre les gaz à effet de serre comme le CO2 et le méthane qui, eux, sont responsables du réchauffement climatique.

"Si vous utilisez une voiture avec des combustibles fossiles, elle va émettre des polluants et des gaz à effet de serre. C'est la même source. Donc, à long terme, c'est le même problème", conclut Cathy Clerbaux, rappelant que l'accumulation des gaz à effet de serre est la vraie tendance de fond parmi tous les facteurs expliquant le dérèglement climatique.

Selon un rapport de l'ONU publié en amont de la COP28, les engagements des pays de la planète restent insuffisants en la matière. Ils mènent actuellement à une baisse de 2 % des émissions mondiales de CO2 en 2030 par rapport à 2019, bien loin de la baisse de 43 % préconisée par les scientifiques pour limiter le réchauffement à 1,5 °C. 

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