En France, des voix critiquent la mainmise américaine sur les opérations de secours. Malgré des couacs diplomatiques, Paris s'efforce de balayer toute rumeur de dissension entre les deux pays et Nicolas Sarkozy se dit satisfait de la coopération.
Plusieurs centaines d'hommes du corps expéditionnaire de la Marine américaine ont débarqué mardi au sud-ouest de Port-au-Prince, portant à 11 000 le nombre de militaires américains présents à Haïti. Leur mission : aider à acheminer et distribuer l'aide humanitaire internationale.
Engagés dans l'une des "plus grandes opérations de secours de leur histoire", les États-Unis ont clairement pris, dès les premiers jours, la tête de la mobilisation internationale pour venir en aide aux victimes du séisme. Reléguant les forces de l'ONU au second plan, Washington assure la gestion, cruciale, de l'aéroport de Port-au-Prince. Barack Obama a annoncé dès jeudi que les États-Unis débloquaient une aide initiale de 100 millions de dollars.
Mardi, devant des dizaines d'Haïtiens, des hélicoptères américains se sont posés sur la pelouse du palais présidentiel effondré, au cœur de Port-au-Prince. Alors que les autorités haïtiennes sont absentes, et malgré une histoire marquée par de nombreuses occupations étrangères, la population a largement salué l'arrivée de renforts américains. "Si les Américains veulent nous prendre en charge, ils sont les bienvenus, car nos dirigeants ne font rien pour nous", affirme un habitant.
En s'affichant samedi aux côtés de ses prédecesseurs Bill Clinton et George W. Bush, le président américain Barack Obama a fait de l'aide à Haïti une véritable cause nationale. Lundi, il a d'ailleurs proposé à son homologue brésilien, Luiz Inacio Lula da Silva, que leurs deux pays dirigent, avec le Canada, les efforts de coopération des donateurs à Haïti, selon une source du gouvernement brésilien citée par l'AFP. Le Brésil, les Etats-Unis et le Canada "devraient assumer le leadership de la coordination des donateurs, avec d'autres intéressés", a proposé Obama à Lula, dont le pays commande la Mission de stabilisation de l'ONU à Haïti.
"Petites querelles et grandes catastrophes"
En France, cette idée d'un trio Etats-Unis-Brésil-Canada fait grincer des dents, certains dans l'opinion dénonçant une mainmise de l'armée américaine sur l'organisation des secours et une opération de communication de l'administration Obama.
Un premier incident diplomatique est intervenu samedi, illustrant cette irritation : le secrétaire d'Etat français à la Coopération, Alain Joyandet, a protesté officiellement auprès des autorités américaines après qu'un avion français a été empêché d'atterrir à Port-au-Prince.
Alain Joyandet est revenu à la charge lundi, en estimant que l'ONU devait définir les rôles. "J'espère que les choses seront précisées quant au rôle des Etats-Unis. Il s'agit d'aider Haïti, il ne s'agit pas d'occuper Haïti", a-t-il déclaré.
Mardi, Paris s'est cependant efforcé de balayer toute rumeur de dissension entre les deux pays. "Les autorités françaises sont pleinement satisfaites de la coopération entre nos deux pays et au-delà, de la coordination permanente entre les centres de crise du ministère des Affaires étrangères et européennes et du département d'Etat américain", a indiqué l'Élysée dans un communiqué.
En déplacement à la Réunion, pour la présentation de ses vœux à l'Outre-mer, Nicolas Sarkozy a également salué la "mobilisation exceptionnelle" de l'administration américaine, tout en soulignant que la France, via la Guadeloupe et la Martinique, avait été l'un des premiers pays à intervenir après le séisme.
"Aujourd'hui, nous faisons face ensemble à l'urgence humanitaire. Demain, c'est ensemble que nous devrons mobiliser la communauté internationale pour répondre aux besoins immenses de la reconstruction de ce pays martyr", a-t-il déclaré le président français. "Il y a toujours des petites querelles au moment des grands catastrophes", a concédé de son côté le ministre français des Affaires étrangères, Bernard Kouchner, mardi lors de ses vœux à la presse.
Risque de flux migratoires
Une réunion d'experts est prévue le 25 mars à Montréal pour préparer une conférence internationale sur les efforts de reconstruction d'Haïti. "Personne n'écarte personne. L'Amérique a besoin de l'Europe et l'Europe des Etats-Unis", a affirmé le secrétaire d'Etat français au Affaires européennes, Pierre Lelouche, interrogé sur la chaîne Canal Plus mardi.
itConcernant la visibilité de l'Europe dans l'aide à Haïti, il a néanmoins reconnu un "déficit d'image" : "Je suis comme vous, un Européen frustré qui veut toujours que ça aille plus fort et plus vite" et "j'aimerais que cela soit plus visible et plus fort". La chef de la diplomatie européenne, Catherine Ashton, très critiquée pour ne pas s'être rendue en Haïti, est partie mercredi pour Washington et New York, où elle doit rencontrer la secrétaire d'Etat américaine Hillary Clinton et le secrétaire général de l'ONU, Ban Ki-moon.
La France, bien qu'ancienne puissance coloniale en Haïti jusqu'en 1804, "ne peut être à égalité avec les Etats-Unis", explique à l'AFP Philippe Moreau-Defarges, chercheur à l'Institut français des Relations internationales. Les Américains ont des intérêts "extrêmement importants" en Haïti, notamment "le risque de flux migratoires". "Ils ont raison d'y mettre le maximum de moyens car les conséquences pourraient être dramatiques. Il n'y pas de mainmise américaine sur Haïti."