Dans un couloir exigu de la Bourse du travail à Saint-Denis (93), une vingtaine de personnes, hommes, femmes, enfants, patientent, discutant par petits groupes. Derrière une porte grise, l’Association Solidarité Humaine en France, nouvellement créée, délivre des conseils et accompagne les personnes en situation irrégulière dans leurs démarches.
"Nous avons lancé ce projet le 30 décembre en plein débat sur la loi immigration", explique, entre deux rendez-vous, Bah Dabatako, l’un des trois fondateurs de l’association. "À l’époque, nous avions très peur de certaines mesures, sur les restrictions d’accès aux prestations sociales, la remise en cause du droit du sol ou bien du regroupement familial, qui heureusement ont été censurées”.
Depuis sa création, l’association organise deux permanences par semaine, les mercredis et samedis. La nouvelle s’est répandue sur les réseaux sociaux et les dossiers ne manquent pas. Dans la file d'attente, certains patientent depuis plus d'une heure.
"Je suis arrivé en France en 2018, je travaille dans le nettoyage”, explique d'une voix douce Diakaraio, originaire du Mali, silhouette longiligne emmitouflée dans sa doudoune. "Comme vous pouvez l'entendre je ne suis pas allé à l'école mais je suis ici et je travaille".
À sa gauche, Cisse Mahamadou, petit bouc et coupe afro contenue dans un bandeau à motifs, entretien lui aussi l'espoir d'obtenir sa régularisation.
"Mon employeur me soutient dans mes démarches, c'est lui qui m'a dit de demander conseil pour voir si avec la nouvelle loi, ma situation peut se stabiliser".
Lueur au bout du tunnel
Longtemps, Cisse Mahamadou a travaillé sous l’identité d’un autre. Une condition imposée par son patron qui ne voulait pas avoir de problèmes avec l’inspection du travail. "Moi je n’avais le droit à rien" déplore-t-il.
Cette situation a perduré jusqu’à la bonne rencontre : son nouvel employeur a fait la démarche pour lui obtenir, auprès de la préfecture, une autorisation de travail temporaire.
Avec huit fiches de paie à son actif et une promesse de CDI en vue, le jeune homme, qui travaille dans la restauration, remplira bientôt les critères fixés par l’article 27 de la nouvelle loi immigration sur les métiers en tension.
Celui-ci prévoit de faciliter l’octroi de titres de séjour aux personnes en situation irrégulière qui travaillent dans des secteurs où les employeurs peinent à recruter tels que la restauration, l’aide à la personne, l’entretien ou bien encore le BTP.
Ces salariés sont désormais tenus de justifier une présence de trois ans sur le territoire et de 12 fiches de paie, au lieu de 24, comme requis jusqu’ici par la “circulaire Valls” de 2012. Par ailleurs, ils peuvent désormais faire eux-mêmes la démarche auprès du préfet, sans solliciter leur employeur.
“Ce dernier aspect est très important car bien souvent les patrons sont réticents lorsqu’il s’agit des démarches liées aux papiers”, souligne Coulibaly Hamidou, membre de l’association. “Certains ne veulent juste pas s’impliquer, d’autres refusent de jouer le jeu car ils savent qu’en maintenant leurs salariés dans la précarité ils peuvent mieux les exploiter”.
Parcours du combattant
Le bénévole sait de quoi il parle. Régulièrement, les membres de l’Association contactent eux-mêmes les employeurs pour tenter de dénouer des situations tendues.
“Le nouvel article sur les métiers en tension apporte quelques progrès. Il suscite de grands espoirs ici parmi les gens que nous voyons”, poursuit Coulibaly Hamidou. “Mais au regard de la réalité du terrain, il reste très insuffisant, car dans ces métiers, la plupart des sans-papiers travaillent au noir ou sous une fausse identité et sont de fait exclus de cette procédure”.
Longtemps bloqué dans cette situation, Cisse Mahamadou sort de son rendez-vous avec le sourire, le sentiment d’entrevoir la fin d’un long tunnel. Pourtant, même pour lui, le chemin pourrait être encore long.
Alors que le texte initial prévoyait l’octroi automatique d’un titre de séjour, l’article final est bien plus restrictif. Le précieux sésame ouvrant les droits à la citoyenneté n’est délivré qu’au cas par cas par le préfet pour une durée d’un an. Il est renouvelable, à condition, bien sûr, de rester dans un métier en tension.