"On ne peut pas gagner sans aide", déplorait Volodymyr Zelensky mercredi 13 décembre, lors d'une visite en Norvège. Ce constat venait conclure une tournée internationale en demi-teinte pour le président ukrainien, qui espérait remobiliser ses soutiens occidentaux près de deux ans après le début de l'invasion russe. La veille, à Washington, il n'avait pas réussi à convaincre le Congrès de débloquer une nouvelle aide de 60 milliards de dollars à l'Ukraine, butant sur l'opposition d'une partie des républicains. "Il y a les mots et il y a les résultats concrets. Nous attendrons de meilleurs résultats", avait-il lancé.
Kiev a en effet vu ses promesses d'aide fondre pendant l'année 2023. Selon le Kiel Institute for the World Economy, qui recense les engagements pour l'Ukraine, le soutien des alliés a même "atteint son niveau le plus bas" depuis le début de la guerre, en février 2022. Entre les mois d'août et d'octobre, le montant des aides annoncées à ainsi diminué de 90 % par rapport à la même période en 2022.
Et si l'Ukraine a remporté une victoire à forte portée symbolique vendredi 15 décembre, lorsque l'Union européenne a annoncé ouvrir les discussions pour son adhésion au bloc, elle a aussi subi un nouveau revers. La Hongrie a en effet mis son veto à un accord sur un programme d'aide de 50 milliards d'euros à Kiev, privant le pays d'une nouvelle source de financements.
Pour Marie Dumoulin, directrice de programme au centre de réflexion du Conseil européen pour les relations internationales (ECFR), ces blocages sont cependant avant tout "politiques" et ne remettent pas en cause, fondamentalement, le soutien des États occidentaux.
France 24 : Les États-Unis puis l'Union européenne… Comment expliquer les difficultés de l'Ukraine à mobiliser de nouvelles aides ?
Marie Dumoulin : Aux États-Unis, il s'agit de questions de politique intérieure : le pays est en pré-campagne électorale [pour la présidentielle de 2024, NDLR] et les républicains s'opposent presque par principe à ce que propose l'administration Biden. À cela s'ajoute que certains anticipent une possible candidature de Donald Trump, dont on connaît la fixation très négative sur l'Ukraine, et ne veulent donc pas donner l'impression d'être des soutiens de Kiev. Les blocages relèvent donc, avant tout, de tactiques politiciennes. La position de l'administration Biden, elle, sur le fond, n'a pas changé : elle veut continuer à soutenir l'Ukraine.
Du côté européen, ce que nous avons vu lors du sommet à Bruxelles jeudi, ce sont 26 États membres très unis sur l'aide à l'Ukraine et un seul État qui bloque – la Hongrie. Et on a vu aussi que cet État s'oppose de façon variable : contrairement à ce que Viktor Orban avait annoncé, il n'a pas fait obstacle à la prise de décision sur l'ouverture du processus d'adhésion de l'Ukraine à l'UE. Il a bloqué uniquement sur l'aide financière. Je ne pense pas que ce soit une décision finale, plutôt une façon pour lui de faire pression.
Il faut noter par ailleurs que malgré des débats houleux sur les finances et le budget, il y a une chose sur laquelle les institutions européennes se sont mises d'accord : c'est sanctuariser ces 50 milliards d'euros d'aide à l'Ukraine. L'engagement en lui-même ou le montant de l'aide n'ont jamais été discutés. Il y a donc, selon moi, de bonnes chances que l'aide soit finalement votée ultérieurement, sous une forme ou sous une autre. Les blocages sont donc avant tout politiques mais les États restent, dans le fond, mobilisés.
Le conflit entre Israël et le Hamas n'a-t-il pas aussi un impact sur la façon dont les pays occidentaux envisagent leur aide à l'Ukraine ?
Depuis les attaques du 7 octobre, et le début de la guerre entre Israël et le Hamas, l'attention médiatique sur l'Ukraine diminue, même si elle perdure. Mais cela ne veut pas dire que les États occidentaux se désintéressent des Ukrainiens. La raison est simple : les implications de la guerre en Ukraine pour notre sécurité ne sont pas moins vitales et importantes que celles du conflit israélo-palestinien.
Plusieurs gouvernements européens ont ainsi voulu réaffirmer leur soutien à Kiev depuis le 7 octobre en annonçant de nouvelles mesures d’aide. C’est notamment le cas de la France, de l’Allemagne, mais aussi de la Suède ou du Danemark par exemple.
Quelle est la place aujourd'hui de l'Union européenne dans l'aide à Kiev ?
Au début de l'offensive russe, Washington fournissait une grande partie de l'aide militaire à l'Ukraine. Mais ces derniers mois, nous avons observé une montée en puissance de l'aide européenne, qui rattrape progressivement les États-Unis et qui les a même dépassés si l’on prend en compte l’assistance financière et humanitaire.
[Les données de l’Institut Kiel montrent que le nombre de donateurs se réduit et se concentre autour d’un noyau de pays : les États-Unis, l’Allemagne, les pays du nord et de l’est de l’Europe, qui promettent à la fois une aide financière élevée et de l’armement de pointe, dont des avions F-16 et des chars Leopard allemands. Les Américains sont de loin les premiers donateurs, avec plus de 75 milliards d’euros d’aide annoncés depuis février 2022 par la Maison Blanche, dont 46,3 milliards en aide militaire. Les pays de l’Union européenne ont annoncé à la fois des aides bilatérales (51,05 milliards d’euros) et des aides communes provenant des fonds de l’Union européenne (81,35 milliards d’euros), pour un total de 132,4 milliards d’euros, NDLR.]
La question qui se pose désormais est la capacité pour l'UE à maintenir ce soutien sur la durée, notamment en termes d'aide militaire. Pour cela, il faut qu'elle se mette en ordre de bataille pour augmenter sa capacité de production. Mais cela prend du temps.
Quelles sont les conséquences concrètes pour l'Ukraine d'être privée des enveloppes américaine et européenne ?
Il faut distinguer ce qui relève de l’assistance financière, destinée à aider l’État ukrainien à fonctionner malgré la guerre, de l’assistance militaire proprement dite. Les 50 milliards d'euros d’assistance européenne qui n'ont pas été débloqués mercredi relèvent de la première catégorie, mais l’Union européenne et ses États membres disposent d’autres instruments pour poursuivre leur assistance militaire.
D’autre part, il faut aussi mettre en perspective cette idée d'une baisse de l’aide des pays occidentaux. Il y a certes beaucoup moins de promesses d'aides de la part des États qu'au début du conflit – ce qui n’est pas une bonne nouvelle pour l’Ukraine – mais celles qui ont été promises précédemment, elles, continuent à être réalisées. La baisse des engagements ne signifie pas une interruption de l'aide. L’Ukraine continue donc à recevoir une assistance.
On a l’impression que la Russie et Vladimir Poutine profitent du débat autour de l’aide occidentale pour donner l’impression qu’elle peut gagner ?
Cela fait effectivement partie de la stratégie de Vladimir Poutine depuis qu'il a compris que le conflit allait s'enliser. Il mise sur le temps long et sur le fait que, dans son esprit, les Occidentaux vont se lasser et cesser de soutenir l'Ukraine. C'est son pari. Donc selon lui, ce qu'on voit ces dernières semaines, c'est effectivement le signe que les Occidentaux passent à autre chose, que l'aide à Kiev va se tarir et lui donner un avantage sur le terrain. Mais jusqu’à présent, il a eu tendance à clairement sous-estimer la détermination de l'Ukraine et de ses partenaires.