Le retour de Donald Tusk à la tête du gouvernement polonais, après des années d’un pouvoir populiste et eurosceptique, est une aubaine pour Bruxelles. Il augure une nouvelle ère d’échanges apaisés, même si la marge de manœuvre de Donald Tusk reste bridée.
La prise de poste de Donald Tusk, pro-européen convaincu, à la tête du gouvernement polonais, mercredi 13 décembre, a suscité l’enthousiasme de l’Union européenne, en froid avec la Pologne après huit années de pouvoir des nationalistes populistes dans ce pays.
La Coalition civique de Donald Tusk, alliée à deux autres formations politiques, avait remporté lors du scrutin du 15 octobre la majorité au Parlement face aux nationalistes de Droit et Justice (PiS). L'ancien Premier ministre et son gouvernement ont obtenu le soutien du Parlement mardi lors d'un vote de confiance, scellant leur arrivée au pouvoir.
Aussi, les félicitations des États membres de l'UE ont afflué après la prestation de serment, mercredi, du nouvel homme fort de Varsovie. La France a salué un partenaire avec qui elle souhaite "faire avancer l'Union européenne", selon un communiqué du ministère des Affaires étrangères.
Donald Tusk va "ramener la Pologne au cœur de l'UE", a déclaré pour sa part le chancelier allemand Olaf Scholz. "C'est précisément là qu'est sa place", a souligné le dirigeant allemand sur X, disant se réjouir "de faire avancer l'UE et les relations germano-polonaises côte à côte avec la Pologne".
Donald Tusk möchte Polen wieder zurück ins Herz der EU führen – genau dort gehört Polen hin. Ich freue mich, die EU und die deutsch-polnischen Beziehungen Seite an Seite mit Polen voranzubringen.
Herzlichen Glückwunsch zur Vereidigung als Ministerpräsident, lieber @donaldtusk!
Donald Tusk a été président du Conseil européen entre 2014 et 2019 et chef du plus grand parti européen, le Parti populaire européen (PPE), auquel il est toujours affilié. "C’est un homme du sérail", commente Olivier Costa, politologue et chercheur au CNRS et à Sciences Po Paris. "Un dialogue apaisé va pouvoir s’ouvrir avec Bruxelles", estime le chercheur.
Il est "une figure très appréciée à Bruxelles", ajoute Dorota Dakowska, professeure de science politique à Sciences Po Aix, spécialiste de l'Europe centrale et orientale. Politicien chevronné qui a déjà occupé le poste de Premier ministre de la Pologne entre 2007 et 2014, il s'est engagé à rétablir la position de la Pologne au sein de l'UE.
Rétablir les fonds européens au plus vite
Fidèle à sa parole, Donald Tusk a consacré dès mercredi soir son premier déplacement à l'étranger à Bruxelles, pour assister au sommet UE-Balkans. Un signal rassurant pour les Européens, habitués depuis l’arrivée au pouvoir du PiS à un bras de fer permanent avec leurs homologues polonais.
"Le Pis a été sur une ligne de plus en plus dure vis-à-vis de l’Union européenne. Ils en étaient arrivés – à la manière de Viktor Orban [le Premier ministre hongrois] – à critiquer systématiquement toutes les décisions prises et à dénoncer l’UE comme une entité bureaucratique et impérialiste empêchant les polonais de vivre comme ils le voulaient", rappelle Olivier Costa.
Avant même de retrouver ses fonctions de Premier ministre, Donald Tusk s’est rendu à Bruxelles plusieurs fois, notamment à l’occasion d’un sommet du PPE fin octobre, œuvrant dans les coulisses pour un prompt rétablissement des financements européens.
Une manne précieuse, à hauteur de 76,5 milliards d’euros de "fonds de cohésion" pour la période 2021-2027, destinés à élever le niveau de vie dans les régions les plus pauvres d’Europe. Or la Pologne en est privée depuis juin 2022 par la Commission européenne, qui a conditionné le versement de cette aide au respect de l’État de droit et à indépendance du système judiciaire, mis en péril par le PiS.
Le PiS, encore très puissant en Pologne
Donald Tusk compte s’attaquer au dossier et a d’ores-et-déjà annoncé des réformes visant à débloquer ces fonds, en appliquant les arrêts de la Cour de justice européenne, en adhérant au parquet européen et en séparant les portefeuilles de ministre de la Justice et de procureur général.
Mais le nouveau Premier ministre n’a pas les mains aussi libres qu’il le souhaiterait. "Ces changements dans le système juridique ne seront pas simples à mettre en œuvre, estime Dorota Dakowska, parce que l’ancien gouvernement a nommé des juges en violant les principes de l’État de droit. Ils sont là et ça va être difficile de les faire partir du jour au lendemain. Il va falloir revenir sur toutes ces choses qui ont été mises en place par le PiS, tout en respectant quand même la loi et les procédures."
Autre obstacle pour Donald Tusk, le PiS dispose toujours d'alliés à la présidence, à la banque centrale, au Tribunal constitutionnel, à la Cour suprême, ainsi que dans plusieurs institutions judiciaires et financières importantes de l'État polonais. Le nouveau gouvernement devra notamment composer avec le président conservateur Andrzej Duda, le commandant suprême des Forces armées, qui a un droit de veto sur des projets de lois. Quant à la définition de la politique nationale et internationale du pays, le Premier ministre en est chargé mais il doit coopérer avec le chef de l'État, selon la Constitution.
Ménager les eurosceptiques
"Du côté de la Commission européenne, et de la future présidence belge du Conseil, ils vont faire tout leur possible pour redonner des marges de manœuvres budgétaires à la Pologne et d’une certaine manière, indiquer aux citoyens polonais qu’ils ont fait le bon choix", ajoute Olivier Costa.
Si Donald Tusk dispose des faveurs de Bruxelles, ses positions ne seront pas pour autant systématiquement alignées sur celles du noyau dur franco-allemand. Le nouveau Premier ministre est disposé à accueillir l’Ukraine dans l’UE pour des raisons géostratégiques, mais concernant les modalités d’un élargissement, même Donald Tusk est assez réticent.
"La Pologne a besoin de garanties de ne pas perdre tous les fonds européens dont le pays bénéficie aujourd’hui, en faveur de nouveaux membres plus pauvres. Varsovie voudrait être assurée également de ne pas être soumise à une concurrence débridée de l’Ukraine en matière agricole", analyse Olivier Costa.
Sur la question européenne, en particulier celles de nouveaux traités, Donald Tusk fait preuve de prudence, remarque Olivier Costa. "Il est déjà sur une ligne défensive de défense, car il doit composer avec son opinion publique. Ce n’est pas parce que les libéraux ont emporté la majorité au Parlement, que subitement tout le pays est devenu europhile. Il ne faut donc pas s’attendre à un renversement complet", conclut le chercheur.
Avec AFP