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“Quand les entrepreneurs sont arrivés, ils ont dit que tout était à eux” se rappelle encore Marilda De Souza Francisco. Depuis sa maison familiale, entourée d’une flore fastueuse, la griotte (conteuse africaine) du Quilombo Santa Rita do Bracuí fait lentement revivre les images du passé. C’est pendant la dictature militaire dans les années 1970, en pleine explosion du tourisme balnéaire au Brésil, que l’expropriation commence dans sa communauté.
Située sur la Costa Verde, la côte atlantique entre Rio de Janeiro et São Paulo, la bourgeoisie brésilienne y a établi ses “Hamptons”. Des logements luxueux avec un accès privatisé à une mer cristalline. Et une vue privilégiée sur la Mata Atlântica, la deuxième forêt tropicale du pays.
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Afin d'accueillir ces nouveaux arrivants, l’autoroute Rio-Santos est construite et les habitants qui vivaient sur le littoral sont progressivement délogés. Ils se réfugieront dans les hauteurs de la forêt rejoignant l’autre partie du groupe. “Les quilombolas [les membres des communautés appelées quilombos, ndlr] ont tenté d’aller en justice collectivement pour défendre leurs terres, mais on a perdu” raconte dans un triste sourire Marilda De Souza Francisco. À la place de leurs foyers, se dresse maintenant le Condomínio Porto Marina Bracuhy, un ensemble immobilier de résidences secondaires avec un port privé où hibernent des dizaines de yachts.
Un droit à la terre bafouée
L’histoire remonte au XIXe siècle. Santa Rita do Bracuí était alors le nom d’une plantation de canne à sucre et de café dont le propriétaire était le commandant José de Souza Breves. Issu d’une puissante famille portugaise d’esclavagistes, il détenait captifs des centaines de noirs africains pour cultiver ses champs. Après l’interdiction de la traite négrière en 1831, il a également participé à leur commerce illégal. En 1879, José de Souza Breves décède et lègue via son testament l’intégralité de ses terres, devenues improductives, à ses esclaves. Depuis, leurs descendants y sont restés et ont formé une communauté noire et rurale : un quilombo.
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“Les quelque 3 475 quilombos qui existent au Brésil ont chacun une histoire différente” explique l’historienne Martha Abreu. Un certain nombre sont nés du marronnage, une fuite organisée d’esclaves vers des territoires reculés. D’autres, de révoltes des opprimés contre leurs bourreaux. Plusieurs sont simplement des lieux où les noirs africains et leurs descendants ont décidé de rester vivre après l’abolition de l’esclavage.
Malgré cela, ils ont tous une chose en commun, selon la spécialiste : “Ce sont des endroits de résistance noire pour un droit à la terre et à sa préservation.” Car qu’ils soient en forêt, en ruralité ou en ville, la quasi-totalité des quilombos sont menacés par le glouton lobby foncier brésilien. Entrepreneurs immobiliers, agro-industriels ou encore professionnels du tourisme convoitent ces terres “vides” souvent situées en pleine nature. Et pour les obtenir, certains font appel à la violence.
Depuis 2013, la Coordination Nationale d’Articulation des Quilombos (Conaq) a recensé une trentaine d’assassinats de quilombolas dans un contexte de conflit terrien. En août 2023, “Mae Bernadete”, la coordinatrice nationale de cette organisation est tuée de 12 balles alors qu’elle luttait contre la spéculation foncière dans son quilombo. Des membres de communautés comme celle de Rio Preto (État du Tocantins, nord du Brésil) ou de Jacarezinho (État du Maranhão, nord du Brésil) sont aussi régulièrement victimes d’intimidations et d’agressions physiques qui visent à les faire abandonner leurs terres ancestrales.
L’importance de la titularisation des terres quilombolas
L’article 68 de la Constitution brésilienne (1988) reconnaît le droit terrien des quilombolas en ces termes : "Les restes des communautés quilombos qui occupent leurs terres sont reconnus comme ayant une propriété définitive, et l'État doit délivrer les titres respectifs". Cette titularisation dont il est question permet d’empêcher légalement la spéculation foncière dans les quilombos et de sanctionner toutes tentatives d’intrusions.
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Après 24 ans d’attente et de nombreuses incursions sur son territoire, ce n’est que le mercredi 26 juillet 2023 qu’un titre de propriété a été confié aux résidents du Quilombo Santa Rita do Bracuí. Le Brésil a pourtant reconnu des droits de propriété aux personnes d'origine africaine vivant dans les quilombos il y 34 ans... Un processus administratif long qui explique pourquoi sur les 3 475 Quilombos du pays seulement 147 sont titularisés… et l’avidité des spéculateurs qui en découle.
Depuis son retour au pouvoir, le président Luiz Inácio Lula da Silva a initié l’homologation d’environ huit territoires autochtones et quatre quilombolas. Contre zéro durant les quatre ans de mandat de son prédécesseur, Jair Bolsonaro. Ce changement de gouvernance est un espoir pour les peuples traditionnels au Brésil de voir leurs droits à la terre être reconnus et les écosystèmes qu’ils protègent être durablement préservés.