
Diana Salazar n'a pas peur de s'attaquer aux puissants. Surnommée la "Loretta Lynch équatorienne" (célèbre procureure générale aux États-Unis sous Barack Obama), la procureure générale a mené en décembre 2023 l'opération "Metastasis", une vaste enquête sur la corruption et la collusion entre le narcotrafic et les institutions publiques, qui a conduit à l'arrestation d’une trentaine de personnes.
"La réponse à cette opération sera certainement une escalade de la violence", avait-elle prévenu, en révélant cette enquête décrite comme la pierre angulaire de la "narcopolitique" dans le pays. Ses prédictions se sont malheureusement réalisées. Depuis l'opération, l'Équateur est confronté à une vague de violence sans précédent, déclenchée par les gangs de narcotrafiquants, causant des dizaines de morts. Le plus récent en date est l'assassinat, mercredi 17 janvier, du procureur enquêtant sur une prise d'otages sur un plateau télévisé, qui avait eu lieu début janvier.
Populaire et appréciée des Équatoriens
À 42 ans, Diana Salazar est une figure bien connue de la scène anti-corruption depuis plusieurs années. Première femme noire du pays à diriger le département de la Justice, elle a été saluée en 2021 par le département d’État américain comme une "championne de la lutte contre la corruption". Titulaire d'un doctorat en jurisprudence et de plusieurs diplômes dans le domaine des droits humains et de la protection des personnes d'ascendance africaine, elle est procureure générale du pays depuis 2019.
Bien qu'elle reçoive régulièrement des menaces de mort, elle continue à mener ses enquêtes sans peur. Lors de ses rares apparitions publiques, elle porte un gilet pare-balles et est protégée par un important service de sécurité. Pendant une audience récente, la procureure a lancé aux criminels : "Venez m'assassiner !", déclarant qu'elle ne se laisserait pas intimider par leurs menaces. Suivie par plus de 240 000 personnes sur X, elle n’hésite pas à communiquer à ce sujet.
Cuando se unen la corrupción y el narcotráfico, tenemos un verdadero cáncer en la sociedad. Este caso nos recuerda que no podemos darnos por vencidos y que entre todos podemos rescatar al país de las manos de la criminalidad. ¡No permitiremos la impunidad! https://t.co/m0lz7msvg3 https://t.co/MuzHGDfVnI
— Diana Salazar M. (@DianaSalazarM2) December 14, 2023"Le courage de Diana Salazar, qui sait parfaitement qu'elle risque sa vie pour lutter contre la corruption, la rend populaire et appréciée des Équatoriens", relève Emmanuelle Sinardet, professeure de civilisation latino-américaine à l’université Paris Nanterre.
"Elle a souvent été critiquée pour son ambition et ses relations supposées avec des intérêts puissants. Cependant, face aux menaces qui pèsent sur elle et sa famille, l'opinion publique la voit comme une figure d'intégrité et de dévouement au bien commun. Elle est considérée comme le bras judiciaire de la lutte pour restaurer l'autorité de l'État et l'ordre dans la rue."
Fifa Gate et Odebrecht
Née le 5 juin 1981 à Ibarra, une ville des Andes septentrionales, Diana Salazar grandit dans une famille modeste, sa mère élevant seule quatre enfants. Lorsqu’elle a 16 ans, elle s’installe à Quito pour passer l’équivalent du Bac. Sa carrière débute en 2001, à l’âge de 20 ans. Encore étudiante en droit à l’Université centrale de Quito, elle commence à travailler au parquet de la province de Pichincha, en tant que greffière. En 2006, elle est promue secrétaire du procureur, et en 2011, elle devient procureure du sud de la province.
Sa carrière fait un bond lorsqu’elle est nommée à la tête de l'unité anti-corruption du parquet. En 2015, elle dirige notamment l'enquête sur l’affaire dite "Fifa Gate", qui aboutit à la condamnation à 10 ans de prison de l'ancien président de la Fédération équatorienne de football, Luis Chiriboga, pour blanchiment d'argent.
Diana Salazar participe également au chapitre équatorien de l’affaire Odebrecht, un scandale de corruption autour du géant brésilien du BTP. Son enquête permet alors de rassembler une partie des preuves qui conduisent, en décembre 2017, à la condamnation de Jorge Glas, ancien vice-président de l'Équateur, à six ans de prison. Accusé d’avoir reçu 13,5 millions de dollars de pots-de-vin d’Odebrecht, Jorge Glas nie toutes les accusations et estime que Diana Salazar le persécute politiquement.
"L'affaire d’Odebrecht a été un véritable test pour Diana Salazar", analyse Sunniva Labarthe, docteure en sociologie politique à l’EHESS (École des hautes études en sciences sociales). "Beaucoup de gens pensaient qu'elle serait rapidement démise de ses fonctions avec les répercussions de cette affaire, mais elle a réussi à tenir bon jusqu’à aujourd’hui. Bien sûr, cela est probablement dû à des accords politiques, mais cela montre qu’elle est une figure crédible et stable."
"Procureure 10/20"
En 2019, Diana Salazar est élue à l'unanimité procureure générale de l'Équateur. Ses résultats au concours lui valent des critiques et le surnom de "procureure 10/20", car elle a obtenu seulement 10 points sur 20 à l'examen écrit (49/50 au dossier et 28,17/30 à l'oral, ce qui lui a permis d'obtenir une note globale de 88,17/100).
"En Équateur, le poste de procureur général, que l’on appelle la 'fiscal', est devenu extrêmement important et scruté depuis la suppression du ministère de la Justice en 2018", souligne Sunniva Labarthe. "C’est une conséquence directe de la crise qui a suivi la passation de pouvoir entre Rafael Correa et Lenin Moreno. Ce dernier a été contraint de se séparer des partisans de son prédécesseur qui occupaient des postes importants dans l'État, y compris dans la justice."
Dans ce contexte de crise institutionnelle et politique, Diana Salazar s'attaque à la corruption, notamment en poursuivant l'ancien président Rafael Correa en 2020. Elle recommande une peine de huit ans de prison, la peine maximale, après sa condamnation. Les détracteurs de la procureure générale lui reprochent alors de cibler l'ancien président au détriment d'autres enquêtes plus importantes.
L’exploit "Metastasis"
En décembre 2023, son opération dite "Metastasis", "la plus grande de l'histoire contre la corruption et le trafic de drogue" en Équateur, selon la procureure, met au jour une "structure criminelle" impliquant des procureurs, des responsables pénitentiaires et des policiers "dont l'objectif était d'obtenir l'impunité et la liberté des personnes poursuivies ou condamnées" ainsi que d'introduire des objets interdits en prison.
Au total, 31 personnes sont arrêtées au cours de 75 raids simultanés. Cette enquête, ouverte après l'assassinat, en 2022, en prison, de Leandro Norero, grande figure du narcotrafic, révèle alors l'étendue de la corruption et de l'infiltration du narcotrafic dans les plus hautes sphères du pouvoir.
"Diana Salazar a le mérite d’avoir mené dans le plus grand secret son opération pour éviter que les narcotrafiquants ne soient prévenus des arrestations", souligne Emmanuelle Sinardet. "Réussir à maintenir une enquête confidentielle relève de l’exploit dans un pays où la corruption et l'influence du narcotrafic sont profondément ancrées dans les institutions publiques."
Diana Salazar dit avoir passé au crible des milliers de messages et relevés téléphoniques, lui permettant de reconstituer le réseau de protection dont disposait Leandro Norero. Depuis ces révélations, la procureure est la cible de menaces de mort de la part de Los Lobos, l'une des principales organisations criminelles, dont le chef, Fabricio Colon Pico, s'est échappé de prison, la semaine dernière, au lendemain de l'évasion d'un autre chef de gang, "Fito". "Il ne faut pas oublier que toutes les autres personnes impliquées dans la lutte contre la corruption, notamment les avocats, les juges, les enquêteurs et les journalistes, sont également menacées", ajoute Sunniva Labarthe. "On ne peut que souhaiter à Diana Salazar de rester en vie".