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En mettant fin à ses liens diplomatiques avec Taïwan, Nauru, le micro-État du Pacifique, cherche désespérément un moyen de sortir de l'impasse économique dans laquelle il est enfermé. Une décision qui fait le bonheur de la Chine continentale, deux jours après l'élection du président Lai Ching-te qui a promis de protéger Taïwan des "menaces et intimidations" de Pékin.

Quand la plupart des pays félicitent les vainqueurs d’élections présidentielles, la petite nation insulaire de Nauru a choisi de déroger à la courtoisie diplomatique en notifiant à Taïwan, dès lundi 15 janvier, qu'elle ne reconnaîtrait plus l'île en tant que nation indépendante. 

Les quelque 12 000 habitants de cette île perdue du Pacifique considèrent désormais Taïwan comme "une partie inaliénable du territoire chinois", deux jours après la nette victoire à l’élection présidentielle du Parti démocrate progressiste (DPP) qui incarne la voie de l’autonomie de Taiwan face à la Chine.

Avec le changement d'allégeance de Nauru, Taïwan n'est plus reconnu comme État et seul représentant légitime de la Chine sur la scène internationale que par 12 pays dans le monde, un ensemble hétéroclite de nations d'Amérique latine, des Caraïbes et du Pacifique. 

Ni Pékin ni Taipei n'autorisent les pays à reconnaître les deux États, c'est soit la Chine continentale ou Taïwan, et depuis 2016, la République populaire de Chine a débauché neuf des derniers alliés diplomatiques de Taïwan en leur promettant une aide économique. Nauru est le 10e État à avoir changé d’allégeance.

Pékin met la main au porte-monnaie

Pour expliquer ces défections, Steve Tsang, de l’École des études orientales et africaines (SOAS, China Institute, à Londres) pointe du doigt la réticence de Taïwan à mettre la main à la poche pour convaincre ses derniers alliés diplomatiques de rester à ses côtés.

"Il faut garder à l'esprit que Nauru est un pays qui compte un peu moins de 13 000 habitants. Les aides économiques au développement susceptibles de le persuader de passer de la reconnaissance de Taipei à celle de Pékin peuvent être très modestes", explique-t-il. 

Autrement dit, Taïwan aurait pu surenchérir pour s’assurer la reconnaissance de Nauru, mais les autorités de Taïwan ont décidé de ne plus entretenir la “diplomatie du chéquier” du gouvernement chinois sur la scène diplomatique. Depuis plusieurs années, Taipei accepte de perdre certains de ses "alliés" au profit de Pékin quand ce dernier est suffisamment déterminé pour surenchérir. 

Cette évolution s’est produite sous l’impulsion de la présidente Tsai Ing-wen pendant ses deux mandats à la tête de Taïwan (2016-2024). Mardi, le ministère taïwanais chargé des Affaires étrangères a cependant accusé le micro-État d'avoir cédé aux sirènes d'"une importante aide financière chinoise". En 2019 déjà, quand deux autres petits États du Pacifique, Kiribati et les Îles Salomon, s’étaient aussi déclarés en faveur de la Chine, les médias taïwanais avaient affirmé qu’une aide financière d'environ 500 millions de dollars avait convaincu les Îles Salomon d'abandonner Taipei.

Entre 2008 et 2021, Pékin aurait dépensé 3,9 milliards de dollars d'aide dans la région contre 395 millions de dollars pour Taïwan au cours de la même période. Pour Asha Sundaramurthy, experte de la région Océanie, l'offensive de charme de la Chine est un succès. "Aujourd'hui, seules trois îles du Pacifique reconnaissent Taïwan : les îles Marshall, Tuvalu et Palau". 

Depuis 2006, Taïwan a soutenu Nauru avec une mission technique dans les secteurs de l’agriculture ou de l’énergie, l’octroi de bourses d'études et de formation, et via des prêts à des taux inférieurs à ceux du marché. Pour l’aider à remplacer les revenus du phosphate en voie de disparition après plusieurs décennies de surexploitation, Taïwan alimente également un fonds “intergénérationnel” créé en 2015 aux côtés de l'Australie et de la Nouvelle-Zélande pour permettre au micro-État de garder la tête hors de l’eau.

Le destin tragique de Nauru, État failli

De son côté, Nauru n’a jamais cessé de vendre au plus offrant des reconnaissances diplomatiques. Après 22 ans de relations avec Taïwan, Nauru a une première fois basculé du côté de la Chine en 2002. Avant de se rallier à nouveau à Taipei en 2005, quand le gouvernement taïwanais a financé l'achat par Nauru d'un Boeing 737 pour remplacer le seul avion du pays qui avait été saisi suite à un litige avec une banque américaine.

Après la guerre de 2008 entre la Russie et la Géorgie, Nauru est également devenu l'un des seuls pays au monde à reconnaître officiellement les républiques sécessionnistes d'Abkhazie et d'Ossétie du Sud. Selon le journal russe Kommersant, le Kremlin a récompensé la nation insulaire pour son soutien en lui accordant une aide humanitaire de quelque 50 millions de dollars.

En adoptant cette approche transactionnelle des relations internationales, Nauru joue sa survie. Avec seulement 21 kilomètres carrés, Nauru a connu la prospérité au début du 20e siècle à la faveur de la découverte d’importantes réserves de phosphate, constituées au fil des siècles par la fossilisation des fientes des oiseaux de mer.

Pour l'Empire britannique, qui arracha Nauru aux Allemands après la Première Guerre mondiale, ces réserves de phosphate constituaient une ressource stratégique d'engrais pour l’agriculture. Sous la direction de la “British Phosphate Commission”, plus de 35 millions de tonnes sont extraites de l'île avant que le pays n'accède à l'indépendance en 1968. 

Dans les années 1990, l'épuisement des réserves minières et une mauvaise gestion des finances publiques provoquent un désastre social, environnemental et économique. L’exploitation minière à ciel ouvert a détruit le plateau central de l'île. Désormais recouvert de tours de calcaire blanchies par le soleil et de corail déchiqueté, le pays est en faillite.

Privé de terres agricoles, Nauru recherche frénétiquement de nouvelles sources de revenus. Au cours des années 2000, le gouvernement est devenu très dépendant de l'Australie, qui finance un centre de rétention offshore pour les demandeurs d'asile qui espèrent atteindre son territoire par bateau. Selon le Migration Policy Institute, basé aux États-Unis, les deux tiers du revenu total de l'île en 2021-2022 dépendent de cet accord.

Cependant, le nombre de détenus qui s'y trouvent actuellement s’est réduit à une douzaine de personnes, et il est probable que l'Australie mette prochainement fin à ce dispositif.  

Maintenir le statu quo

N'ayant plus guère d'autres ressources que la vente de droits de pêche dans ses eaux territoriales, menacé par la crise climatique en raison de sa faible altitude, Nauru a saisi l’opportunité de l'élection présidentielle à Taïwan pour monnayer de nouveau son soutien diplomatique à l’une des deux Chine.

Sous couvert d’anonymat, un diplomate taïwanais a déclaré à l'agence de presse semi-officielle taïwanaise CNA que Nauru avait demandé à Taipei une aide de 83,23 millions de dollars pour combler le déficit financier causé par la fermeture temporaire du centre de rétention opéré par l’Australie.

Une information confirmée par un fonctionnaire australien auprès de l'Australian Financial Review qui affirme que Pékin a probablement proposé d'intervenir pour combler le déficit. Ni Nauru ni la Chine n'ont commenté publiquement ces affirmations.

Pour le politologue et historien Steve Tsang, le moment qu’a choisi Nauru pour faire cette annonce, deux jours après que le DPP a obtenu un nouveau mandat, n’est pas une coïncidence. “Le calendrier suggère que Pékin s’est entendu avec le gouvernement de Nauru bien avant les élections taïwanaises. Son ralliement est l'une des options dont pouvait disposer Pékin pour 'punir' Taïwan et son peuple d'avoir choisi un candidat que Pékin n’apprécie pas. Ainsi Pékin a pu manifester son mécontentement sans porter vraiment préjudice à Taiwan”.

Pour Taipei, perdre l'amitié d'une minuscule nation insulaire et endettée ne signifie finalement pas grand-chose. Pour l’universitaire né à Hong Kong , l'isolement diplomatique croissant de Taipei pourrait finir par avoir des avantages inattendus à mesure que Taïwan continue à redéfinir son identité.

"Quand aucun pays ne reconnaîtra officiellement Taïwan par son nom officiel de République de Chine, on l'appellera tout simplement Taïwan", prédit-il. "Il arrivera donc un moment où il sera contraire aux intérêts de Pékin de réduire encore le nombre de petits États qui reconnaissent Taïwan sous son nom officiel”. En effet, si plus aucun pays ne reconnaissait à Taïwan le statut de seul représentant de la Chine, l’île pourrait déclarer son indépendance. Un scénario qui, pour Pékin, constitue une ligne rouge.

Cet article a été adapté par David Gormezano à partir de l'original en anglais à retrouver ici.