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Quand l’Ukraine revendique une prise de guerre de l’aviation russe
Kiev a annoncé, lundi, avoir détruit un A-50, une arme essentielle de défense aéroportée russe. Cet avion radar à longue distance constitue un atout majeur dans la guerre que se livrent l'Ukraine et la Russie dans les airs.

Un seul A-50 lui manque et toute l’armée russe s’en retrouve désorganisée ? L’Ukraine s’est enorgueillie, lundi 15 janvier, d’avoir réussi à abattre un avion de détection radar à longue distance A-50 au-dessus de la mer Azov. Un succès présenté comme un coup dur porté à l’armée russe en général.

"Nous l’avons abattu et il a explosé lors d’une opération parfaitement menée et organisée dans la région d’Azov", s’est ainsi réjoui Valeri Zaloujny, le commandant en chef des forces armées ukrainiennes. "Brûlez en enfer, salopards !", a lancé sur Telegram Mikola Olechtchouk, le commandant de l’armée de l’air ukrainienne pour célébrer "l’exploit".

De leur côté, les Russes n'ont pas confirmé cette perte. "Nous n’avons pas d’information [à ce sujet]", s’est contenté de répondre,lundi, Dmitri Peskov, le porte-parole du Kremlin

Deux avions touchés

Une partie des "milblogueurs" – ces commentateurs militaires russes souvent issus de la mouvance ultra-nationalistes, très actifs sur les réseaux sociaux – ont cependant “repris cette information à leur compte”, note Frank Ledwige, spécialiste des questions de guerre aérienne à l'université de Portsmouth. 

Valery Zaluzhny, commander-in-chief of Ukraine's armed forces, says Ukraine "destroyed" a Russian A-50 spy plane and Il-22 airborne command plane over the Sea of Azov.

The Kremlin says it has "no information" about the incident. pic.twitter.com/Fkn7DLPuEW

— max seddon (@maxseddon) January 15, 2024

Cette destruction de l’A-50 paraît d’autant plus crédible que Kiev a annoncé en même temps avoir touché un autre avion – un IL-22, un autre aéronef faisant office de centre de commandement aéroporté. "Pour ce dernier, des images de l’avion endommagé ont été postées, ce qui suggère que les défenses anti-aériennes ukrainiennes ont bel et bien atteint des cibles importantes de l’armée de l’air russe", résume Sim Tack, un analyste militaire pour Force Analysis, une société de surveillance des conflits.

La perte d’un A-50 serait un "revers significatif pour l’armée russe", assure Jeff Hawn, spécialiste des questions militaires russes et consultant extérieur pour le New Lines Institute, un centre américain de recherche en géopolitique. 

Cet avion représente "le fer de lance du système de défense aéroporté russe", souligne Frank Ledwige. Cet imposant aéronef, aisément reconnaissable grâce au gros radar en forme de disque fixé au-dessus de l'appareil, permet à l’aviation russe d’avoir "un système très avancé de détection précoce et de guidage", résume Sim Tack.

Les A-50 jouent le rôle à la fois de vigie du ciel par excellence et de centre de commandement aérien. "Ils sont parfois comparés, un peu hâtivement, à des avions espions car ils ont la capacité de voir de très loin, plus que la plupart des radars au sol. Mais leur fonction n’est pas d’assurer la reconnaissance, mais bien plus de coordonner les mouvements de la flotte aérienne russe et d’avertir au plus vite les bombardiers ou chasseurs quand ils sont à portée de cibles ou de dispositifs anti-aériens ennemis", explique Jeff Hawn.

Des avions rares

Ces avions sont d'autant plus importants pour l’armée russe qu'ils sont rares. “L’Union soviétique en a construit une cinquantaine, mais seulement une dizaine a été améliorée depuis”, assure Jeff Hawn.

L’Ukraine estime que la Russie ne dispose plus que de huit A-50 pour, à la fois, couvrir son territoire et aider à assurer la supériorité russe dans le ciel ukrainien. Sachant que ces avions ne peuvent pas voler en continu et doivent se relayer pour garantir que rien n’échappe à l’œil aérien de Moscou, la perte de l’un d’eux “met l’armée de l’air russe sous pression et peut créer un vide dans le dispositif”, juge Frank Ledwige. 

La destruction d’un de ces aéronefs serait aussi un coup dur sur le plan humain. “Il transporte un équipage d’une quinzaine de personnes généralement très bien entraînées qui va être difficile à remplacer”, ajoute Frank Ledwige. 

Si la perte d’un A-50 venait à être confirmée, l’état-major russe va devoir comprendre comment l’Ukraine a pu parvenir à abattre un avion censé voler hors de portée des tirs ennemis. En l’occurrence, il a été abattu au nord de la mer d’Azov, c’est-à-dire à la limite de la portée supposée des défenses anti-aériennes ukrainiennes. 

“L’avion a probablement été abattu avec un missile Patriot américain, car ce sont les seuls à avoir une telle portée dans l’arsenal ukrainien”, estime Jeff Hawn. Mais il aura probablement “fallu déplacer ces armes plus près de la ligne de front afin d’être à portée de la cible, ce qui n’est pas sans risque”, assure Sim Tack. En effet, Kiev dispose d'un stock limité de missiles Patriot. En les transportant davantage vers la zone de combat, l’Ukraine exposait aussi ces précieuses armes à des frappes russes.

Une incidence sur le cours de la guerre ?

L’armée ukrainienne devait donc estimer que détruire un A-50 méritait de prendre ces risques. Difficile cependant d’affirmer qu’un tel succès peut avoir une incidence direct sur le champ de bataille. Les avis divergent sur ce point. Pour les uns, “même si la Russie envoie un autre A-50 épauler l’armée dans cette zone, ils vont probablement le positionner un peu plus en retrait, ce qui devrait réduire l’efficacité de sa surveillance et sa capacité à guider les bombardiers russes en territoire ennemi”, résume Sim Tack.

Pour d’autres analystes, “cette perte va surtout avoir un impact sur la guerre des airs, mais cette dimension aérienne ne joue pas un rôle crucial dans le conflit en Ukraine actuellement”, estime Frank Ledwige. 

Il n’empêche qu’un tel succès - si confirmé - laissera des traces. “C’est un peu comme lorsque l’Ukraine arrive à viser la flotte russe en mer Noire”, souligne Frank Ledwige. Kiev démontre ainsi sa capacité à frapper des cibles que la Russie pouvait croire sous son contrôle.