Tirs en direct sur un plateau de télévision, gardiens de prison ou policiers pris en otages, écoles et magasins fermés : l'Équateur est plongé, selon les mots de son président, dans un "conflit armé interne" avec les gangs de narcotrafiquants qui a déjà fait au moins dix morts.
Dans un décret signé mardi, le chef de l'État a reconnu "l'existence d'un conflit armé interne" et ordonné "la mobilisation et l'intervention des forces armées et de la police nationale [...] pour garantir la souveraineté et l'intégrité nationale contre le crime organisé, les organisations terroristes et les belligérants non-étatiques".
Après avoir déjà décrété l'état d'urgence lundi, Daniel Noboa, 36 ans, plus jeune président de l'histoire du pays, a ordonné cette fois la "neutralisation" de tous ces groupes criminels, dont il a fourni une liste exhaustive, tout en soulignant la nécessité pour les forces armées d'agir "dans le respect des droits de l'Homme".
Ces bandes criminelles, pour la plupart de simples gangs de rues il y a encore quelques années, sont devenus les acteurs violents d'un narcotrafic aux ramifications internationales, à mesure que l'Équateur a émergé comme le principal point d'exportation de la cocaïne produite au Pérou et en Colombie voisines. Autrefois un havre de paix, le pays est aujourd'hui ravagé par la violence de ces gangs.
Ennemi public numéro un, le chef des Choneros – un gang qui, selon les experts, compterait environ 8 000 hommes –, Adolfo Macias, alias "Fito", s'est volatilisé dimanche de la prison de Guayaquil (sud-ouest). Mardi, l'un des chefs de Los Lobos, autre puissant gang de narcotrafiquants, s'est lui aussi évadé.
Le Pérou voisin a par ailleurs annoncé mardi soir avoir déclenché l'état d'urgence dans l'ensemble des régions frontalières de l'Équateur, longue de plus de 1 400 kilomètres. Les autorités péruviennes prévoient de renforcer la surveillance des frontières en y envoyant des effectifs policiers et militaires supplémentaires.
La Chine a interrompu mercredi les activités consulaires de son ambassade en Équateur ainsi que celles de son consulat. "La réouverture au public sera annoncée en temps voulu", précise l'ambassade dans un communiqué en espagnol publié sur le réseau social chinois WeChat.
De son côté, la France demande à ses ressortissants qui envisageraient de se rendre en Équateur de "différer leurs projets", selon le site du ministère des Affaires étrangères.
Prise d'otage en direct
Dernier et spectaculaire épisode, des hommes armés ont fait irruption mardi après-midi sur le plateau d'une télévision publique à Guayaquil, prenant brièvement en otage des journalistes et des employés de la chaîne.
Au milieu des coups de feu, la diffusion de ces images surréalistes s'est poursuivie en direct pendant de longues minutes. Jusqu'à, apparemment, l'intervention des forces de l'ordre aux cris de "Police ! Police !"
Personne n'a semble-t-il été tué ou blessé dans le raid, et 13 assaillants ont été interpellés, a indiqué la police.
[ 🇪🇨 ÉQUATEUR ]
🔸️ Après leur irruption sur un plateau de télévision, les hommes armés ont placé dans la poche du présentateur un objet qui ressemble à un bâton de dynamite. pic.twitter.com/VaA84HDO3v
"Ce sont des jours extrêmement difficiles", a reconnu mardi le secrétaire à la communication de la présidence, Roberto Izurieta, l'exécutif ayant pris "la décision importante de lutter de front contre ces menaces terroristes".
L'évasion de "Fito" a été suivie de plusieurs mutineries et prises en otage de gardiens dans diverses prisons, le tout relayé par des vidéos diffusées sur les réseaux sociaux montrant les captifs menacés par les couteaux de détenus masqués. Mardi, de nouvelles vidéos sont apparues, montrant cette fois l'exécution d'au moins deux gardiens, par arme à feu et pendaison.
Dans un communiqué, l'administration pénitentiaire (SNAI) a fait état de 139 membres de son personnel actuellement toujours retenus en otage dans cinq prisons du pays. Le SNAI n'a pas commenté les vidéos d'exécution.
Commerces et écoles fermés
L'état d'urgence décrété lundi par le président Daniel Noboa, élu en novembre sur la promesse de rétablir la sécurité, s'étend à l'ensemble du territoire pour une durée de 60 jours. L'armée est ainsi autorisée à assurer le maintien de l'ordre dans les rues (avec un couvre-feu nocturne) et les prisons. Il reste manifestement sans grand effet jusqu'à présent : de très nombreux incidents, dont l'enlèvement de sept policiers, ont également été signalés un peu partout dans le pays.
Dans la ville portuaire de Guayaquil, où les groupes criminels sont tout puissants, le chef de la police a indiqué que les violences ont fait huit morts et trois blessés. Deux policiers ont également été "vicieusement assassinés par des criminels armés" dans la ville de Nobol, près de Guayaquil.
Les images diffusées sur les réseaux sociaux, difficiles à vérifier, donnent une idée de ces violences et alimentent l'impression d'un chaos qui s'installe progressivement dans certaines localités du pays : attaques au cocktail Molotov, voitures incendiées, tirs au hasard sur des policiers, scènes de panique...
Dans le grand port de Guayaquil, plongé dans la psychose, de nombreux établissements hôteliers et restaurants ont fermé, tandis que des véhicules de l'armée patrouillent dans les rues, a-t-on constaté. Dans la capitale Quito, gagnée par la peur, magasins et centres commerciaux fermaient également prématurément.
Dans la soirée, le ministère de l'Éducation a ordonné la fermeture provisoire de toutes les écoles du pays.
Les forces de sécurité ont de leur côté diffusé des images de leurs interventions depuis dimanche dans divers pénitenciers, montrant des centaines de détenus en sous-vêtements, mains sur la tête et allongés sans ménagement sur le sol.
Le chef de la diplomatie des États-Unis pour l'Amérique latine, Brian Nichols, a dit que la Maison Blanche était "extrêmement préoccupée par la violence" et se trouvait "en contact étroit avec le président Daniel Noboa et le gouvernement équatorien [...], prête à fournir de l'assistance".
Le Brésil, le Chili, la Colombie et le Pérou ont exprimé leur soutien à l'Équateur, exprimant leur rejet de la violence.
Avec AFP