Dans un rapport du Haut-commissariat aux droits de l’Homme, les Nations unies ont accusé vendredi l’armée malienne et des combattants "étrangers" d’avoir exécuté, en mars 2022, au moins 500 personnes lors d'une opération antijihadiste dans le centre du pays.
Le texte est accablant. Le Haut-commissariat de l'ONU aux droits de l’Homme "a des motifs raisonnables de croire qu’au moins 500 personnes auraient été tuées en violation des normes, standards, règles et/ou principes du droit international" entre le 27 et le 31 mars 2022 à Moura, dans le centre du Mali, indique un rapport de l'institution onusienne, dont France 24 a obtenu copie.
Début avril 2022, l’armée malienne annonçait dans un communiqué qu’elle venait de mener à Moura une opération antijihadiste avec 203 "terroristes" mis hors de combat. Des ONG contestent. Human Rights Watch évoque l'exécution sommaire de 300 civils. La polémique enfle.
La justice militaire malienne annonce l’ouverture d’une enquête. De son côté, la mission de l’ONU au Mali (Minusma) lance ses propres investigations. Une tâche difficile pour Guillaume Ngefa, chef de division des droits de l’Homme de la Minusma, et son équipe. Le rapport final souligne que la junte malienne a constamment refusé à la Minusma l'accès à Moura en dehors d'un premier vol.
L’enquête de la Minusma durera six mois et les images satellitaires seront exploitées. Début février 2023, Guillaume Ngefa, véritable bête noire du pouvoir malien, a été déclaré « persona non grata » par Bamako et il sera expulsé du pays, peu après une réunion consacrée au mali au siège de l’ONU, à New York.
Visages des victimes et des troupes ayant mené l’opération
« La mission d’établissement des faits a conclu que l’opération militaire aéroportée et terrestre ( a été) conduite par les Fama (Forces armées maliennes) et les personnels militaires étrangers », des étrangers décrits comme des hommes blancs en treillis parlant une langue "inconnue" . Le document ne donne pas plus de détails sur « les personnels étrangers » mais il rappelle que Bamako a toujours affirmé bénéficier de l’expérience "d'instructeurs" russes dans sa lutte contre les jihadistes , et le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov a reconnu la présence au Mali de la société privée de sécurité russe Wagner. Début mai , en démentant de son côté la mort de certains de ses soldats au Mali, le chef du groupe Wagner Evgueni Prigojine a indirectement reconnu leur présence sur le sol malien.
Sur les victimes , l’ONU avance : « Ces 500 personnes, dont une vingtaine de femmes et sept enfants, auraient été "exécutées par les Fama et les personnels militaires étrangers (...) . Le Haut-commissariat a aussi "des motifs raisonnables de croire que 58 femmes et jeunes filles ont été victimes de viol et autres formes de violences sexuelles".
Dans le rapport d’une quarantaine de pages, la Division des droits de l’Homme de la Minusma précise que l’armée malienne et ses partenaires étrangers sont arrivés le 27 mars à la localité de Moura avec cinq hélicoptères, alors qu’une foire s’y tenait en présence de milliers de civils venus s’approvisionner peu avant le ramadan. Un des appareils aurait ouvert le feu « de manière indiscriminée » vers le marché. Des jihadistes dont certains s’étaient mêlés à la foule de civils auraient alors riposté et 35 personnes (civils et djihadistes) auraient été tuées.
A Moura, pendant au moins quatre jours, les militaires maliens et leurs alliés "auraient sélectionné plusieurs centaines de personnes qui ont été sommairement exécutées pendant au moins quatre jours", indique le rapport. Les hommes à exécuter auraient été choisis sur des signes comme le port d'une longue barbe les rendant suspects. Les personnes tuées auraient été inhumées dans des fosses communes.
Plusieurs témoignages de rescapés …
Selon les informations recueillies par ses soins, l’ONU souligne : « Les militaires ont infligé des traitements inhumains et dégradants ainsi que des actes de torture aux personnes capturées dans le cadre de l’opération militaire conduite du 27 au 31 mars. (…) Ces personnes ont été torturées aussi bien à Moura, qu’à Sévaré (centre) ainsi qu’à Bamako . Certaines l’ont été alors qu’elles étaient interrogées en bambara et en peul sur leurs activités. Une victime a témoigné en ces termes : « J’avais les yeux fermés. Les militaires nous ont giflé, donné des coups de poing, piétiné avec des coups de pieds sur la tête, frappé avec des cordelettes et avec les crosses de leurs armes. Ils nous traitaient de jihadistes, nous accusaient de tuer nos propres frères et de détruire notre pays. Je leur répondais que je ne savais rien de tout ça et que je ne suis pas jihadiste. On a passé à peu près deux ou trois heures dans une cellule. Ils nous ont ensuite, brutalement mis dans un véhicule, trainé certains par terre, puis dans un avion qui nous amené à Bamako ». Une autre victime a affirmé : « Les militaires maliens m’ont livré à la Sécurité d’Etat (services de renseignements) où j’ai été torturé et électrocuté au sexe lors de mes auditions qui duraient des heures, et ce, pendant six jours avant de me ramener au camp 1 (de la Gendarmerie) de Bamako »
Le rapport conclut par des recommandations notamment au gouvernement malien pour qu’il s’assure « que les enquêtes annoncées sur les possibles violations du droit international humanitaire et du droit international des droits de l’homme à Moura soient menées de façon indépendante impartiale, efficace, exhaustive et transparente (…) et qu’elle poursuive « tous les présumés auteurs en vue d’établir leur responsabilité » »
Dans sa méthodologie de travail pour enquêter sur les évènements de Moura, le rapport onusien précise : " Dans le cadre de cette enquête spéciale, la mission d’établissement des faits a conduit 157 entretiens individuels avec une variété de sources, y compris des victimes de viol et autres formes de violences sexuelles, des membres des communautés peule, rimaibè et bozo venant de 18 localités. La mission a aussi conduit 11 entretiens de groupes, notamment avec des personnes ayant une connaissance directe de l’incident, au cours desquels 140 personnes ont été interviewées. La mission s’est également entretenue avec des personnes déplacées internes qui ont quitté Moura à la suite de l’opération militaire pour trouver refuge ailleurs…"