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En France, une menace terroriste d’extrême droite en nette progression

L’affaire de la messagerie FR Deter a rappelé que la menace terroriste la plus sérieuse en France était bien celle issue de l’extrême droite. Au total, les services français de renseignement estiment à 3 000 le nombre de militants, dont plus de 1 300 sont déjà fichés S.

Des listes de noms de personnalités politiques de gauche, d’avocats, de journalistes. Des menaces de mort, des appels à commettre des ratonnades, des appels au meurtre. Des insultes à n’en plus finir visant les étrangers – en particulier Maghrébins –, les musulmans, les juifs, les personnes LGBT. Le fil de discussion de la messagerie cryptée Telegram FR Deter (pour "Français déterminés") réunissait jusqu’à sa fermeture, lundi 3 avril, plus de 7 300 abonnés à travers la France.

Révélé dimanche 2 avril par le compte Twitter Tajmaât, qui se présente comme une "plateforme collaborative pour les Maghrébins", FR Deter a été signalé le lendemain auprès de Telegram, sur instruction du ministre de l’Intérieur, via la plateforme  de signalement des contenus et des comportement en ligne illicite Pharos du ministère de l'Intérieur. Gérald Darmanin a également demandé "aux services de travailler aux suites judiciaires à donner, en lien avec l'autorité judiciaire".

Le groupuscule néo-nazi « #FRDETER », est un groupe créé pour réunir des identitaires de toute la France.

Composé de sous groupe départemental, des modérateurs sont chargés de surveiller et de recruter les personnes les plus actives, afin d'aboutir à des actions coups de poing. pic.twitter.com/GZy8byNWuV

— Tajmaât (@Tajmaat_Service) April 2, 2023

FR Deter fait partie d'une nébuleuse de groupes Telegram, sous surveillance depuis "fin 2022", qui "comptent plusieurs centaines de comptes", a détaillé à l'AFP une source policière. Parmi ses utilisateurs, "certains profils étaient déjà connus des services de renseignement", a ajouté cette source. D’autres "se prévalent de la qualité de militaires ou de fonctionnaires de police, mais cela reste à démontrer car beaucoup de ces comptes n'ont pas encore été identifiés".

Selon cette même source, ces boucles ont "d'abord été constituées pour servir de plateformes d'échange d'idées identitaires, pour permettre aux sympathisants de ces idéologies de se retrouver par région". "C'est ensuite que des profils plus violents et extrémistes sont apparus sur ces boucles, suscitant d'ailleurs parfois la désapprobation d'anciens membres."

Cette révélation et les inquiétudes qu’elle suscite sonne comme une piqûre de rappel : contrairement au discours répété en boucle ces dernières semaines par le gouvernement sur les menaces de l’ultragauche, de l’écoterrorisme et du terrorisme intellectuel, la menace terroriste issue de l’extrême droite ne bénéficie pas de la même mise à l’index.

"Nombre de démocraties occidentales considèrent ainsi que la menace d’ultradroite, suprémaciste, accélérationniste, est aujourd’hui la principale menace à laquelle elles sont confrontées. Et nous avons tous en tête les drames que ces idéologies ont générés à Christchurch, Buffalo, Ottawa, Hanau, Bratislava et dans tant d’autres villes. La France, comme toutes les démocraties, est exposée à cette même menace, dont la prévention mobilise activement les services de renseignement", expliquait Nicolas Lerner, directeur général de la Sécurité intérieure, le 16 février, dans une interview à L’Émile, le magazine des anciens élèves de Sciences-Po.

"L’extrême droite s’efforce de recruter dans les forces armées"

Pourtant, lorsque le député Europe Écologie-Les Verts Aurélien Taché a présenté une proposition de loi, une semaine plus tôt, demandant au gouvernement un état des lieux exhaustif de la menace terroriste d’extrême droite, peu de députés de la majorité présidentielle s’y sont montrés favorables. Voyant son texte dénaturé en commission, le député écologiste a finalement préféré le retirer.

🏛️ L'activisme d'ultra gauche est mis sur le même plan que le terrorisme d'extrême droite, comme lorsque @EmmanuelMacron comparait le mouvement social à l'invasion du Capitole.

⛔️ Je refuse une telle relativisation du risque, au nom du groupe @EcologistesAN je retire ce texte ! pic.twitter.com/lkrSz39Sk5

— Aurélien Taché (@Aurelientache) March 29, 2023

Son initiative a toutefois débouché sur un débat sur la lutte contre le terrorisme d’extrême droite, lundi 3 avril, à l’Assemblée nationale, qui a donné lieu à l’audition du ministre des Outre-mer Jean-François Carenco – son ministre de tutelle, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, ayant décliné l’invitation.

"Oui c’est vrai, une violence d’extrême droite refait surface. (…) Ces idéologies ne sont pas mortes, elles semblent même particulièrement vivantes sur notre territoire", a admis le ministre.

Ainsi, en 2021, la France totalisait 45 % des interpellations en Europe concernant les affaires en lien avec le terrorisme d’extrême droite, selon le dernier rapport d’Europol. Cela représente un total de 29 arrestations – sur 64 en Europe – et une forte progression en France puisque 7 personnes avaient été interpellées pour les mêmes raisons en 2019, et cinq en 2020.

Le ministère de l’Intérieur travaille, a affirmé Jean-François Carenco, qui a rappelé que onze décrets de dissolution d’associations avaient été pris ces dernières années, mentionnant Génération identitaire et Alvarium en 2021, les Zouaves de Paris en 2022 ou encore Bordeaux nationaliste en 2023. Au total, l’ultradroite compte environ 3 000 militants, dont plus de 1 300 sont fichés S, selon les données du ministre.

Débat sur la lutte contre le terrorisme d’extrême droite :

🚨Inédit : Un ministre reconnait pour la première fois dans l'enceinte de l'Assemblée Nationale, l'infiltration de l'armée et la police française par des groupes néonazis ! pic.twitter.com/yev3VYUQW4

— Aurélien Taché (@Aurelientache) April 3, 2023

Parmi eux figurent notamment des membres des forces de l’ordre et de l’armée. Jean-François Carenco a reconnu le problème et a même insisté sur le fait qu’il s’agissait selon lui de "la première fois que devant cette Assemblée, un ministre reconnaît l’existence de ce phénomène et reconnaît qu’il est pris en compte".

"L’extrême droite s’efforce de recruter dans les forces armées de sécurité", a poursuivi le ministre. Celles-ci "disposent en effet de compétences liées aux armes notamment qui sont recherchées par la mouvance d’extrême droite qui s’efforce soit de recruter activement parmi ces métiers, soit de les intégrer dans leur système. L’exercice de ces professions soulève donc des enjeux majeurs."

"La fenêtre d’Overton a bougé"

Pour le sociologue et spécialiste de l’extrême droite Erwan Lecœur, lui aussi auditionné lors du débat, la France "fait face à des gens qui considèrent qu’ils ont à préparer une forme de guerre civile ethnique et que l’accélérationnisme [théorie qui entend favoriser le chaos pour précipiter une guerre raciale, NDLR] consiste à frapper les premiers".

Selon lui, les services secrets français ont sous-estimé la menace d’extrême droite à partir des années 2000 et de la scission du Front national, se concentrant alors davantage sur la menace jihadiste. Une erreur : en une vingtaine d’années, la société a évolué, et il est devenu bien plus facile de faire passer son message et de recruter grâce à Internet et aux réseaux sociaux, estime le chercheur.

De plus, les idées de l’extrême droite se sont petit à petit installées dans le débat public, avec la complicité de politiciens de droite et du centre qui les ont reprises à leur compte à des fins électoralistes.

"Il y a un imaginaire et une ambiance sociale qui permettent et avalisent des idées qui étaient autrefois hors de la fenêtre d’Overton [ce qui est admissible de dire dans une société, NDLR]. Cette fenêtre a bougé. Il y a des termes qui ont été créés par des groupuscules qui sont maintenant considérés comme normaux. Cela permet à des loups solitaires de se sentir poussés à agir, ce qui n’était pas le cas il y a 20 ans", a souligné Erwan Lecœur.

L'Assemblée nationale est d'ailleurs la parfaite illustration de la vague des idées d'extrême droite dans la société française. L e débat autour des groupuscules d’ultradroite s’est déroulé sous l’œil des représentants de l’extrême droite parlementaire . Outre les questions posées par les députés de la Nupes, Erwan Lecœur a ainsi eu à répondre à celles de trois députés du Rassemblement national. Les débats étaient quant à eux menés ce jour-là par la vice-présidente d’extrême droite Hélène Laporte.