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Correspondance d'Abidjan – En Côte d’Ivoire, les arrestations et les condamnations de plusieurs militants de l’opposition fin février relancent le débat sur la liberté d’expression et de réunion. À quelques mois des élections municipales et régionales prévues pour le dernier trimestre de 2023, oppositions et acteurs de la société civile dénoncent des tentatives d’intimidation et des atteintes à la liberté d’expression dans le pays. 

Le 24 février 2023,  une trentaine de militants du Parti des peup les afri cains - Côte  d' Ivoire  (PPA-CI) a ccompagnent le secrétaire général de la formation  à sa convocation par  un juge d'instruction d'Abidjan. Damana Pickass est soupçonné d'être impliqué dans l'attaque d'un camp militaire en avril   2021.  À  leur arrivée, ils  se retrouvent face   à un important dispositif policier.  

"On s'est fait embarquer de manière brutale, un policier criait  ' Ra massez-les tous',  sans raison", raconte Joachim Zelehi Serikpa,  secrétaire général adjoint du parti. D'autres décrivent   l'utilisation de   gaz lacrymogènes, des coups as sen és à ceux qui portent des casquettes et des écharpes à l'effigie de Laurent Gbagbo. L'ancien président ivoirien a fondé ce parti en octobre   2021, six mois après son retour en Côte d' Ivoire   après dix  ans d'exil.

Les militants de ce parti d'opposition sont  placés  en garde à vue, puis  jugés en première instance et condamnés le 9 mars à deux ans de prison ferme. Le 22   mars, au terme d'un procès en appel qui  dure   dix   heures, ils obtiennent le sursis. Une victoire  en  demi-teinte pour  Me   Sylvain  Tapi, l'un des quatre avocats . "On ne peut pas condamner des personnes qui n'ont commis aucune infraction pénale.  Elles   n'ont commis aucun acte de nature à perturber l'ordre public. Ce jour-là, i l n'y avait aucune interdiction de circulation. Il s'agit d'un procès sans preuves", s'insurge l'avocat contacté par France 24.

Outre ces 26 militants , quatre partisans du  PPA-CI   ont été incarcérés fin février. Ils ont été arrêtés pour avoir brandi des drapeaux russes  lors d'un rassemblement politique du parti à Yopougon,  bastion de l'opposition situé dans le nord d'Abidjan . Ils ont finalement été libérés en même temps que les autres militants.  "Ce n'est pas un délit d'afficher le drapeau d'une puissance étrangère. Il y a un flou juridique autour de l'interpellation, de l'inculpation et de la libérati on",   constate  Me   Tapi, qui dénonce une "tentative d'intimidation". Laurent Gbagbo,  qui a rencontré ces  partisans le 29   mars, fait le m ême constat   : il s'agit de mesures pour "décourager ses militants de manifester". 

Fermeté du gouvernement

De son côté, le gouvernement  continue d' affi cher   sa  fermeté. Lors d'un po int pre sse le 16   mars , le  porte-parole  du gouvernement  Amadou Coulibaly a qualifié le rassemblement des partisans du  PPA-CI   de manifestation "sauvage" qui n'a pas été déclarée au préalable à la préfecture . Il ra joute que les partisans se sont donné rendez-vous devant le cabinet du juge d'instruction alors qu'une "instruction reste secrète". Pour lui, les militants n'avaient rien à y faire et cela suffit pour justifier la force.  

Interpellé au sujet des personnes  ayant   brandi des drapeaux russes, Amadou Coulibaly n'a pas souhaité s'exprimer sur la question   :   "Nous n'avons pas de commen taire  partic ulier  et nous ne voulons pas nous immiscer dans des décisions de justice parce que sinon, c e sont les mêmes qui vont nous reprocher de ne pas avoir une justice libre et indépendan te."

Cette réflexion est  un e allusion à peine voilée à l'attitude du  PPA-CI  qui, lors d'une conférence de presse mi-mars, avait fait état d'un "harcèlement judiciaire sans relâche", d'un "appareil judiciaire qui se laisse manipuler par le pouvoir en place" ainsi que  "d' attaques contre les cadres du parti". Les opposants regrettent  notamment   que Marie-Odette Lorougnon,  vic e-présidente du  PPA-CI , ait été menacée par des militants p rogo uvernementaux pour avoir qualifié de  "m ercenair es"  les 46 soldats ivoiriens détenus pendant  dix   mois au Mali.

"En Côte d' Ivoire , on est libre de s'exprimer mais pas de diffamer", avertit Abdoul Awassa, à la tête d'un mouvement citoyen progouvernemental qui  s'est rendu chez  Marie-Odette Lorougnon .  Contacté par France   24,  celui qui se dit défenseur du pouvoir met en garde   : " No u s ne sommes pas violents, tout le monde peut s'exprimer, mais nous ne tolérons pas que l'on discrédite l'armée ou le pouv oir."

Un "mauvais signal"   envoyé à l'opposition à l'approche des élections locales 

À moins de six mois  des élections municipales et régionales ,  ce  reg ain   de tensions entre les  pro-La urent Gbagbo et les partisans du président ivoirien,  A lassane Ouattara,  est   pris très au sérieux par les observateurs politiq ues  –  le s deux leaders étant à l'origine de la crise électorale  ayant  fait  3   00 morts dans le pays en 2010-2011.  Depuis le retour de Laurent Gbagbo, les deux dirigeants  semblaient mettre l'accent sur l'apaisement et la réconciliation. "Malheureusement, avec ces arrestations, le pouvoir envoie  un   mauvais signal à l'opposition et commence à  lui   faire comprendre qu'aucune critique ne sera tolérée", constate  le politologue   Geoffroy Kouao , analyste politique . 

L'auteur du livre  "Vio l ences électorales et apologie de l'impolitiqu e. Fau t-il désespérer de la Côte d' Ivo ire   ?"  observe une "judiciarisation de la vie politique, symptomatique du refus de démocratie". Selon lui, en agissant ainsi, le gouvernement s'attire les foudres de l'opinion publique et internationale tout en donnant  à la Côte d' Ivoire  l'image d'un État de n on-dr oit. 

La question de la liberté  de réunion et d'expression   se pose  aussi  pour  la société civile. En décembre, une quarantaine de doctorants qui manifestaient pour dénoncer des conditions de travail précaires dans leur domaine avaient été arrêtés, emprisonnés puis finalement condamnés à quatre mois de prison avec sursis pour trouble à l'ordre public.

Inquiétude d'Amnesty  International

Plus tôt, e n  ao ût, Pulc hé rie Gbalet, figure de la société civile ivoirienne,  a purgé une peine de plus de cinq mois de prison. Elle   s'était rendue  au Mali pour évoquer le sort des  militaires  ivoiriens   détenus à Bamako et accusés d'être des mercenaires.  À son retour, cette proche de l'opposition   avait  été arrêtée et condamnée  à plus de cinq mois de prison  pour entente "avec les agents d'une puissance étrangère de nature à nuire à la situation militaire et diplomatique de la Côte d' Ivoire , de manœuvres de na ture  à jeter le discrédit sur les institutions et à occasionner des troubles graves à l'ordre public". Lors de l'élection présidentielle de 2020, elle avait appelé à manifester contre un troisième mandat du président Alassane Ouattara avant d'être arrêtée et incarcérée huit mois pour '"troubles à l'ordre public".

Amnesty International dénonce régulièrement ces situations.  Le dernier communiqué en date, qui concerne des militants du PPA-CI, a été publié le 13   mars. L'ONG  pointe des détentions arbitraires et des entraves à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d'expression. "En théorie, la liberté d'expression et de manifestation est garantie par les textes constitutionnels ivoiriens, mais en pratique,  c'est tout le contraire. Que ce soit à cause du Covid-19 ou de la menace terroriste, il y a toujours un prétexte pour dissuader les Ivoiriens de manifester", se désole  Kokou  Hervé   Delmas, directeur exécutif d'Amnesty Côte d' Ivoire,  joint par France 24. L'ONG et certains analystes politiques s'inquiètent de la tournure que pourraient prendre les événements à l'approche des élections locales initialement prévues pour le dernier trimestre de 2023 , premier scrutin auquel  participe  une formation  de Laurent Gbagbo depuis 2011.

Côte d'Ivoire : un recul de la liberté d'expression à l'approche de la période électorale ?