
Après le 49.3 utilisé par le gouvernement Borne pour faire adopter la réforme des retraites, et le rejet des deux motions de censure déposées contre le gouvernement, quelles sont les suites à attendre ? Manifestations, hypothèse de dissolution, référendum d'initiative partagée et recours au Conseil constitutionnel… France 24 fait le point sur les prochaines étapes pour Emmanuel Macron et ses oppositions.
Malgré le rejet lundi 20 mars des deux motions de censure déposées à l'Assemblée nationale après le recours du gouvernement au 49.3, les oppositions au projet de loi pour réformer les retraites ne désarment pas. Elles espèrent toujours faire reculer le gouvernement avant la promulgation de sa loi.
À l'image de la coalition de gauche Nupes, elles souhaitent continuer à utiliser "tous les moyens à disposition" pour faire échouer cette réforme contestée des retraites, du soutien au mouvement social à un référendum d'initiative partagée en passant par le Conseil constitutionnel.
• La rue ne désarme pas : un scénario CPE ?
La suite pour la réforme des retraites pourra se jouer dans la rue. Dès la décision du gouvernement de recourir au 49.3 pour faire adopter son projet de loi, de nombreuses manifestations spontanées ont eu lieu dans plusieurs villes en France, notamment sur la place de la Concorde, à Paris pour dénoncer "un déni de démocratie" et un passage "en force" du projet. Après des semaines de mobilisation dans le calme, ces dernières ont souvent été émaillées de violences – signe d'un durcissement du mouvement.
Outre la grogne populaire, du côté des syndicats et de l'opposition, les appels à continuer la mobilisation se poursuivent aussi. Alors que l'intersyndicale a d'ores et déjà lancé un nouvel appel à la mobilisation le jeudi 23 mars, le leader de la France insoumise Jean-Luc Mélenchon a, de son côté, appelé à "passer à la censure populaire", "en tout lieu et en toute circonstance".
"Je forme le vœu que cette censure populaire s'exprime massivement, en tout lieu en toute circonstance, et qu'elle nous permette d'obtenir le retrait du texte", a-t-il déclaré lors d'un point presse près de l'Assemblée nationale.
Une forte mobilisation pourrait-elle suffire ? L'opposition brandit régulièrement l’exemple du contrat de première embauche (CPE) de 2006. Cette loi, qui prévoyait un CDI spécial jeunes avec une période d’essai de deux ans avait aussi été adoptée avec une utilisation du 49.3 par Dominique de Villepin. Cela avait entraîné plusieurs semaines de blocage dans des lycées et universités et des manifestations réunissant jusqu'à trois millions de manifestants. La loi a finalement été suspendue puis supprimée par un nouveau vote.
• L'étape suivante : le Conseil constitutionnel
Outre le 49.3, les députés disposent d'autres outils pour lever le projet de loi. Parmi eux : le recours au Conseil constitutionnel. "Il y en aura plusieurs contre ce texte s’il est voté", assurait ainsi dès mardi 14 mars, Charles de Courson, député centriste du groupe Liot.
Les députés opposés à la réforme comptent s’appuyer sur l’avis du Conseil d’État, qui avait alerté le gouvernement d’un risque d’inconstitutionnalité de certaines mesures de son projet et notamment son manque de chiffrage clair, celui présenté initialement par le gouvernement ayant été battu en brèche au fur et à mesure des débats.
Il est…éclairant sur les fragilités juridiques de la réforme
— Jérôme Guedj (@JeromeGuedj) March 17, 2023La cheffe de fil des Insoumis à l'Assemblée nationale, Mathilde Panot, a promis que la gauche saisirait le Conseil constitutionnel, de même que le groupe Rassemblement national.
La saisine du Conseil constitutionnel permet par ailleurs de suspendre le délai de promulgation de la loi et doit être examinée dans un délai d’un mois. Grâce à l’article 61.3 de la Constitution, le gouvernement peut cependant demander au Conseil constitutionnel d’examiner le texte en urgence, ce qui réduit le délai à huit jours.
Elisabeth Borne a d'ailleurs annoncé qu'elle allait saisir "directement le Conseil constitutionnel" pour un examen "dans les meilleurs délais", a indiqué lundi soir Matignon. La Première ministre souhaite ainsi que "tous les points soulevés au cours des débats puissent être examinés".
• Vers un référendum d'initiative partagée ?
Une demande de référendum d'initiative partagée (RIP) a aussi été soumise lundi au Conseil constitutionnel. Arme constitutionnelle à la disposition des parlementaires, le RIP prévoit la possibilité d'organiser une consultation populaire sur une proposition de loi "à l'initiative d'un cinquième des membres du Parlement", soit au moins 185 des 925 parlementaires (577 députés, 348 sénateurs). Elle doit aussi être "soutenue par un dixième des électeurs", soit 4,87 millions de personnes, dont les signatures doivent être recueillies dans un délai de neuf mois.
Quelque 250 parlementaires, députés et sénateurs principalement de gauche, l'ont déposée sur le bureau de la présidente de l'Assemblée nationale vendredi 17 mars. Et alors que la réforme venait d'être adoptée au Parlement, cette demande a été transmise au Conseil constitutionnel qui doit désormais en vérifier la recevabilité.
Pour Valérie Rabault, vice-présidente socialiste de l'Assemblée nationale, la procédure permettrait de "bloquer pendant neuf mois la mise en œuvre de cette réforme". Mais "si un RIP est déclenché sur les retraites, il faut qu'il le soit avant la promulgation de la loi".
• "Une seule solution, la dissolution" ?
Le slogan fait florès dans les cortèges. La dissolution est agitée par Emmanuel Macron comme une menace récurrente depuis que les élections législatives de juin 2022 ne lui ont laissé qu'une majorité relative pour gouverner. Elle l'était encore à la veille du 49.3 pour espérer faire rentrer dans le rang les Républicains réticents à voter la réforme.
Si ce scénario s'éloigne après le rejet des deux motions de censure, dans les rangs des soutiens de l'exécutif, les nouvelles législatives apparaissent comme une solution. Un responsable du groupe majoritaire affirmait ainsi récemment, sous couvert d'anonymat, que la séquence des retraites et le 49-3 est "un crash. Il faut une dissolution". Et repartir du bon pied en gagnant les élections qui reboosteraient le capital politique de la macronie.
Reste que la manœuvre est hasardeuse. En 1997, Jacques Chirac avait tenté l'opération qui lui avait coûté sa majorité. Une éventuelle dissolution de 2023 pourrait aboutir aux mêmes conséquences…
Sans boule de cristal, difficile de prédire qui pourrait sortir gagnant de ces hypothétiques législatives : la Nupes, à condition de s'entendre sur les investitures, pourrait faire un bond en capitalisant sur le mouvement social réussi. Mais les observateurs alertent sur le fait que le gagnant le plus probable risque d'être le RN, prospérant sur le mécontentement grandissant de la société française. L'Assemblée nationale risquerait alors d'être plus morcelée que jamais, rendant improbable l'existence d'une majorité.
A minima, la séquence des retraites pourrait coûter son poste à Élisabeth Borne. Le président Emmanuel Macron pourrait changer de Premier ministre pour tenter de donner une nouvelle impulsion à son nouveau quinquennat. En attendant sa décision, Élisabeth Borne s'est dite lundi soir "déterminée à continuer à porter les transformations nécessaires" au pays, après l'adoption par le Parlement de sa réforme très contestée des retraites.